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Mouvements à l’origine des politiques de gestion et d’ouverture des données de la

1.1. Déclaration de Berlin (2003)

La Déclaration de Berlin29 est issue du mouvement du libre accès (Open Access), promouvant l’accès à la recherche sans barrière financière, légale ou technique. Initié dès 1991 par des membres de la communauté scientifique30 dans un but de communication directe, ce mouvement a été porté à l’échelle mondiale à partir de la conférence de Budapest, en 200231. Les données de la recherche ont été incluses dans le débat du libre accès dès 2003, avec la Déclaration de Berlin. Initialement soutenue par 19 institutions de recherche, cette déclaration élargit le concept de libre accès à l’ensemble de la production scientifique :

« Les   contributions   au   libre   accès   se   composent   de   résultats   originaux   de   recherches   scientifiques,  de   données  brutes   et  de  métadonnées,   de  documents  sources, de représentations numériques de documents picturaux et graphiques, de  documents scientifiques multimédia. »32

Le discours en faveur du libre accès à la production scientifique est aujourd’hui porté par la communauté scientifique, les institutions de recherche, les agences de financement et les ministères. Il défend les valeurs traditionnelles de la science, telles que les a définies Robert

29 MAX PLANCK GESELLSCHAFT (2003). Berlin Declaration on Open Access to Knowledge in the Sciences and   Humanities. http://openaccess.mpg.de/Berlin-Declaration (consulté le 18 septembre 2019).

30 La première archive ouverte, arXiv, a été imaginée par le physicien Paul Ginsparg en 1991. Elle a inspiré la « proposition subversive » de Stevan Harnad, professeur en sciences cognitives, incitant les chercheurs à déposer leurs preprints dans des archives ouvertes (Harnad 1994).

31 Budapest Open Access Initiative (2002). https://www.budapestopenaccessinitiative.org/read (consulté le 16 septembre 2019).

32 « Open access contributions include original scientific research results, raw data and metadata, source materials, digital representations of pictorial and graphical materials and scholarly multimedia material » (Berlin Declaration on Open Access to Knowledge in the Sciences and Humanities 2003, op. cit.).

K. Merton (1973)33. Dans le discours du libre accès, la connaissance scientifique est en effet considérée comme un bien commun.

Le mouvement est né dans un contexte où l’Internet ouvrait de nouvelles possibilités pour diffuser la connaissance scientifique. Celui-ci était perçu comme le moyen de communication idéal pour diffuser rapidement et à moindre coût les résultats de la recherche. L’Initiative de Budapest explicite ainsi le recours à l’Internet comme outil de partage des connaissances scientifiques :

« Une tradition ancienne et une technologie nouvelle ont convergé pour rendre   possible un bienfait public sans précédent. La tradition ancienne est la volonté   des scientifiques et universitaires de publier sans rétribution les fruits de leur   recherche   dans   des   revues   savantes,   pour   l’amour   de   la   recherche   et   de   la   connaissance. La nouvelle technologie est l’Internet. Le bienfait public qu’elles  rendent possible est la diffusion électronique à l’échelle mondiale de la littérature   des revues à comité de lecture avec accès complètement gratuit et sans restriction   à tous les scientifiques, savants, enseignants, étudiants et autres esprits curieux.   Supprimer les obstacles restreignant l'accès à cette littérature va accélérer la   recherche, enrichir l'enseignement, partager le savoir des riches avec les pauvres   et le savoir des pauvres avec les riches, rendre à cette littérature son potentiel   d'utilité,   et   jeter   les   fondements   de   l'unification   de   l'humanité   à   travers   un   dialogue intellectuel, et une quête du savoir communs. »34

33 Quatre normes, selon Merton (1973, p.268-278), forment l’« ethos de la science » :

- l’universalisme : les énoncés soumis à la communauté scientifique doivent être évalués selon des critères impersonnels, sans égard pour les caractéristiques sociales ou institutionnelles de leurs auteurs ;

- le communisme : en tant que produit de la collaboration entre chercheurs, toute découverte scientifique est un bien commun et doit donc systématiquement être publiée ;

- le désintéressement : les scientifiques cherchent de nouvelles connaissances non pas dans leur intérêt personnel, mais pour le bien commun ;

- le scepticisme organisé : tout énoncé nouveau doit être examiné, vérifié et reproduit avant d’être considéré comme valide.

34 « An old tradition and a new technology have converged to make possible an unprecedented public good. The old tradition is the willingness of scientists and scholars to publish the fruits of their research in scholarly journals without payment, for the sake of inquiry and knowledge. The new technology is the internet. The public good they make possible is the worldwide electronic distribution of the peer-reviewed journal literature and completely free and unrestricted access to it by all scientists, scholars, teachers, students, and other curious minds. Removing access barriers to this literature will accelerate research, enrich education, share the learning of the rich with the poor and the poor with the rich, make this literature as useful as it can be, and lay the foundation for uniting humanity in a common intellectual conversation and quest for knowledge. » (Budapest Open Access Initiative 2002, op. cit.)

Dans la philosophie du libre accès, l’Internet est un outil au service d’une science désintéressée, dont les résultats ont vocation à être ouverts à tous.

La réaffirmation du caractère commun de la science s’inscrit en réaction à une situation de monopole de l’édition scientifique. La littérature scientifique et, en particulier, les articles de revues sont devenus captifs de quelques grands éditeurs privés qui, ayant le monopole de ce qu’ils publient, en déterminent librement le prix d’accès. Or depuis la transition vers des offres d’édition numérique, la hausse constante des prix d’abonnement, conjuguée aux restrictions budgétaires des institutions, a entraîné l’émergence d’une crise éditoriale sur le marché des revues scientifiques (Chartron 2016). L’enjeu initial du libre accès est donc de

« lever [...] les barrières économiques »35, qui constituent un « obstacle à l’accès »35, et de réintroduire, grâce à des modèles de publication alternatifs, une diffusion rapide et large de la littérature scientifique.

Le libre accès aux données de la recherche s’est alors imposé comme la suite logique du mouvement d’ouverture de la littérature scientifique. Refusant que les éditeurs s’emparent des données de la recherche et en fassent leur nouveau « business », les partisans du libre accès militent pour que soient mises en place des infrastructures publiques permettant de gérer et de partager les données.

1.2. Recommandations de l’OCDE (2004)

Parallèlement au mouvement du libre accès, ont émergé des recommandations de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) concernant l’accès aux données de la recherche.

1.2.1. Déclaration sur l’accès aux données de la recherche publique

En 2004, le Comité de la politique scientifique et technologique de l’OCDE publie une déclaration, dans laquelle les gouvernements signataires s’engagent à « œuvrer   à  l’établissement de régimes d’accès aux données numériques de la recherche financée sur  35 Budapest Open Access Initiative 2002, op. cit.

fonds publics »36. Ces régimes d’accès s’appuient en premier lieu sur le principe d’ouverture. Quoique soucieux de « protéger [les] intérêts sociaux, scientifiques et commerciaux », les gouvernements signataires s’accordent sur le fait qu’« un accès ouvert aux données [permet]  d’accroître la qualité et l’efficacité de la recherche et de l’innovation ».

Suite à cette déclaration, l’OCDE publie en 2007 des Principes et lignes directrices pour  l’accès aux données de la recherche financée sur fonds publics37. Ceux-ci s’appuient toujours sur la notion centrale d’ouverture des données, définie comme « l’accès dans des conditions  d’égalité de la communauté scientifique internationale, à un coût le plus bas possible ». C’est dans ce document également que l’OCDE définit pour la première fois ce qu’elle entend par « données de la recherche »38. A ce principe d’accessibilité des données sont associées des questions techniques (infrastructures d’accès), juridiques (respect des droits de propriété intellectuelle, protection de la vie privée, sécurité nationale) et économiques (les données scientifiques « recueillies en vue de commercialiser les résultats de la recherche » et celles

« qui appartiennent  à une entité  du secteur privé » sont exclues des Principes et Lignes directrices).

La Déclaration de 2004 et les Principes et Lignes directrices de 2007 constituent une étape significative dans le développement des politiques publiques en matière d’accès aux données de la recherche. A la différence de la Déclaration de Berlin, qui a réuni des institutions de la recherche (ministères, agences de financement, établissements de recherche, bibliothèques, associations scientifiques…), les recommandations de l’OCDE ont quant à elles, pour la première fois, fédéré des gouvernements. Trente pays39 ont ainsi adhéré à des « normes 

36 ORGANISATIONDE COOPÉRATIONET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES (2004). Déclaration sur l’accès   aux   données   de   la   recherche   financée   par   des   fonds   publics.

https://legalinstruments.oecd.org/fr/instruments/157 (consulté le 18 septembre 2019).

37 ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES (2007). Principes   et   lignes   directrices de l’OCDE pour l’accès aux données de la recherche financée sur fonds publics. Paris : Éditions OCDE. http://www.oecd.org/fr/science/sci-tech/38500823.pdf (consulté le 19 septembre 2019).

38 Voir première partie, 1.1, p.25

39 L’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, la Belgique, le Canada, la Chine, la Corée, le Danemark, l’Espagne, les États-Unis, la Fédération de Russie, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Islande, Israël, l’Italie, le Japon, le Luxembourg, le Mexique, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République d’Afrique du sud, la République slovaque, la République tchèque, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse et la Turquie.

collectives » (certes non contraignantes), allant dans le sens d’une démocratisation de l’accès aux données de la recherche.

1.2.2. Une logique d’innovation

Si le mouvement du libre accès et les recommandations de l’OCDE prônent un principe identique – rendre les données accessibles –, en revanche leurs objectifs diffèrent. Le mouvement du libre accès défend des valeurs éthiques et revendique le droit à tous d’accéder à la connaissance. L’OCDE, quant à elle, inscrit l’ouverture des données scientifiques dans une logique marchande, centrée sur la croissance économique.

Dès les années 1990, l’OCDE reconnaît le rôle de plus en plus important du savoir dans l’économie. Elle publie en 1996 un rapport intitulé L’économie fondée sur le savoir, dans lequel elle considère la connaissance comme le « moteur   de   la   productivité   et   de   la  croissance économique »40.

1.2.2.1. Le concept d’économie de la connaissance

Le concept d’économie de la connaissance a été développé pour la première fois dans les années 1960. On pourra se reporter à l’article de Jean-Pierre Bouchez(2014), dont les deux premières parties exposent les différents courants liés à ce concept. Kenneth Arrow est considéré comme le premier à avoir développé une conception économique de la connaissance (Arrow 1962). Il distingue la connaissance des autres types de biens, la définissant comme non rivale41 et non-exclusive42. L’économiste Fritz Machlup a, pour sa part, montré qu’entre 1947 et 1958 les industries américaines liées au savoir avaient connu une expansion significative en termes de richesses(Machlup 1962).

40 ORGANISATIONDE COOPÉRATIONETDE DÉVELOPPEMENTÉCONOMIQUES (1996). L’économie fondée sur le  savoir. OCDE/GD(96)102. Paris : Editions OCDE.

http://www.oecd.org/officialdocuments/publicdisplaydocumentpdf/?cote=OCDE/GD(96)102&docLanguage=Fr

(consulté le 18 septembre 2019). Page 3

41 Un bien non rival est un bien qui peut être consommé par plusieurs personnes simultanément. La plupart des biens non rivaux sont immatériels (une vidéo Youtube, par exemple).

42 Un bien non exclusif est un bien dont on ne peut restreindre la consommation en mettant des barrières techniques, financières ou légales.

L’OCDE véhicule une vision néolibérale du concept d’économie de la connaissance. Associant la croissance économique à la marchandisation du savoir, cette vision a notamment été développée par les économistes Dominique Foray et Bengt-Ake Lundvall (1997). Dans son rapport de 1996, l’OCDE définit l’économie de la connaissance comme une « économie  [reposant]  directement   sur   la   production,   la   diffusion   et   l’utilisation   du   savoir   et   de   l’information »43.

1.2.2.2. Rôle de la science dans l’économie de la connaissance

Or la science joue un rôle important dans ce nouveau système de croissance économique. Par nature, l’enseignement supérieur et la recherche ont trois fonctions :

Transmettre des savoirs (via la formation des étudiants) ;

Produire de nouvelles connaissances ;

Transférer ces connaissances (afin qu’elles puissent être utilisées par la société).

Ces trois fonctions sont citées par l’OCDE dans son rapport (1996, p.21). Au sein d’une économie fondée sur le savoir, la science présente en effet un double intérêt : d’une part, elle forme des ressources humaines qualifiées ; d’autre part, elle génère des connaissances susceptibles d’intéresser la société. C’est ce second point qui nous intéresse en particulier. L’enjeu pour les acteurs économiques est d’avoir accès aux connaissances scientifiques, afin de pouvoir les exploiter dans un but commercial. La science est donc ici considérée comme moteur d’innovation. Aussi les membres de l’OCDE s’engagent-ils à « développer les liens  entre le système scientifique et le secteur privé afin d’accélérer la diffusion du savoir »44. Ils prônent le libre accès, parce que celui-ci permet d’accéder rapidement et gratuitement aux résultats de la recherche. Cela concerne aussi bien les publications que les données de la recherche. La recherche est désormais considérée comme partie intégrante d’un système, dans lequel la production, la diffusion et l’utilisation des connaissances procèdent d’une logique marchande.

43 Organisation de Coopération et de Développement économiques 1996