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MOTIVATION, CONCEPT DE SOI ET ACQUISITIONS MUSICALES

Partie 1 : Aspects théoriques

4- MOTIVATION, CONCEPT DE SOI ET ACQUISITIONS MUSICALES

ACQUISITIONS MUSICALES

Les études portant sur les effets de la motivation sur la réussite en musique sont essentiellement anglo-saxonnes. Les systèmes éducatifs français et anglo-saxons comportant bien des différences, l’utilisation de ces résultats doit être faite avec prudence. Par ailleurs, la réussite en musique est traitée en relation avec deux objets relativement distincts dans la littérature : la réussite dans l’enseignement spécialisé (telle que la réussite instrumentale) et la réussite dans le système scolaire général : si notre étude relève de la deuxième perspective, elle tirera utilement parti des résultats des recherches issues de la première. Par ailleurs, si la place importante qu’occupe la musique dans les loisirs des adolescents invite à penser que leur motivation pour ce domaine d’apprentissage est acquise, les abandons massifs dans l’enseignement spécialisé témoignent que ce n’est pas le cas. Des mécanismes complexes lient en effet réussite, motivation et concept de soi.

4-1 La motivation et le concept de soi influencent la réussite

dans le domaine musical

De nombreuses études établissent l’effet de la motivation sur la réussite en musique (Asmus, 1994 ; Maehr, Pintrich & Linnenbrink, 2002). C’est le cas envers l’apprentissage instrumental (Hallam, 1998) comme dans l’enseignement général (Austin & Vispoel, 1998). Or, dans le cadre de la théorie dite expectations-valeur (expectancy-value), Eccles et son équipe montrent qu’à l’exception du sport les expectations des élèves (la représentation qu’ils se font de leur capacité à réussir une tache dans le futur) diminuent au cours des niveaux élémentaires (Wigfield & al.,

1997, cités par Maehr, Pintrich & Linnenbrink, 2002). Cette étude montre surtout que c’est en musique instrumentale qu’elles baissent le plus fortement (les autres disciplines étudiées étant l’anglais, les mathématiques et le sport). Ce phénomène, observé dans d’autres matières scolaires au niveau du collège, concerne donc également l’éducation musicale, nous verrons que d’autres approches théoriques proposent des éléments d’explication.

Par ailleurs, la plupart de ces études établissent également l’existence d’un lien entre la motivation et le concept de soi en musique. Austin et Vispoel notent que les corrélations fortes qui existent entre ces deux concepts dans le domaine musical sont plus importantes que celles observées dans les autres disciplines (Austin & Vispoel, 1998). En musique comme dans les autres matières, le concept de soi est constitué d’une dimension relative à l’évaluation que les individus font de leur valeur dans un domaine, ainsi que d’une dimension relative au rapport que les individus entretiennent avec ce domaine. Or, là encore, les résultats montrent que les attitudes des enfants envers la musique diminuent avec le temps. Mizener montre ainsi que les attitudes positives des élèves des niveaux élémentaires envers le chant diminuent dans toutes les dimensions : envers le chant, la participation à la chorale, les activités du cours, le chant hors de l’école (Mizener, 1993).

Enfin, l’étude de Mizener corrobore les résultats d’autres études (Asmus, 1994) en montrant également que le concept de soi est lié avec la réussite : les élèves qui pensent avoir des compétences vocales, qui sont intéressés par les activités du cours ou qui chantent dans une chorale obtiennent de meilleures performances vocales que les autres.

Notre étude portant sur la première année du collège, les attitudes des élèves envers le cours d’éducation musicale devraient être encore assez fortement positives. Cependant, il était nécessaire de vérifier si les résultats des recherches anglo-saxonnes s’appliquaient au système éducatif français. Nous avons donc cherché à savoir d’une part, comment les élèves considéraient les différentes activités qu’ils pratiquaient en cours (chant, écoute, pratique instrumentale et rythmique, langage musical), et, d’autre part, si cet intérêt avait un effet sur leurs acquisitions musicales en fin d’année.

Cependant, le sens des relations n’est pas clairement défini (par exemple, réussi-t-on mieux parce qu’on est plus motivé ou est-on d’autant plus motivé que l’on réussi mieux ?). Par ailleurs, si important soit-il, le constat de l’existence de liens entre motivation, concept de soi et réussite ne permet pas d’engager des actions pour tenter d’y remédier : il faut pour cela connaître les facteurs qui sont en cause et tenter de comprendre les mécanismes sous jacents.

4-2 Des facteurs individuels de la motivation et du concept de

soi

4-2-1 Le don : une attribution interne invoquée à tort en musique

Divers cadres conceptuels ont été appliqués à l’étude de la motivation en musique, parmi lesquelles les théories de l’attribution. Ces théories reposent sur l’évocation, par l’individu, de causes internes ou externes pour expliquer la réussite ou l’échec d’une performance. Les causes possibles relèvent principalement de quatre catégories : l’habileté et l’effort qui sont considérés comme des attribut internes à l’individu, ainsi que la difficulté de la tache et la chance qui sont, elles, considérées comme des attributs externes.

Schmidt montre que les élèves qui participent à une chorale attribuent tous leur réussite en musique vocale à des facteurs internes, qu’il s’agisse de facteurs stables ou instables (Schmidt, 1995). Austin et Vispoel montrent par ailleurs que le niveau des attributions à l’effort est exceptionnellement bas qu’il s’agisse d’expliquer le succès ou l’échec en musique (Austin & Vispoel, 1998). Dans l’ensemble, les élèves ne semblent donc pas penser que leurs résultats sont le fruit de leur travail mais que les compétences musicales sont stables et incontrôlables. Notons pourtant que l’échantillon à partir duquel ces résultats ont été obtenus était majoritairement constitué d’individus des classes moyennes et supérieures et qui avaient pris des cours de musique pendant deux à trois années.

Guirard propose quant à lui une explication qui rend compte de la diminution des attitudes positives envers la musique ainsi que des diverses attributions mobilisées pour expliquer la performance (Guirard, 1997). En effet, les théories de l’attribution reposent sur un traitement de l’information par l’individu. Celui-ci peut se tromper dans son interprétation des régularités qu’il observe. Ainsi, plus un phénomène est complexe plus les attributions qu’il fera pour l’expliquer seront soumises à des erreurs ou biais. Guirard cite ainsi les théories naïves de l’intelligence qui égareraient les élèves vers de fausses pistes explicatives : mis en présence d’élèves qui apprennent la musique depuis plusieurs années, les élèves qui n’apprennent pas la musique en dehors de l’école attribuent la réussite de ceux-ci à un don musical qu’eux-mêmes ne possèderaient pas. Les diffusions médiatiques renforcent ce phénomène en offrant une image de perfection qui semble inégalable aux élèves. Les élèves musiciens jouent un rôle également en oubliant qu’ils ont mis des années à acquérir leurs compétences et en finissant eux aussi à penser en terme de don (Guirard, 1997 ; Bourdieu, 1979 ; Green, 1988).

Or, ces mauvaises attributions sont néfastes à la motivation et à l’apprentissage puisque les élèves qui pensent en terme de don n’envisagent pas que le travail puisse avoir un effet sur la réussite. Nous avons donc cherché à savoir si les attributions avaient des effets sur la réussite en éducation musicale, et si ceux-ci différaient en fonction du caractère interne ou externe des attributions. Nous avons mentionné le don parmi les attributions possibles de l’échec comme de la réussite.

4-2-2 Le genre influence la motivation et le concept de soi en musique

Une littérature abondante établi le fait que le genre a un effet sur de nombreux aspects des pratiques musicales. Par exemple, les préférences instrumentales et stylistiques des adolescents varient en fonction de divers facteurs dont le sexe (voir par exemple Hargreaves, Comber & Colley, 1995 ; Fortney, Boyle & DeCarbo, 1993 ; Delzell & Leppla, 1992 ; Sinsel, Dixon & Blades-Zeller, 1997). Delzell et Leppla (Delzell & Leppla, 1992) montrent ainsi la persistance dans le temps de

représentations qui situent les instruments sur un continuum allant du plus « masculin » au plus « féminin » (les percussions, le trombone, la trompette, le saxophone, le violoncelle, la clarinette, le violon et la flûte).

Mizener montre elle aussi que le sexe a un impact sur les attitudes envers les activités vocales, celles des filles étant généralement plus positives que celles des garçons (Mizener, 1993). Pourtant, elle précise que les élèves considèrent dans l’ensemble que le chant convient aussi bien aux individus des deux sexes. La raréfaction des exemples d’hommes participant à des chorales dans la société (Gates, 1989) semble à l’origine d’une certaine réticence des garçons à déclarer qu’ils apprécient chanter. Les représentations véhiculées par la société peuvent donc conduire les garçons à éviter certaines pratiques, telles que l’apprentissage de certains instruments (Fortney, Boyle & DeCarlo, 1993). Si la société française présente bien des différences avec la société américaine ou avec la société britannique, les pratiques musicales masculines n’y sont pas mieux représentées : les interprétations précédentes sont donc applicables au cas français. Cependant, la motivation et l’estime de soi relèvent également d’interactions entre l’élève et son environnement immédiat, à savoir sa famille et son contexte de scolarisation.

4-2-3 Effets du milieu familial et des pairs sur la motivation et le concept de soi

Les conduites musicales des parents influencent non seulement les pratiques de leurs enfants mais également leur motivation et leur concept de soi dans le domaine musical. Ainsi, les filles invoquent plus souvent que les garçons les encouragements de leurs parents face à leurs efforts en chant ainsi que le fait que les parents chantent avec eux (Mizener, 1993).

Par ailleurs, Guirard montre combien l’idéologie du don est prégnante dans notre société (Guirard, 1997). Or, c’est tout d’abord au sein de la famille que ce type de représentations se construit. Comme nous l’avons vu, les pairs contribuent eux-aussi à renforcer cette attribution erronée.

D’autre part, les pairs peuvent également influer sur la motivation et le concept de soi en réagissant à des situations qu’ils trouvent inhabituelles. Ainsi, si un garçon joue d’un instrument qui a tendance à être connoté féminin, il pourra encourir les railleries de ses camarades (O’Neill & Green, 1999).

Par ailleurs, l’un des mécanismes par lesquels agirait le school mix (les caractéristiques du groupe d’élèves dans la classe ou dans l’établissement), est le peer effect : les interactions entre élèves contribueraient à créer des conditions d’apprentissage plus ou moins favorables selon les classes, voire selon les caractéristiques personnelles de chaque élèves. Les interactions entre pairs entraîneraient des processus psycho sociaux qui produiraient des normes de groupe et modèleraient les attitudes des élèves. Les comportements individuels s’en trouveraient modifiés et les acquisitions seraient ainsi plus ou moins favorisées ou entravées selon les élèves et les contextes (Duru-Bellat, 2003). Ainsi, les effets de composition du groupe d’élèves peuvent également influencer la motivation et le concept de soi des élèves.

Nous nous sommes donc intéressés à l’effet du sexe sur l’intérêt des élèves pour les activités du cours d’éducation musicale. De même, le soutien parental s’avérant important, il nous a semblé intéressant de vérifier si les pratiques parentales expliquent d’éventuelles différences dans l’intérêt déclaré par les enfants. Enfin, nous avons voulu vérifier si le fait de pratiquer la musique en dehors de l’école et, notamment, de prendre des cours spécialisés avait un effet positif sur l’intérêt des élèves pour les activités du cours.

Cependant, les activités du cours sont variées de même que les pratiques pédagogiques mobilisables pour les enseigner : les effets des caractéristiques du contexte de scolarisation sur la motivation et le concept de soi en éducation musicale sont donc à prendre en considération.

4-3 Implications et hypothèses

Les études précédemment citées montent que la motivation, le concept de soi et la réussite scolaire sont liés. Par ailleurs, ni la réussite dans l’apprentissage musical spécialisé, ni celle de l’éducation musicale dans les pays anglo-saxons n’échappent à ces facteurs. Il nous a donc semblé intéressant de vérifier si, dans le contexte français, les acquisitions en éducation musicale dépendaient, d’une part, de la motivation des élèves, et, d’autre part, de leur concept de soi appréhendé par leur niveau d’intérêt pour les activités du cours. Par ailleurs, il nous a semble utile d’étudier les facteurs qui pouvaient influer sur ce niveau d’intérêt (rappelons que les effets enseignants ont été traités dans le chapitre précédent).

1°) En ce qui concerne les effets de la motivation des élèves sur les

acquisitions nous faisons l’hypothèse suivante :

- les élèves qui attribuent leur performance à des causes internes, instables et

contrôlables, ont de meilleures acquisitions finales, toutes choses étant égales par ailleurs, que les autres élèves

2°) En ce qui concerne les effets de l’intérêt des élèves pour les activités du cours, nous faisons l’hypothèse suivante :

- plus les élèves seront intéressés par les activités du cours meilleures seront

leurs acquisitions en éducation musicale

3°) En ce qui concerne les facteurs (non relatifs aux effets enseignants) qui influent sur l’intérêt des élèves, nous faisons les hypothèses suivantes :

- les pratiques musicales hors éducation nationale sont liées à un plus grand

intérêt pour les activités du cours

- les filles sont plus intéressées que les garçons

- les pratiques musicales des parents sont liées à un plus grand intérêt de la

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