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La musique comme espace de réconciliation possible entre Orient et Occident

CHAPITRE 3. Beyrouth : Lieu de la prise de conscience

3. La musique comme espace de réconciliation possible entre Orient et Occident

Après ce drame, notre personnage principal quitte rapidement l’hôtel, direction l’aéroport. Le moment où ce dernier prend place dans le taxi est très important. En effet, le chauffeur du taxi en allumant sa radio sur une chanson de Faïrouz intitulée Habbeytek, qui veut dire en français : je t’ai aimé, a suscité l’émotion du Bédouin en ramenant ses souvenirs très loin en arrière :

Faïrouz chante Habbeytek. Sa voix me catapulte à travers les âges et les frontières. Telle une météorite, j’atterris dans le cratère, près de mon village, où Kadem me faisait écouter les chansons qu’il aimait. Kadem ! Je me revois dans sa maison, contemplant le portrait de sa première femme. Les Sirènes de Bagdad... Finalement, je ne saurai pas lesquelles. J’aurais dû insister. Il aurait fini par me faire écouter sa musique, et j’aurais peut-être perçu le pouls de son génie. (L.S.D.B., 309-310)

La chanson de Faïrouz a eu un impact très fort dans l’esprit du Bédouin. En effet, la musique a réussi à ressusciter le Bédouin de Kafr Karam, le jeune homme émotif, humble et plein de compassion. De plus, la musique lui a permis de retrouver le goût à la vie et à l’amour surtout :

Un futur papa couve du regard son épouse dont le ventre tire sur sa robe de grossesse. Il est aux petits soins avec elle, à l’affut de ses moindres gestes pour lui montrer combien il est ravi (...) Un jeune couple de type européen s’enlace, l’or de leurs cheveux sur la figure. Le garçon est grand, il porte un T-shirt d’un orange fluorescent et un jean étriqué. La fille, blonde comme une botte de foin, doit se dresser sur la pointe de ses souliers pour atteindre les lèvres de son petit ami. Leur étreinte est passionnée, belle, généreuse. Qu’est-ce que ça fait, lorsqu’on s’embrasse sur la bouche. Je ne me souviens pas d’avoir pris la main à une cousine, de m’être approché des très près d’une idylle. A Kafr Karam, je rêvais des filles de loin, caché, presque honteux de ma faiblesse. A l’université, j’ai connu Nawal, une brune aux yeux mielleux. Nous nous disions bonjour du bout des cils, nous nous disions au revoir du coin de l’œil. Je crois que nous éprouvions quelque chose, l’un pour l’autre. Mais à aucun moment nous n’avons eu le courage de savoir quoi au juste (...) Un sourire suffisait à notre bonheur. (L.S.D.B., 312)

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Ce retour en arrière a engendré une énorme confusion dans l’état d’esprit du Bédouin. Toutefois, cela lui a permis de se rétracter à la dernière minute, refusant ainsi d’exercer une violence aux conséquences désastreuses, pour la vie de nombreux innocents de l’Occident et de l’Orient également.

Grâce à ses anciens souvenirs, son amour pour Nawal, le débat entre le Dr Jalal et Mohammed Seen, ainsi que les chants de Faïrouz, le Bédouin a enfin pris conscience que la vie est belle et vaut le coup d’être vécu d’une belle manière, avec ses moments de bonheur et de douleur, plutôt que de finir lamentablement dans un attentat kamikaze :

Cette dame, à l’aéroport, qui interrogeait le cadran de son téléphone ; ce futur papa qui ne savait où donner de la tête tant il était heureux ; et ce couple de jeunes Européens en train de s’embrasser... Ils mériteraient de vivre mille ans. Je n’ai pas le droit de contester leurs baisers, de bousculer leurs rêves, de brusquer leurs attentes. (L.S.D.B., 317)

En changent d’avis à la dernière minute, notre protagoniste a condamné sa propre vie à la mort pour sauver celle de milliers d’autres : « Qu’ai-je fait de mon destin, moi ? Je n’ai que vingt et un ans, et la certitude d’avoir raté vingt et fois ma vie. » (L.S.D.B., 317). Par ailleurs, ce revirement de situation constitue la deuxième métamorphose du personnage principal, où il était passé d’un être sensible et tranquille à quelqu’un d’agressif et violent, avant de retrouver son état initial en redevenant un homme paisible.

En fin de compte, le Bédouin n’a pas suivi les chants captivants des sirènes. En effet, il a refusé de briguer la voie de la violence et du sang, en agissant de la même manière qu’Ulysse dans la mythologie grecque, qui a résisté de toutes ses forces aux chants ensorcelant de ces créatures féroces. En revanche, il a suivi les mélodies de l’espoir, en l’occurrence la musique de Faïrouz qui représente le fil d’Ariane, qui a permis au Bédouin de retrouver son état d’origine : « Mes soucis se confondent avec mes souvenirs. Toute ma vie défile dans ma tête ; Kafr Karam, mes gens, mes morts et mes vivants, les êtres qui manquent, et ceux qui me hantent.» (L.S.D.B., 317)

Donc, Au milieu de tous ces grands conflits opposant Orient et Occident, la musique se présente ici comme une belle alternative pour une possible réconciliation entre ces deux mondes aux valeurs différentes. Par son universalité, la musique propose une sorte d’ouverture de négociation pour un éventuel rapprochement entre Orient et Occident. Dans le cas du Bédouin, la musique de Faïrouz lui a permis de renouveler son union avec son

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ancienne vie et le monde qui l’entoure. En parlant d’union par le biais de l’art musical, Homi K. Bhabha a démontré dans l’introduction de son ouvrage Les lieux de la culture, le rôle important que joue l’art comme moyen de réconciliation permettant à l’être humain de surmonter ses angoisses et les difficultés auxquelles il est confronté dans la société :

Quand la visibilité historique s’est évanouie, quand le temps présent du témoignage perd son pouvoir d’arrêter, alors les déplacements de la mémoire et les indirections de l’art nous offrent l’image de notre survie psychique. Vivre dans le monde inconfortable, trouver ses ambivalences et ses ambiguïtés mises en œuvre dans la maison de la fiction, ou sa séparation et sa coupure représentées dans l’œuvre d’art, c’est aussi affirmer un profond désir de solidarité sociale : « Je cherche l’union... Je veux le rejoindre... Je veux le rejoindre. »62

L’appel à la paix et à la réconciliation par la voie de l’art, revient souvent dans les œuvres de Yasmina Khadra. Dans Les Sirènes de Bagdad, la musique de Faïrouz désigne à la fois un appel et un rappel aux citoyens du monde arabe, pour préserver cet art qui fait partie de leur grande civilisation, où des chanteurs comme Mohammed Abdel Wahab, Oum Kalthoum, Faïrouz, Farid El Atrache, Asmahan et tant d’autres, ont réussi à chanter l’amour et la grandeur de la culture arabe.

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