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Le précédent chapitre a montré que la partie nord de l’Asie est le plus souvent négligée dans l’étude des relations entre la déformation continentale et l’histoire tectonique (collision Inde-Asie et subduction ouest-Pacifique). Entre les montagnes du Tien-Shan et de Stanovoy, une structure se remarque aisément : la ‘virgule’ du lac Baïkal, avec ses reliefs et ses dépressions adjacentes (Fig. III-1). Il se situe aux limites de deux ‘plaques’ assez mal individualisées, l’Eurasie et le bloc Amour. Ce dernier est parfois subdivisé en une plaque Amour et une plaque Mongolie à l’ouest de 103°E (Zonenshain et Savostin, 1981). Curieusement, l’ensemble Mongolie-Baïkal-Stanovoy est aussi désigné sous le terme de ‘Plateau de Mongolie’ (Windley et Allen, 1993), en dépit de contrastes topographiques évidents. Je réunis ici les informations nécessaires pour décrire puis interpréter l’ensemble Cénozoïque du rift Baïkal, en renvoyant pour plus de détails aux publications de l’Annexe 2. Il s’agit non seulement d’établir des liens avec l’environnement tectonique décrit au Chapitre II à l’échelle de l’Asie, mais également de mieux approcher au travers de cet objet hors du commun les processus menant à l’extension de la lithosphère continentale.

A. Disposition géométrique et évolution tectonique du rift Baïkal

Cette partie a pour but de proposer un schéma d’évolution spatio -temporelle du rift Baïkal en utilisant les observations de surface et de sub-surface. Il s’agira de décrire brièvement la morphologie, la disposition géométrique, l’histoire tectonique, la sismicité, l’évolution des contraintes déviatoriques, et le champ de déformation actuel, avant de critiquer les modèles cinématiques susceptibles de rendre compte de ces observations. Notre tâche prioritaire dès l’engagement de notre étude avec nos partenaires russes a été de reprendre systématiquement la description des traits structuraux majeurs du rift, et tout particulièrement des failles actives. Pour cela nous nous sommes essentiellement basés sur l’analyse d’une trentaine d’images satellitaires SPOT panchromatiques (10 m de résolution au sol) acquises dans le cadre des programmes du CNRS (voir Annexe 1), sur un contrôle quantitatif de terrain, et sur une analyse critique de la très riche bibliographie russe, notamment des escarpements de failles quaternaires. Le travail d’analyse morphotectonique a fait l’essentiel du travail de thèse de Frédérique Houdry (Houdry, 1994), notamment pour la partie nord du rift, complété plus au sud par les DEA de Petit (1993) et Bartoli (1997). L’analyse des mécanismes au foyer des séismes en terme de contraintes sur l’ensemble du rift et leurs implications cinématiques sont détaillées dans la thèse de Carole Petit (Petit, 1996), complétées vers le sud par le DEA de Loncke (1999). Je ne reprends ici que l’essentiel de ces analyses, développe certains points nouveaux, et renvoie pour plus de détails à ces travaux. Les apports successifs majeurs de notre équipe, notamment les plus récents, seront mentionnés en renvoyant à 5 publications reproduites en Annexe 2 (Pub. 2, 5, 7, 8, 10).

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1. Morphologie régionale

Les contrastes morphologiques dans cette région sont très importants (Fig. III-1). Le plus clair, à très grande longueur d’onde, est celui qui oppose la plate-forme sibérienne (cratons Angara et Aldan, altitude ~450 m) aux domaines environnants (~1000 m et plus, Fig. III-2). Il révèle que la faille de Sayan et le lac Baïkal marquent un contact géologique majeur en ‘marche’ dont l’amplitude est une des plus fortes observée en domaine continental (Mooney et al., 1998). Une estimation des épaisseurs de lithosphère thermique (prise comme l’isotherme 1300°C) est de 250±70 km sous le vieux craton archéen Aldan, contre seulement ~100 km sous le Baïkal (Artemieva et Mooney, 1999). Les études en profondeur (anomalies gravimétriques, tomographie) confirment ce contact majeur de plaque (voir Partie B).

Comme déjà observé en Asie (voir Chapitre 1), on retrouve une périodicité dans la topographie du rift et de ses environs (Fig. III-1). Depuis l’Altaï jusqu'à Sayan, une période ‘lithosphérique’ de 150-180 km (Altaï, dépression des ‘Grands Lacs’ (Hubs-Nuur), dôme de Hangaï, chaîne Sayan), déjà rapportée en Asie centrale par Martinod et Davy (1994) et Gerbault et al. (1999), est visible, mais semble perturbée par des structures en dôme large de plus de 200 km et dépassant de plus de 1000 m la topographie environnante, de forme ovoïde (Hangaï, 600 x 300 km, altitude maximum 4000 m ; Hentaï, 3000 m, plus à l’est ; rift Baïkal nord) ou presque circulaire (Sayan-Khubsugul, prolongation septentrionale du dôme de Hangaï ; Léna-Angara, Fig. III-2). Une périodicité ‘crustale’ (30 km) est détectable clairement en plusieurs endroits, comme au sein du rift Baïkal nord (Déverchère et al., 1993, Pub. 2), du sud de l’Altaï, et de la dépression ‘des Grands Lacs’ (Hubs-Nuur, Mongolie ouest), le long des rives centre et sud du lac Baïkal (surtout sur la rive ouest, voir

Van der Beek, 1997), et enfin au SE du lac central (monts Iablonovy). Cette configuration de plissement bi-harmonique

pourrait être en partie la trace du flambage à deux échelles que nous avons mis en valeur en Asie dans le Chapitre I : elle manifesterait ainsi le fort contrôle de la rhéologie de la lithosphère sur la déformation et témoignerait de l’existence d’un fort découplage croûte-manteau (Gerbault et al., 1999, Fig. I-3).

Fig. III-1 : Topographie depuis la chaîne de l'Altaï au sud (A) jusqu'au monts Stanovoy au nord (St). On a représenté en traits noirs de manière simplifiée et schématique les principales failles actives connues. Le code des couleurs est:

- Blanc: Altitudes supérieures à 4000m ;

- Marron foncé: Altitudes comprises entre 3000 et 4000 m ; - Marron clair: Altitudes comprises entre 2000 et 3000 m ; - Jaune clair: Altitudes comprises entre 1000 et 2000 m ; - Jaune: Altitudes comprises entre 500 et 1000 m ; - Vert: Altitudes inférieures à 500 m.

An et Al désigne les vieux cratons Angara (souvent appelé craton sibérien) et Aldan (terme parfois employé pour les deux cratons). S désigne la région montagneuse de Sayan-Khubsugul, Hg le dôme de Hangaï, et Ht le dôme de Hentaï. DGL est la dépression des grands lacs, à l'Ouest de la Mongolie. Bl et Bo désignent les deux grandes failles décrochantes sénestres de Mongolie,

Bolnaï et Bogd, actives en 1905 et 1957, respectivement (Baljinnyam et al., 1993). B désigne la position du lac Baïkal, la dépression majeure du rift. Celui-ci ne représente qu'une partie du système extensif (un tiers environ), qui s'étend du Nord de Bolnaï (dépression

Fig. III-2 : Trois coupes topographiques transverses aux structures dans la zone de Sayan-Tunka (AA’), le lac Baïkal central (BB’), et le lac Baïkal nord (CC’), d’après Houdry (1994).

Les dômes font penser à un rôle éventuel du manteau sous forme de panaches (Windley et Allen, 1993 ;

Bartoli,1997, résumé dans Bartoli, 1998), et les reliefs bordiers du lac sont souvent interprétés comme des épaulements

de rift (Houdry, 1994 ; Petit et al., 1997, Pub. 6 ; Van der Beek, 1997). Les ‘rides’ orientées NO-SE qui prolongent vers l’est les dépressions du rift (monts Iablonovy et rift nord) évoquent dans leur direction et leur longueur d’onde la possibilité d’un boudinage à l’échelle crustale. La sismicité, les modélisations en coupe et les études tomographiques (Partie B de ce chapitre) nous permettront de discuter plus précisément les interprétations de ces structures.

L’âge de ces topographies est généralement mal connu. Seule la partie centrale du rift a fait l’objet d’analyses : les restes d’une surface de pénéplénation, d’âge supposé Crétacé-Paléogène, par la suite soulevée et déformée, témoigneraient d’une relative stabilité de la région du lac à cette époque (Mats, 1993 ; Logatchev, 1993 ; Kashik et

Mazilov, 1994), et la modélisation thermique de traces de fission sur apatite indique que les roches affleurant sur les

épaulements du lac ont atteint des températures de surface au Crétacé inférieur et moyen (Van der Beek et al., 1996). Ces résultats laissent penser que l’érosion qui a affecté les bordures du lac est au maximum de quelques centaines de mètres depuis le début du rifting, d’où la conclusion que ces reliefs bordiers sont nés avec le rift (Van der Beek , 1997). La fraîcheur des escarpements bordiers (Ufimtsev, 1990, 1991 ; Houdry, 1994) et le changement brutal de sédimentation dans le lac vers 3-4 Ma (Hutchinson et al., 1992 ; Mats, 1993 ; Logatchev, 1993 ; Moore et al., 1997 ; Levi et al., 1997) laissent peu de doute sur la phase majeure de surrection de ces reliefs, qui est Miocène terminal-Pliocène basal. Par contre, peu d’arguments sont proposés pour dater les structures plus éloignées du lac, comme les dômes de Sayan-Khubsugul ou du rift nord (chaîne Stanovoy). En extrapolant les observations près du lac, la plupart des auteurs négligent l’existence éventuelle de reliefs anté-rift, sans preuves (e.g., Poort et al., 1998, dans le rift nord). Si une part du relief est à l’évidence syn-rift (voir paragraphes A3 et B), la grande longueur d’onde de la topographie peut être dans certains cas plus ancienne. Une étude de la géométrie du réseau hydrographique par image satellitaire (DEA de F. Bartoli, 1997, résumé dans Bartoli, 1998) indique que le dôme de Sayan-Khubsugul comporte en fait deux parties : les montagnes de Sayan à l’ouest, drainées par un dense réseau de rivières recoupant les structures, sont probablement assez jeunes (8 Ma ?), alors que la voussure de Khubsugul (150 km environ) montre un drainage divergent, donc probablement plus ancien, peut-être oligocène. Le dôme de Léna-Angara est quant à lui très jeune (Quaternaire). Enfin le dôme de Hangaï s.s. serait postérieur à la pénéplénation du Crétacé, mais son âge exact n’est pas clairement établi (Windley et Allen, 1993). Cependant, la présence de basaltes miocènes au sommet et le remplissage de vallées par des basaltes quaternaires suggèrent une évolution majeure de ce relief entre le Miocène et l’actuel (Schlupp, 1996).