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Chapitre 8. Les apports de l’archéologie

1. Le moulin des Ecouges

Découvert sur les rives du torrent des Grandes Routes lors d’un sondage effectué par le LARHRA en juin 2007 au sein de la vallée des Écouges459, le moulin était celui de la Correrie de la Chartreuse des Écouges460. Mentionné dès 1104 dans le cartulaire de l’ordre461, il est actif au moins jusqu’en 1340462

De ce sondage a été mise au jour la façade orientale du moulin, ce qui a permis d’une part une identification générale de l’édifice grâce au bâti encore en place et d’autre part la construction d’hypothèses quant au système hydraulique de l’artifice, ceci en confrontant les données issues du terrain avec l’iconographie existante du moulin

puis, après des usages divers au cours des siècles, a été enfoui sous une route construite vers 1880.

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Alain BELMONT, Saint-Gervais (département de l’Isère). Domaine départemental des Ecouges, moulin de

la correrie, rapport de sondage programmé, 2007, 94 p.

460

Michel WULLSCHLEGER, « A la recherche du domaine temporel des Chartreux des Ecouges », La pierre et

l’écrit, 1997-1998, p.56.

Michel WULLSCHLEGER, « L’excellente nouvelle de l’acquisition du domaine des Ecouges par le conseil général de l’Isère », La pierre et l’écrit, 2003, n°14, pp.263à 278.

Jacques LESEIGNEUR, La Chartreuse des Ecouges (1116-1422), Analecta cartusiana n°232, 2005, 152 p. Alain BELMONT, Nicolas MINVIELLE LAROUSSE, La Rivière, Saint-Gervais (département de l’Isère).

Domaine départemental des Ecouges, Rapport de prospections thématiques, 2007, 149 p.

Alain BELMONT, Alain BADIN DE MONTJOYE, Aux origines de l'ordre des Chartreux, Le monastère des

Ecouges et son domaine, Archéologia n° 458 Page : 56-64, 2008.

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AD 38, 8°519/1: AUVERGNE, Cartulaire de Saint-Robert et cartulaire des Ecouges, Grenoble, 1865, folio 83.

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AD 38, 8°519/1 : AUVERGNE, Cartulaire de Saint-Robert et cartulaire des Ecouges, Grenoble, 1865, folio 182.

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Deux plans existent : voir annexes VIII-1 et VIII-2.

. Les textes restent quant à eux muets sur l’organisation du dispositif.

La conservation du site en général, et du bâti ainsi que des couches archéologiques en particulier fait du moulin de la Correrie un terrain d’étude de choix pour la meunerie médiévale. Notre démarche aura donc pour but de mettre en évidence les apports du terrain tout en les mettant en relation avec les données provenant des sources écrites, et ce en vue de caractériser le moulin des Écouges, par rapport aux autres artifices : est-il représentatif de la meunerie médiévale en Dauphiné ?

Pour ce faire, nous analyserons tout d’abord le système hydraulique avant de développer la question des mécanismes et enfin du bâti.

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a) Le système hydraulique

L’eau du torrent était tout d’abord dérivée par un barrage pour être retenue dans une serve avant d’accéder à la roue du moulin par l’intermédiaire d’un canal464

Passée la dérivation, l’eau arrive dans une retenue, nommée serve, ou dans nos textes exclose. Il n’est pas certain qu’un béal soit effectivement présent entre la prise d’eau et la retenue. Celle-ci pouvant aller en s’élargissant comme le plan de la vallée le laisse présager. De la même manière que pour la prise d’eau, les retenues ne sont que peu présentes dans les registres de la Chambre des comptes, son étude n’en sera donc que bénéfique. La principale question, outre ses dimensions et sa capacité, concernera les matériaux utilisés pour l’édification et l’entretien de cette retenue. Des indices feraient penser à l’existence d’une digue maçonnée

.

Les vestiges du barrage qui ont été reconnus en prospection vont se révéler précieux à étudier, du fait de la carence des textes à l’égard de ces structures. C’est ainsi toute la prise d’eau qui pourra être documentée à l’occasion de fouilles futures. Actuellement, seule une extrémité de mur en pierres sèche est visible, comme « arrachée » par la force du torrent.

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Au travers de ces étapes, l’eau est amenée jusqu’à la roue, mais il manque un élément qui n’est pas figuré sur le plan ni encore repéré sur le terrain : il s’agit du

dechariatorum aque

à son extrémité sud. C’est assurément la partie de la structure sujette à la plus forte pression justifiant ainsi l’emploi de pierres, mais quid du reste de l’exlose ? À Voiron en 1373-1374, un charpentier a travaillé pour boucher une ouverture de 26 toises de long dans l’écluse du moulin. Le bois peut donc aussi faire partie intégrante de la structure. Enfin, la question du coursier est sans conteste la plus importante, car c’est à partir de l’inclinaison et de la capacité de ce dernier que va se former l’énergie cinétique et par là enclencher le processus de mouture. Sur ce point, nous constatons, d’après l’iconographie, un agencement approchant celui décrit par les textes qui demandera cependant à être confirmé.

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Alain BELMONT, op. cit., pp.70 à 73 et p. 22 : « L’espace entre le réservoir et le moulin peut figurer tout aussi bien une large digue qu’un espace vide franchi par un coursier de bois - un canal ou un tronc d’arbre évidé par exemple ; dans ce dernier cas, le réservoir serait maintenu par un mur faisant barrage »

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Alain BELMONT, op. cit., p. 71 : « Ce bloc ne repose pas sur un plan horizontal, mais est incliné à 35° selon une pente ouest-est. Son pendage comme sa situation assez éloignée du mur M8 incitent à ne pas voir dans ce bloc le résidu d’un effondrement du mur pignon du moulin mais plutôt l’indice d’une digue maçonnée située en amont du moulin. »

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Déversoir : Voir supra (moulin de Voiron)

, indispensable lorsque la retenue est pleine et la trémie vide. Trois hypothèses peuvent être alors avancées à son sujet. D’abord, la dérivation peut s’effectuer à la

165 hauteur du barrage. Ce serait la solution la plus simple puisqu’une structure est déjà présente. Si tel n’est pas le cas, une vanne a pu être implantée sur le côté oriental de la serve, à un niveau plus bas que celui du coursier. Enfin, à l’intérieur même de la chambre d’eau, une palanque, ou planche escamotable, peut effectivement être actionnée par le meunier à partir de la chambre de mouture467

b) Les mécanismes

. Cette planche vient alors se glisser entre le canon et la roue, obstacle infranchissable pour l’eau qui n’a d’autre choix que de se diriger directement vers le canal de fuite de la chambre des eaux.

Il va sans dire que ces trois méthodes ont pu être représentées dans ce moulin, mais une fois de plus la fouille le déterminera.

Le système hydraulique du moulin de la Correrie est donc tout à fait représentatif des diverses descriptions données par les textes. Toutefois, comme la fouille de ce dispositif n’a pas encore eu lieu, et que les sources écrites ne sont guères prolixes à son égard, il est trop tôt pour conclure véritablement.

Ainsi que le coursier le laissait présager, c’est bien un rodet qui équipait le moulin des Chartreux468

Les futures campagnes de fouille révéleront probablement un grand nombre de ces mécanismes, l’environnement humide favorisant en plus la conservation du mobilier en bois

et à la suite de celui-ci, un arbre entrainait un couple de meules.

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. L’intérêt que représente ce mobilier, de quelques matières qu’il soit fait, serait considérable. En effet, peu de ces mécanismes ont été découverts et interprétés comme tel, et le vocabulaire technique provenant des textes pose toujours d’épineux problèmes d’interprétation470

467

Henri AMOURIC, op. cit., tome 2, planche 82.

468

Alain BELMONT, op. cit., pp. 21-22.

469

Alain BELMONT, op. cit., p. 61 : « La fouille des niveaux laissés en place devrait en principe livrer des éléments de la roue horizontale (le « rodet ») - macro-restes végétaux, clous, pièces métalliques de renfort, ainsi que la « crapaudine », cette pierre sur laquelle l’axe moteur du tournant venait s’appuyer, et que le frottement finissait par percer d’un trou circulaire. »

470

Henri AMOURIC, op. cit., tome 1, p. 130.

. La réunion d’une documentation archéologique à ce sujet constituera donc un apport fondamental à la connaissance de la meunerie médiévale.

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c) Le bâtiment

« L’aspect général du bâtiment réservait de belles surprises. Alors que nous pensions trouver un édifice de taille relativement modeste – quelques mètres de côté tout au plus – et construit essentiellement en bois, est apparu un ouvrage en pierre et d’une ampleur à la mesure des bâtiments du monastère et de la correrie : imposante. »471

La découverte de clous de charpente, ou clavis chapellutis (objets 1, 15 et 29)

Le ton est donné pour un bâtiment de 13, 65 mètres de long sur probablement un peu plus de 6 mètres de large. Le bâti, constitué de gros à moyens appareils, semble décalé par rapport à ce que nous avons pu remarquer dans le baillage du Grésivaudan. Les comptes de châtellenies ainsi que les maîtres des œuvres décrivent des artifices faits de bois avant tout, la pierre n’étant que peu représentée. Toutefois, nous pourrions rapprocher le moulin de la correrie des artifices de La Mure (Beymondo), de Saint-Laurent-du-Pont ou encore d’Entraigue. Ces moulins ont en effet une structure de pierre importante, et des dimensions similaires (5 toises de long pour celui de La Mure).

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, pose la question de la place du bois dans ce cadre de pierre. Des superstructures ont pu être installées sur des soubassements en pierres, mais ont aussi pu être réduites à la charpente et à un plancher si toutefois le moulin comportait plusieurs étages. La présence de cloisons est peu probable en raison des murs de refends M4 voire M9473

L’espace entre les murs M4 et M9 est problématique . 474

Les chartreux ont donc bâti un moulin à leur stature, destiné à « impressionner les visiteurs »

. Une des hypothèses voudrait qu’il servît pour un autre canal de fuite. Elle sera vérifiable, d’une part si une chambre d’eau supplémentaire est mise au jour, et d’autre part si un coursier supplémentaire est avéré. Nombre d’artifices cités dans les textes en possèdent plusieurs, car c’est la seule manière de faire mouvoir un couple de meules en sus du premier. Sa présence pourra être déterminée par l’existence d’une prise double au niveau de la digue de la serve ainsi que par l’extension du coursier.

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471

Alain BELMONT, op. cit., p. 40.

472

Alain BELMONT, op. cit., p. 79.

473

Alain BELMONT, op. cit.,:p. 42.

474

Alain BELMONT, op. cit., p. 59.

475

Alain BELMONT, op. cit., p. 52.

167 Pour cela, ils n’ont pas hésité à mettre les moyens tant matériels, humains que financiers, qui ont certainement été sans commune mesure avec ceux employés dans les divers chantiers delphinaux.

Bien que situé dans une vallée de moyenne montagne, perchée à plus de 900 mètres d’altitude, il s’apparente bien plus à un moulin urbain qu’à un artifice rural. En effet, les seuls bâtiments qui prêtent à comparaison sont ceux de La Mure, de Saint-Laurent-du-Pont ou d’Entraigue. Installé à l’entrée du domaine des Chartreux (le Pas de la Porte est à 300 mètres à l’ouest), il avait donc bel et bien une fonction symbolique, en vue de marquer la puissance de l’ordre en plus de sa fonction alimentaire. Il va sans dire que le moulin est au même titre qu’un donjon un élément central de la féodalité et surtout de sa mise en scène.

Malgré ceci, l’installation reste représentative de la meunerie médiévale en Dauphiné, aussi bien pour le système hydraulique que pour le processus de mouture. Considérable dans sa conception, le moulin de la correrie reste donc résolument classique dans ses caractéristiques.

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