1.2 Les moteurs d’incision et de transport 1.2.1 Les moteurs principaux Allen [2006] a récemment défini le paysage comme un interface entre deux sys-tèmes qui impliquent les différents types de moteurs d’évolution : Landscape is the critical interface between an internal system driven essencially by tectonic fluxes which interacts with an external system dominated by the effects of topography and climate on weathering and erosion. La figure 1.7 expose une vision schématique simplifiée des moteurs principaux influençant l’érosion du paysage. De nombreux travaux ont étudié le rôle de la tectonique, du climat et de la topographie comme moteurs d’érosion, de transport et de dépôt de matières [i.e. Milliman et Syvitski, 1992; Dadson et al., 2003; Whipple et Meade, 2004, 2006]. Ces études ont généralement cherché à établir des liens entre ces moteurs et le taux d’érosion moyen du système. Le taux d’érosion est en effet un proxi des transferts de masse, qu’il soit actuel [Dadsonet al., 2003;Aaltoet al., 2006] ou moyenné sur de longues échelles de temps [Reiners et al., 2003; Burbank et al., 2003; Wobus et al., 2005]. – Des corrélations ont donc été établies entre l’érosion et les cycles climatiques, qu’ils soient saisonniers [Hovius et al., 1998b; Fuller et al., 2003; Restrepo et al., 2006; Molnar et al., 2006] ou représentatifs de cycles plus longs tels que les cycles glaciaires [Mukerji, 1990; Bull, 1991; Poisson et Avouac, 2004; Antoine et al., 2007; Vassallo et al., 2007; Duhnforth et al., 2008]. Certaines études soulignent l’action de la pluviométrie moyenne sur l’érosion [Reiners et al., 2003; Grujic et al., 2006]. D’autres mettent en avant l’action de la variabilité du climat, avec par exemple l’efficacité des évènements extrêmes et des changements climatiques permettant le dépassement de seuils d’érosion [Bonnet et al., 2001;Dadson et al., 2003;Restrepo et al., 2006;Molnar et al., 2006]. – D’autres corrélations fortes existent entre la topographie et le taux d’érosion comme en attestent les travaux de Montgomery et Brandon [2002] présentés dans la figure 1.8. La relation forte entre la pente S et le taux d’érosion se État de l’art Soulèvement U Subsidence Aggradation Exportation vers un système axial (Lac, océan, rivière) Abv Ac bassin versant cône allu vial érosion incision Climat FIGURE 1.7 – Représentation schématique d’un paysage constitué d’une montagne et d’un piémont avec les différents moteurs de transfert de matière. Figure modifiée d’après Allen [2006]; Carretier et Lucazeau [2005] perd cependant lorsque S > 35˚ car les glissements de terrain imposent une pente identique quelque soit le taux d’érosion [Burbank et al., 2003]. 1.2 Les moteurs d’incision et de transport A B FIGURE 1.8 – Correlations entre topographie et taux d’érosion. A. Les taux d’érosion long terme dans les montagnes Olympic (U.S.) sont corrélés avec la pente moyenne. B. Correlations entre le relief local et les taux d’érosion des principales zones tectoniquement actives dans le monde. Figure de Montgomery et Brandon [2002]. – De même, des relations fortes entre tectonique, érosion ou sédimentation ont été révélées [Merrittset al., 1994; Viseras et al., 2003; Burbank et al., 2003; Kirby et al., 2003; Whipple et Meade, 2004]. Ces relations peuvent être di-rectement liées à la vitesse de surrection des chaînes de montagnes [Bonnet et al., 1998; Allen et Densmore, 2000; Hodges et al., 2004], ou aux séismes [Dadson et al., 2003, 2004;Burbank, 2005]. Elles peuvent également être in-duites par la subsidence [Allen et Hovius, 1998; Calvache et al., 1997; Clevis et de Boer W. Nijman, 2003] ou l’eustatisme et les chutes de niveau de base [Blissenbach, 1954; Harvey, 1999; Viseras et al., 2003] qui influent sur les espaces d’accommodation, notamment dans les piémonts. – D’autres relations ont également été établies avec des facteurs qui dépendent indirectement de la tectonique du climat et de la topographie. Ces facteurs peuvent être la végétation [Vanacker et al., 2007] comme le présente la figure 1.9, la lithologie [Aalto et al., 2006] ou encore la nature des sédiments et notamment la granulométrie comme le présente la figure 1.10 État de l’art FIGURE1.9– Corrélation entre taux d’érosion et quantité de végétation. Figure de Vanacker et al.[2007]. Un seuil de couverture végétale semble contrôler l’érosion moyenne des versants. Au dessous de ce seuil, l’érosion des versants augmente de manière exponentielle. FIGURE 1.10– Diagramme explicitant les relations entre la granulométrie, la vitesse de flux d’eau et l’érosion, le transport et la sédimentation des grains dans une rivière d’après Hjul-ström [1935] 1.2 Les moteurs d’incision et de transport – Enfin, certains auteurs ont montré la possibilité d’incisions autocycliques, c’est à dire dépendant seulement du système [Humphrey et Heller, 1995; Coulthardet al., 2002;Nicholas et Quine, 2007a] sans changement de moteurs externes. Ces processus d’auto-organisation des paysages sont encore mal compris notamment de par la difficulté de les repérer dans les cas naturels. Dans les études de cas naturels, les corrélations liant l’érosion (et le transport) à des moteurs externes sont donc nombreuses, parfois contradictoires et il est en-core difficile de déterminer un cadre théorique stable et commun [Molnar, 2003]. De plus, les processus autocycliques tendent à biaiser les correspondances entre inci-sion et changement climatique ou tectonique par exemple et leur prise en compte reste encore un enjeu. Il apparait donc intéressant de chercher à préciser ces relations géomorpholo-giques, notamment en utilisant des approches différentes telles que les modèles analogiques [Muto et Steel, 2004; Babault et al., 2005; Bonnet, 2009] ou numé-riques [Braun et Sambridge, 1997; Tucker, 2004; Nicholas et Quine, 2007b; Carre-tier et al., 2009b; Davy et Lague, 2009] et les études de cas naturels [Bull, 1964; Poisson et Avouac, 2004;Grujic et al., 2006; Vanacker et al., 2007; Vassallo et al., 2007]. Une des grandes questions en suspens est le rôle du climat sur l’érosion, forte-ment débattu dans plusieurs publications récentes [Reiners et al., 2003; Burbank et al., 2003]. Le chapitre 4 sur les taux d’érosion récents des bassins versants du Chili qui sont soumis à un fort gradient climatique Nord-Sud offre un éclairage nouveau sur le rôle du climat, de la pente et de la végétation. État de l’art Dans le document Interactions géomorphologiques et sédimentaires entre bassin versant et piémont alluvial. Modélisation numérique et exemples naturels dans les Andes. (Page 28-33)