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CHAPITRE 2 MOTIVATION ET OBJECTIFS

2.1 Motivation et hypothèse

Au cours des cinquante dernières années, plusieurs chercheurs ont étudié l’impact des défauts d’imprégnation et de réticulation des pièces composites à haute performance sur leurs propriétés finales après l’étape de mise en œuvre. En occurrence, il a été rapporté dans la littérature scientifique que les bulles et les inclusions de gaz dans les pièces composites à matrice polymère avaient une influence significative sur leur fini de surface (Lee, Lee et al. 2002), sur leur absorption d’humidité (Shenoi, Wellicome et al. 1993), sur l’abrasion prématurée du renfort fibreux (Saidpour and Tehranchi 2001), sur leurs propriétés mécaniques finales (Greszczuk 1967; Bascom and Romans 1968; Kohn, Sands et al. 1968), sur l’initiation et la propagation de fissures dues à l’effet de concentration de contraintes (Chambers, Earl et al. 2006), sur la résistance à l’impact (Anderson and DeLacy 1972; Lee and McGarry 1976) ainsi que sur la diminution de la vie en fatigue (Stringer 1987; Lambert, Chambers et al. 2012). Toutefois, la vaste majorité des travaux expérimentaux publiés jusqu’à présent ont porté sur la mise en relation de la teneur en vides contenue dans les pièces composites et leurs propriétés mécaniques finales.

À cet effet, de nombreux travaux de recherche sur les pièces composites fabriquées à partir de renforts pré-imprégnés ont établi une corrélation entre l’augmentation de la teneur en vides contenue dans ces pièces et la détérioration de leurs performances mécaniques (Olster 1972; Judd and Wright 1978; Bowles and Frimpong 1991; Ghiorse 1993). Certains chercheurs se sont particulièrement intéressés à l’impact de ces vides sur les performances en traction et en compression des pièces composites (Schultz 1969; Lenoe 1970; Stringer 1987). Néanmoins, les propriétés mécaniques étudiées dans la plupart des essais expérimentaux étaient plutôt la résistance interlaminaire au cisaillement (ILSS) et la résistance à la flexion en trois points (S- 3PBT). Le module de rigidité (M-3PBT) des pièces composites, obtenu par des tests de flexion en trois points, était également considéré lors de ces études mais les corrélations obtenues furent moins fortes que pour les propriétés ILSS et S-3PBT. Noter que les propriétés ILSS et S-3PBT des pièces composites sont totalement ou partiellement dictées par les propriétés mécaniques

intrinsèques de la matrice polymère et de l’interface renfort-matrice. Par conséquent, il est tout à fait logique que les bulles qui sont présentes à l’interface renfort-matrice et dans la matrice aient un impact plus notable sur les propriétés mécaniques des pièces composites qui dépendent directement de l’état de la matrice et de l’interface. Selon les travaux de Judd et Wright, chaque augmentation de 1% de la teneur en vides dans les pièces composites utilisant des renforts pré- imprégnés entraîne une diminution de 7% de leur résistance interlaminaire au cisaillement, pour une teneur en vides comprise entre 0 et 4% (Judd and Wright 1978). De son côté, Ghiorse a plutôt rapporté une diminution de 9.7% de la résistance interlaminaire au cisaillement et une diminution de 10.3% de la résistance à la flexion en trois points pour chaque augmentation de 1% de la teneur en vides comprise entre 0 et 5% (Ghiorse 1993). Il apparaît donc évident que la minimisation de ces défauts d’imprégnation est critique pour garantir la performance mécanique des pièces composites ainsi que leur certification, d’où le critère d’admissibilité établi à 1% pour la teneur en vides dans les pièces aéronautiques (Jeong 1997).

Or, pour les pièces composites mises en forme par les procédés LCM, peu de données expérimentales mettant en relation leurs performances mécaniques et leurs teneurs en vides sont disponibles à l’heure actuelle. Puisque les mécanismes d’imprégnation actifs pendant le remplissage des renforts fibreux secs sont différents de ceux qui ont cours lors de la mise en forme des renforts pré-imprégnés en autoclave, de telles données expérimentales sur les pièces composites fabriquées par les procédés LCM seraient donc pertinentes. Parmi les quelques résultats publiés sur le sujet, il convient de souligner les contributions de Varna, Joffe et al. ainsi que celles de Leclerc et Ruiz qui ont effectué des essais mécaniques en traction sur plusieurs pièces composites mises en forme par le procédé RTM (Varna, Joffe et al. 1995; Leclerc 2008; Leclerc and Ruiz 2008). En modifiant les conditions de remplissage et d’imprégnation de leurs pièces composites, ces deux groupes d’auteurs ont pu faire varier la teneur en vides contenue dans leurs pièces ainsi que leurs morphologies. De cette façon, ils ont mis en lumière l’impact de ces deux paramètres sur les performances mécaniques des pièces composites.

Au cours de ces deux études, des variations significatives de propriétés mécaniques des pièces composites ont été observées en fonction de l’augmentation des teneurs en vides mesurées dans

les pièces. Dans l’étude de Leclerc et Ruiz, il a été rapporté qu’une augmentation de 1.2 % de la teneur en vides (de 0.8% à 2%) avait engendré une diminution de 11% du module de rigidité, peu importe s’il s’agissait de bulles microscopiques ou macroscopiques (Leclerc 2008; Leclerc and Ruiz 2008). En revanche, une augmentation de 1% de la teneur en vides (de 1% à 2%) dans ces mêmes échantillons composites renforcés d’un tissu de verre bidirectionnel a entraîné une diminution de 18% de la résistance en traction en fonction du type de bulles emprisonnées (Leclerc 2008; Leclerc and Ruiz 2008). La nature, la position et la morphologie des bulles emprisonnées dans les pièces composites semblaient donc avoir un impact sur leurs mécanismes de rupture en traction. D’un autre côté, Varna, Joffe et al. ont plutôt étudié les propriétés mécaniques transverses de plusieurs échantillons composites renforcés d’un tissu de fibres de verre unidirectionnel à l’aide d’essais de traction (Varna, Joffe et al. 1995). Lors de ces essais mécaniques transverses, les auteurs ont utilisé des données in situ d’émission acoustique et de microscopie optique afin de suivre et d’analyser les mécanismes de fissuration et de rupture des échantillons pendant les essais mécaniques en fonction du type de bulles emprisonnées. De plus, les auteurs ont mesuré la déformation à la rupture, la résistance à la traction, le module de rigidité, la contrainte ainsi que la déformation lors de la détection de la première fissure. Ces chercheurs ont observé que les échantillons contenant les teneurs en vides les plus élevés étaient ceux qui contenaient également la plus grande proportion de bulles macroscopiques. Une diminution de 17% du module de rigidité transverse a été mesurée pour une augmentation d’environ 5% de la teneur en vides (de 0.4% à 5%). De plus, une augmentation significative de la déformation à la rupture a été enregistrée pour cette même augmentation de 5% de la teneur en vides. L’effet de la teneur en vides sur la résistance en traction transverse s’est toutefois révélé négligeable. Finalement, il a été noté, à l’aide de l’émission acoustique, qu’une augmentation de la teneur en vides engendrait une apparition prématurée de la fissuration.

À titre comparatif, des essais mécaniques et des mesures de teneurs en vides ont été réalisés dans la présente thèse sur des échantillons composites renforcés de 6 plis d’un tissu de verre NCF bidirectionnel (TG15N60A de JB Martin). Tous ces échantillons ont été prélevés de pièces composites également mises en forme par le procédé RTM. La matrice polymère utilisée pour ces pièces était une résine vinyl ester Derakane Momentum 411-350™ de Ashland post-cuite. Les essais mécaniques de flexion en trois points (3PBT) et de cisaillement interlaminaire « Short

Beam Shear Test » (SBST) ont été réalisés respectivement dans le cadre des normes ASTM D790

et D2344 afin de mesurer la résistance à la flexion en trois points et la résistance interlaminaire au cisaillement des échantillons sélectionnés. Les deux montages sont présentés à la Figure 2-1. À cet effet, 150 essais de flexion en trois points ont été réalisés ainsi que 50 essais de cisaillement interlaminaire de type SBST. De leur côté, les mesures de teneurs en vides ont été réalisées par des essais de carbonisation conformément à la norme ASTM D4762.

(a) (b)

Figure 2-1 : Montages utilisés pour la réalisation des essais mécaniques de flexion en trois points (a) et de cisaillement interlaminaire de type SBST (b).

Les résultats expérimentaux sont graphiquement présentés aux Figure 2-2 et Figure 2-3. Les tendances expérimentales obtenues lors de ces essais sont relativement cohérentes avec les tendances précédemment introduites dans ce chapitre et disponibles dans la littérature scientifique. En effet, une diminution d’environ 10% de la contrainte ultime en cisaillement interlaminaire lors des essais SBST est observée à la Figure 2-3 pour chaque augmentation de 1% de la teneur en vides comprise entre 0 et 3%. Toutefois, une diminution de seulement 4% de la contrainte ultime en essai de flexion en trois points est observée à la Figure 2-2 pour chaque augmentation de 1% de la teneur en vides comprise entre 0 et 3.5%.

Figure 2-2 : Corrélation entre la contrainte ultime obtenue lors de 150 essais de flexion en trois points et la teneur en vides obtenue par essai de carbonisation.

Figure 2-3 : Corrélation entre la contrainte ultime obtenue lors de 50 essais de cisaillement interlaminaire de type SBST et la teneur en vides obtenue par essai de

carbonisation.

Malgré les deux tendances observées ci-dessus, il est important de rappeler que les résultats obtenus lors de ces essais mécaniques démontrent une variabilité significative, surtout pour de faibles teneurs en vides. Cette variabilité tire son origine de plusieurs causes. Tout d’abord, la

caractérisation de la teneur en vides par carbonisation pour un échantillon donné ne fournit aucune information sur la morphologie de ces vides, sur leur position dans l’échantillon ni même sur les mécanismes de rupture de l’échantillon, à savoir une rupture adhésive, cohésive fragile ou cohésive ductile (Mandell and Tsai 1990). Tel que mentionné précédemment, tous ces paramètres qui ne sont pas pris en compte dans cette étude comparative ont un impact notable sur les performances mécaniques des pièces composites. Cette réalité découle en bonne partie du fait que l’état des contraintes n’est pas uniforme dans l’épaisseur des échantillons sollicités lors des essais de flexion en trois points et de cisaillement interlaminaire. De plus, dans le cadre des essais de flexion en trois points, les efforts internes développés dans les échantillons composites n’étaient pas purement tranchant ou fléchissant. Il s’agissait plutôt d’une combinaison des deux types d’effort, ce qui peut rendre l’interprétation du mode de rupture plus complexe. Enfin, puisque cette technique de mesure de la teneur en vides par carbonisation est destructive, elle n’a donc pas pu être appliquée simultanément sur les échantillons ayant servi pour les essais mécaniques. Par conséquent, les valeurs de teneurs en vides associées aux échantillons des essais mécaniques ont dû être déduites par interpolation. Ces valeurs ont été interpolées à partir des valeurs de teneur en vides mesurées sur des échantillons adjacents aux échantillons pour les essais mécaniques. Afin de contourner ce problème, des outils de contrôle non-destructif tels que l’analyse par transmission d’ultrasons ou le tomographe à rayon-x seraient plus appropriés (Jeong 1997; Lambert, Chambers et al. 2012).

Toutefois, à la lumière des tendances et des résultats expérimentaux présentés dans cette section, l’hypothèse voulant qu’il existe une corrélation entre la détérioration des propriétés mécaniques des pièces composites et l’augmentation de la teneur en vides contenue dans ces pièces est confirmée. Par conséquent, il devient critique de développer des stratégies de contrôle des procédés LCM qui permettront d’améliorer l’imprégnation des renforts fibreux et de minimiser la formation de bulles par emprisonnement d’air. À cet égard, les deux hypothèses principales de cette thèse stipulent ce qui suit :

- Tout d’abord, il existe des paramètres critiques à la mise en forme des pièces

composites par les procédés LCM influençant directement la formation de bulles par emprisonnement d’air, leur transport ainsi que leur dissolution.

- Finalement, il existe des conditions optimales de remplissage et d’imprégnation des

renforts fibreux à porosité bimodale permettant de minimiser la formation de ces bulles par emprisonnement d’air.

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