• Aucun résultat trouvé

B.   La diffamation en common law canadienne 34

3.   Les moyens de défense 47

À la différence de l’approche de droit civil où tous les éléments pertinents à la responsabilité devraient être enchâssés dans l’analyse des trois pôles de l’article 1457 du Code

civil du Québec, le régime de common law prévoit que certaines défenses pourront faire

obstacle à la condamnation pour diffamation une fois la preuve faite par le demandeur sur les éléments ci-haut mentionnés. Au fil des années, divers moyens de défense propres au délit de diffamation ont été reconnus par les tribunaux et certains d’entre eux ont également influencé l’analyse de droit civil230. Sans procéder à une revue exhaustive, voici brièvement certains moyens de défense qui sont pertinents dans le cadre de notre analyse comparative, et plus particulièrement en vue d’une discussion concernant le médium électronique.

La première défense abordée ici est la défense de justification puisqu’elle se rattache à une composante du droit de la diffamation qui distingue substantiellement le droit civil de la common law. Nous avons affirmé que les propos doivent être faux en common law pour générer la responsabilité de leur auteur, une condition inexistante en droit québécois. En effet, la vérité constitue un moyen de défense complet utile au défendeur231, peu importe sa conduite malicieuse232. Afin de remplir les exigences de cette défense, les mots employés doivent être vrais en substance et en contenu lorsque pris dans leur sens ordinaire et naturel, le contexte pouvant également être pertinent afin de conclure sur ce point233. Les critiques à ce sujet

229 Id., p. 27.

230 Voir à ce sujet l’introduction au point A. La diffamation en droit civil québécois, supra p. 15. 231 P. A. DOWNARD, préc., note 17, p. 86.

232 R. E. BROWN, préc., note 156, p. 505.

233 J. WILLIAMS, préc., note 164, p. 107. Il n’est pas suffisant que le défendeur croyait que les propos étaient

vrais; celui-ci doit prouver qu’il le sont subtantiellement. « A slight inacuracy in one or more of the details will not prevent from succeeding in a defence of justification. It is the imputation contained in the words which has to

48

suggèrent d’introduire la nécessité de démontrer un intérêt public dans la communication234, un critère qui rappelle les paramètres énoncés au sujet de l'analyse issue du Québec.

Il existe également en common law, tel qu’évoqué en matière de droit québécois235, certaines immunités reliées aux circonstances au sein desquelles les propos sont véhiculés, soit l’immunité absolue et l’immunité relative (absolute et qualified privilege). Le premier cas vise les commentaires émis au cours de procédures législatives et judiciaires, ou faits dans le cadre d’une fonction administrative236. La raison de cette protection complète contre toute poursuite en diffamation, que les propos aient été diffusés de mauvaise foi ou sans justification ni excuse237, est simple : les personnes qui se retrouvent dans de tels contextes doivent pouvoir s’exprimer librement sans peur de représailles judiciaires238. La deuxième immunité est partielle en ce qu’elle pourra protéger certains commentaires, tout dépendant de l’occasion où ils sont émis et ce, à moins que ne soit faite la preuve de malice dans une telle diffusion239. Ces immunités sont généralement prévues par la common law ainsi que par les différents textes législatifs en vigueur au sein des provinces240.

Nous avons déjà abordé la défense de commentaire loyal qui a fait couler beaucoup d’encre chez les tribunaux canadiens et qui illustre toute l’importance de la liberté d’expression au Canada241. Ainsi, « la liberté d’exprimer une opinion sur une question d’intérêt public bénéficie d’une protection, mais celle-ci entre uniquement en jeu lorsque l’opinion constitue l’expression honnête du point de vue de la personne qui l’émet »242. Compte tenu des nombreux changements survenus au sujet de cette défense, il est opportun de be justified, not the literal truth of the words », dans Makow v. The Winnipeg Sun et al., précité, note 165, par. 54- 55 (j. Monnin).

234 R. E. BROWN, préc., note 156, p. 506. 235 Supra, p. 30

236 J. WILLIAMS, préc., note 164, p. 63-71. 237 P. A. DOWNARD, préc., note 17, p. 97.

238 J. WILLIAMS, préc., note 164, p. 64. Rappelons l’explication similaire formulée en matière de droit civil. 239 R. E. BROWN, préc., note 161, p. 129.

240 À titre d’exemple, la Loi sur la diffamation de l’Ontario prévoit que les comptes rendus d’organismes

législatifs ou administratifs peuvent se prévaloir d’une immunité lorsqu’il n’y a pas de mauvaise foi dans la publication, jouissant ainsi d’une immunité relative, à l’article 3, préc., note 36. L’article 4 de cette même loi prévoit quant à lui l’immunité absolue des compte rendus de délibérations judiciaires.

241 R. SOLOMON, M. McINNES, E. CHAMBERLAIN et S. G.A. PITEL, préc., note 168, p. 960. 242 Cherneskey c. Armadale Publishers Ltd., préc., note 18, 1072 et 1073 (j. Martland).

citer les paramètres applicables à celle-ci, tels que résumés récemment par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Grant c. Torstar Corp. :

Suivant la reformulation qui en a été faite dans WIC Radio, au par. 28, le défendeur qui invoque ce moyen doit satisfaire aux éléments suivants de la défense : a) le commentaire doit porter sur une question d’intérêt public; b) le commentaire doit être fondé sur des faits; c) le commentaire peut comprendre des conclusions de fait, mais doit être reconnaissable en tant que commentaire; d) le commentaire doit répondre au critère objectif suivant : est-ce que n’importe qui pourrait honnêtement exprimer cette opinion vu les faits prouvés?; e) même si le commentaire répond au critère objectif, la défense peut échouer si le demandeur prouve que le défendeur était animé par la malice. WIC Radio a élargi la défense de commentaire loyal en modifiant l’exigence classique de l’opinion qui puisse honnêtement être exprimée par un « esprit juste » en exigence voulant que l’opinion soit de celles qu’ « on pouvait honnêtement exprimer » (par. 49-51) et qui permette les débats vigoureux. Pour reprendre les mots du juge Binnie : « [n]ous vivons dans un pays libre, où il est permis d’énoncer des opinions outrancières et ridicules tout autant que des vues modérées » (par. 4).243

Sur cette dernière affirmation, il va de la nature même d’une opinion que celle-ci puisse parfois être différente, surprenante, voire même choquante. La Cour suprême du Canada, dans une affaire plus ancienne, a justement cité les propos suivants issus d’un exposé fait par un juge au jury dans le cadre d’un procès : « Tout le monde a le droit de soutenir et d’exprimer librement des opinions arrêtées sur des questions d’intérêt public, des opinions que quelques-uns d’entre vous, ou même vous tous, peuvent juger extrêmes, exagérées ou empreintes de préjugés, pourvu – et c’est le point important – que ce soit une opinion avancée honnêtement »244. Toutefois, il demeure que les faits sur lesquels les commentaires sont fondés doivent avoir été exposés245. Notons à titre comparatif que lorsque cette défense était évoquée en droit civil, celle-ci comportait des prérequis similaires, soit « 1) une communication dans l’intérêt public, 2) faite avec une intention honnête et 3) d’une opinion raisonnablement soutenable »246.

243 Grant c. Torstar Corp., préc., note 17, par. 31 (j. McLachlin). La Cour discute de la modification des règles

jurisprudentielle suite à l’arrêt WIC Radio Ltd. c. Simpson, préc., note 16.

244 Silkin, v. Beaverbrook Newspapers Ltd., [1958] 1 W.L.R. 743, 747 (j. Diplock), cité par Cherneskey c.

Armadale Publishers Ltd., préc., note 18, 1073 (j. Martland).

245 P. A. DOWNARD, préc., note 17, p. 194, citant WIC Radio Ltd. c. Simpson, préc., note 16, par. 31 (j.

Binnie) : « Si le fondement factuel n’est pas donné ou s’il est inconnu ou faux, la défense de commentaire loyal ne peut être invoquée ». La Cour cite à cet effet Price c. Chicoutimi Pulp Co., préc., note 157.

246 Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal c. Hervieux-Payette, préc., note 83, par. 14 (j. Thibault). Voir

50

La Cour suprême du Canada a introduit récemment un nouveau moyen de défense qui sera pertinent lors de notre étude de la diffamation sur Internet et dont nous discuterons plus amplement. La défense de communication responsable concernant des questions d’intérêt public circonscrite dans Grant c. Torstar Corp. se distingue de la défense de commentaire loyal en ce qu’elle vise les énoncés de faits plutôt que les commentaires et fait l’objet d’un test bipartite : « Premièrement, la communication doit concerner une question d’intérêt public. Deuxièmement, le défendeur doit démontrer que la communication était responsable, en ce sens qu’il s’est efforcé avec diligence de vérifier les allégations, compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes »247. La défense ne se limite toutefois pas aux énoncés qui concernent des personnages publics ou des questions politiques; cette notion d’intérêt public doit recevoir une interprétation plus libérale selon les propos de la Cour suprême du Canada et se distingue des critères américain, australien et de la Nouvelle-Zélande à ce sujet248. Bien que l’incidence d’une atteinte à la réputation par le biais de médiums de communications importants tels les journaux, la télévision ou Internet ne soit remise en question, l’apparition de ce moyen de défense peut être due à une « conscience accrue au sein du milieu législatif et judiciaire quant à l’importance de la liberté d’expression au sein des sociétés démocratiques »249 (notre traduction).

Finalement, l’excuse et la rétractation constituent des moyens de défense partiels, en ce qu’ils servent à mitiger les dommages, sans toutefois faire complètement obstacle à une condamnation pour diffamation250. Pour cette raison, ils seront abordés dans la prochaine

nécessité de ces conditions a été affirmée à plusieurs reprises, au par.14-15, pour ensuite rappeler les

enseignements de l’arrêt Prud’homme c. Prud’homme, préc., note 42, au sujet de l’importation en droit civil des règles de common law (à ce sujet, voir p. 15 et p. 30).

247 Grant c. Torstar Corp., préc., note 17, par. 98 (j. McLachlin). Voir également Laurent CARRIÈRE et Jason

MOSCOVICI, « Revue de décisions canadiennes de PI rendues en 2009-2010. Leçons tirées de la jurisprudence pour le développement de pratiques exemplaires », (2010) 22 C.P.I. 793. L’article crédite également Quan c.

Cusson, 2009 CSC 62, pour le développement de cette nouvelle défense qui offre davantage de protection aux

questions d’intérêt public.

248 Grant c. Torstar Corp., préc., note 17, par. 105-106. 249 P. A. DOWNARD, préc., note 17, p. 150.

250 En droit civil également, la rétractation pourra servir à réduire la condamnation, ou au contraire à l’alourdir

section réservée à l’évaluation des dommages, mais seront également pertinents dans le contexte de l’analyse réservée à la diffamation sur Internet.