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Les moteurs de recherches comme responsable de traitement : une nouvelle

Chapitre 2. Une prérogative non absolue en concurrence avec d’autres droits

A. Les moteurs de recherches comme responsable de traitement : une nouvelle

En les reconnaissant responsables de traitement, les moteurs de recherches se sont vus attribuer une nouvelle responsabilité. Ils sont désormais chargés d’effectuer un contrôle de proportionnalité entre les différents droits et libertés. Ils se voient donc octroyer un rôle qui est d’ordinaire confié aux autorités judiciaires (1). Cela n’est pas sans conséquence, il y a notamment un risque d’aboutir à des décisions opaques (2). En effet, la réalité démontre que l’on ne sait pas réellement ce qui motive les décisions prises par ces nouveaux responsables de traitement. Cela nuit également à toute prédictibilité judiciaire.

1. Un rôle d’ordinaire confié aux autorités judiciaires

Afin d’arbitrer entre les différents droits, une mise en balance doit être effectuée. Celle-ci, et c’est l’objet de nombreuses critiques, est réalisée par les entreprises privées au moins au départ. Effectivement, le Règlement général sur la protection des données388 met ce contrôle de proportionnalité dans les mains des responsables de traitement389. Depuis

l’affaire Google Spain390, les moteurs de recherche reçoivent la qualification de « responsable de traitement » de sorte qu’une nouvelle responsabilité pèse sur eux391. Ils

sont chargés d’arbitrer entre les différents intérêts de façon beaucoup plus astreignante que ce qui était auparavant prévu par la directive commerce électronique392. Antérieurement, il

leur était simplement demandé de supprimer les contenus qui étaient « manifestement illicites393 ».

Néanmoins, cette confrontation entre les différentes prérogatives n’est pas purement laissée à la discrétion des moteurs de recherche. En effet, lorsque le responsable de traitement ne donne pas suite à une demande d’exercice du droit à l’oubli qui lui a été adressée, le demandeur peut saisir l’autorité judiciaire ou encore l’autorité de contrôle afin que « celles- ci effectuent les vérifications nécessaires et ordonnent à ce responsable des mesures précises en conséquence 394». Ainsi, il ressort de tout cela que la Cour de justice de l’Union

européenne a, avec l’affaire Google Spain, accru considérablement le rôle des moteurs de recherche.

Avec cette nouvelle responsabilité qui leur incombe, les entreprises privées se voient désormais confier une fonction qui est d’ordinaire attribuée à l’autorité judiciaire, ou de façon plus exceptionnelle au juge administratif. Au Canada, il en va de même sur ce point puisqu’il appartient aux tribunaux d’arbitrer entre les différentes valeurs.

388 Règlement général sur la protection des données, supra note 14.

389 Blandine POIDEVIN et Florent PINCHON, « Le droit à l’oubli à l’aune du RGPD », Village de la justice (mars

2019), en ligne : <https://www.village-justice.com/articles/droit-oubli-aune-rgpd-par-blandine-poidevin- florent-pinchon-avocats,31030.html>.

390 Google Spain, supra note 16. 391 Ibid.; Yann PADOVA, supra note 340.

392 Directive du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des

services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur,

(2000), 2000/31/CE, en ligne : <https://eur-lex.europa.eu/legal-

content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32000L0031>.

393 Loi pour la confiance dans l’économie numérique, Supra note 165. 394 Google Spain, supra note 16 au par. 77.

2. Le risque d’aboutir à des procédures opaques

Le fait que ce soient des entreprises privées qui sont chargées de juger d’entre les différentes valeurs n’est pas sans poser son lot de difficulté. C’est d’ailleurs ce que dénoncent les auteurs qui rappellent que

« Ce sont des acteurs privés qui doivent, en l’état, interpréter la solution de l’arrêt

Google Spain, et ainsi trouver le juste équilibre entre la vie privée des personnes dont le déréférencement est demandé, et la liberté d’information des internautes, alors qu’il revient normalement au juge judiciaire de faire la balance entre des droits et libertés fondamentaux en présence395 ».

Ils terminent en précisant qu’un tel procédé pourrait conduire à des décisions arbitraires. Afin de paralyser d’éventuelles décisions qui s’avèreraient trop subjectives, le Conseil d’État français s’est prononcé. Dans son rapport de 2014 sur le numérique et les droits fondamentaux, il insiste sur le fait que :

« les procédures définies par les exploitants doivent permettre à l’éditeur du site de faire ses observations, notamment au sujet de l’intérêt du public à avoir accès à l’information, et le cas échéant, de saisir le juge, seul à même de procéder à la conciliation des libertés fondamentales et à un juste équilibre entre les droits et intérêts en présence396 ».

Ainsi, les responsables doivent fournir un minimum d’indications sur les motivations qui les ont conduites à prendre leurs décisions. La réalité est tout autre puisque les procédures sont opaques, les décisions prises par les moteurs de recherche sont mouvantes nuisant alors à toute prédictibilité de la justice. L’on ne sait pas ce dont il est réellement tenu compte dans la prise de décision397. Le Conseil d’État précise également que dans la procédure de

déréférencement, trois acteurs sont impliqués à savoir le demandeur, le moteur de recherche et l’éditeur du site398. Ainsi, il semblerait idoine que l’exploitant du moteur de

recherche organise un débat entre ces acteurs afin de décider du déréférencement de la façon plus éclairée possible399. En pratique, les choses ne se passent pas comme cela ce

395 Anne-Sophie UCELLO-JAMES et Thibaud LE CONTE DES FLORIS, « Données personnelles, du droit à l’oubli

au droit à déréférencement », Expertises 2014.397.425-428, 427.

396 CONSEIL D’ÉTAT, supra note 342 à la p. 244.

397 Roseline LETTERON, « Les juges du fond et le droit à l’oubli », Libertés chéries (30 novembre 2019), en

ligne : <http://libertescheries.blogspot.com/search?q=droit+à+l%27oubli>.

398 CONSEIL D’ÉTAT, supra note 342 à la p. 277. 399 Yann PADOVA, supra note 340.

qui est en partie dû à l’investissement que demandent ces procédures aux entreprises privées.

Des précisions ont été apportées par les juges du fond français dans un arrêt de novembre 2019400 afin de guider un peu plus la prise de décision. Les juges du Quai de l’Horloge

indiquent que l’exploitant du moteur de recherche doit refuser une demande de déréférencement lorsque l’information en question est « strictement nécessaire pour protéger la liberté d’information des internautes potentiellement intéressés à avoir accès aux pages internet concernées401 ».