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Chapitre II : La cancérogénèse mammaire et le processus métastatique

II. Les carcinomes mammaires

1. Morphogenèse mammaire et remodelage matriciel

a. Morphogenèse, développement mammaire et histologie du sein

La morphogénèse par embranchement est un processus fondamental lors du développement qui permet l’amplification des surfaces épithéliales. Plusieurs organes font partie des organes « branchés » ou à embranchement : les poumons, les reins, la glande salivaire et la glande mammaire. La glande mammaire a la particularité de se développer principalement durant l’adolescence et au cours de la grossesse ; cependant une formation rudimentaire se met en place dès le stade fœtal (Kim et Nelson 2012).

La fonction primaire de la glande mammaire (glande cutanée) est exocrine, il s’agit de la sécrétion lactée, laquelle est fonctionnelle uniquement si la mère décide d’allaiter son enfant (Watson et Kreuzaler 2011). Le tissu mammaire est alors constitué d’un embranchement de canaux inclus dans le tissu adipeux mammaire (pannicule adipeux sous-cutané) et débouchant à l’extérieur de l’organisme au niveau du mamelon par des canaux excréteurs (Figure 26). Reposant sur le muscle pectoral, cette glande est constituée de 10 à 20 unités lobulaires séparées par le pannicule adipeux. Chaque lobe se compose de lobules et donne sur l’extérieur par un canal, le canal galactophore. Un lobule est un ensemble d’acini regroupés autour d’un canal alvéolaire (canalicule intra-lobulaire). Puis plusieurs canaux alvéolaires se joignent et forment un canal lobulaire (canal extra lobulaire), et plusieurs canaux lobulaires se réunissent pour former un canal galactophore.

Chaque unité sécrétrice est composée de couches de cellules épithéliales polarisées, dites luminales, entourées d’une couche discontinue de cellules myoépithéliales, dites basales, reposant sur une lame basale. Entourant cette structure, on trouve une gaine de fibroblastes, inclue dans le tissu conjonctif sous-jacent vascularisé (Fata et al 2000).

Le développement de la glande mammaire se passe en quatre phases distinctes : l’embryogénèse, la puberté, la grossesse et la ménopause (Watson et Kreuzaler 2011). Ce processus est hautement coordonné et est dirigé par des facteurs de croissance présents au niveau local et des hormones systémiques (œstrogène et progestérone) dont la production est variable au cours de la vie (LaMarca et Rosen 2008).

Figure 27 : cycle de développement et de remaniement de la glande mammaire. Les marquages histologiques montrent la morphogénèse tubulaire de souris vierge au stade post pubère (6 semaines de vie), au 15ième jour de grossesse, au jour 2 de la lactation et au jour 4 de l’involution (D’après Lewis 2000 et Ke et al 2006).

Chacune des étapes du développement mammaire est caractérisée par un état du système lobulo-canalaire, présenté sur les coupes histologiques (Figure 27) réalisées chez la souris. En effet, la difficulté d’étude de la morphogenèse mammaire humaine fait que le modèle murin est le plus proche et le plus adapté à la description de la croissance de cet organe (Khokha et Werb 2011).

*Au stade fœtal, le parenchyme (cellules épithéliales et myoépithéliales) et le mésenchyme (fibroblastes et adipocytes) se mettent en place. Le développement de la glande mammaire démarre avec la migration de cellules épithéliales dérivant de l’ectoderme ; ce qui conduit à la formation d’aires d’épaississements épithéliaux de forme arrondies, appelées placodes, lesquelles envahissent le derme (mésenchyme) (Figure 28). Deux tissus mésenchymateux sont impliqués durant l’embryogénèse amenant à la formation de ces structures. Le mésenchyme fibroblastique mammaire stimule les cellules épithéliales mammaires embryonnaires pour former des structures canalaires atypiques branchées avec hyperplasie du canal, alors que le mésenchyme adipeux induit leur élongation. En coupe histologique, les canaux, de nombre limité, sont allongés avec parfois quelques branchements à terminaisons arrondies (Naccarato et al 2000 ; Kass et al 2007). Ce système rudimentaire n’évolue plus jusqu’au stade pré- pubère.

*Les développements ultérieurs de la glande mammaire sont directement corrélés à la production d’hormones sexuelles féminines. Hors période de grossesse, depuis la puberté jusqu’à la ménopause, ces hormones évoluent selon un cycle de 28 jours. Par contre, pendant la grossesse, leurs taux augmentent considérablement jusqu’à l’accouchement. Les interactions épithélio-mésenchymateuses, impliquant des facteurs locaux, vont également être impliquées.

A l’adolescence, les hormones sexuelles (œstrogène et progestérone) dont les concentrations ne cessent d’augmenter, favorisent le développement du tissu adipeux et de la glande mammaire. Les bourgeons terminaux se développent dans le tissu adipeux, formant des canaux et des ramifications secondaires (Figure 29). A l’état adulte, à chaque cycle reproductif, cette glande subit un remaniment régulé. La gestation et la lactation représentent le niveau de développement maximal de la glande mammaire (allongement des canaux et développement des lobules avec mise en place des acini) (Naccarato et al 2000). La structure en « arbre » de la glande mammaire augmente sa surface cellulaire pour l’adaptation structurelle et fonctionnelle sur demande physiologique pour assurer la lactation. A la

Figure 29 : Schématisation d’un bourgeon terminal et de son environnement à la puberté. La flèche indique la formation d’un nouveau bourgeon (Sternlicht 2006).

ménopause, la glande mammaire subit une involution correspondant à une régression des lobules et au maintien des conduits (Watson et Kreuzaler 2011, Howard et Gusterson 2000). Les cellules épithéliales luminales et les cellules myoépithéliales sont séparées du mésenchyme par la lame basale. Le remaniement de cette matrice est très régulé car elle assure divers rôles, dont l’organisation des cellules en alvéoles, la réponse aux hormones lactogènes et l’inhibition de la croissance cellulaire (Polyak et Kalluri 2010).

b. Remodelage matriciel physiologique

La morphogénèse de la glande mammaire, tant dans la formation des branchements et l’élongation des canaux, que dans celle des bourgeons terminaux et la différenciation des acini, implique un remaniement matriciel important protéases dépendant. En culture 3D, dans un gel de collagène I, l’inhibition des sérines, cystéines et aspartiques protéases n’affecte pas la morphogénèse des organoïdes épithéliaux mammaires alors que l’utilisation d’un inhibiteur de MMPs (GM6001) diminue les embranchements induits par des facteurs de croissance (Simian et al 2001). La plasmine en activant les MMPs est un régulateur positif de la formation d’embranchements mais c’est l’action des MMPs elles-mêmes qui est indispensable à morphogénèse de la glande.

Dans le développement de la glande mammaire murine, la présence d’ARNm de MMPs et des protéines correspondantes a été démontrée dans la morphogénèse et l’involution (Fata et Bissell 2004). Une étude sur des coupes de tissu mammaire de souris pubères a été réalisée par hybridation in situ. Les ARNs des MMPs -2, -3, -9 et -14 ont été détectés dans des endroits distincts. L’ARNm de MMP-2 est concentré principalement dans le stroma péricanalaire et faiblement exprimé par le tissu adipeux. Son expression est réduite sur les sites de bourgeons initiateurs ou des branches latérales. L'ARNm de MMP-14, le principal activateur de la MMP-2, chevauche l’expression de MMP-2 en partie seulement. La MMP-14 est principalement exprimée dans le stroma, mais est également présente dans l'épithélium, au niveau des sites d'initiation d’embranchements et fortement concentrée à l'intérieur et autour du bourgeon terminal. La MMP-9 est exprimée à faibles niveaux tout le long de la glande dans l'épithélium et le stroma. La MMP-3 est exclusivement localisée à ce stade au niveau du stroma péricanalaire et du tissu adipeux (Wiseman et al 2003). Une étude antérieure observait des taux élevés dans les bourgeons terminaux et aux points d’embranchements, et suggérait un rôle primordial de cette MMP dans la morphogénèse à embranchement de la glande mammaire (Simian et al 2001).

Figure 30 : Modèle d’intervention de MMPs dans la morphogenèse de la glande mammaire de souris (Wiseman et al 2003).

Des analyses sur modèle de souris rendues déficientes en MMP-2 ou -3, et d’analyse pharmacologiques utilisant des inhibiteurs de MMPs, ont permis de proposer un modèle d’intervention de ces deux MMPs dans le développement de la glande mammaires (Figure 30) (Wiseman et al 2003). Avant la puberté, le développement des canaux et branchements est limité. En réponse aux hormones sexuelles, à l’âge de 3 semaines, des bourgeons terminaux se forment. La MMP-2 stimule l’invasion des bourgeons terminaux et les conduits formés occupent le tissu adipeux en formant des branchements par dichotomie. A l’âge de 6-8 semaines, sous l’action de la MMP-3, se mettent en place des branchements latéraux. À 10 semaines, le tissu adipeux est rempli et reste relativement quiescent jusqu’à la grossesse, moment ou il se produira une nouvelle vague de branchements latéraux, régulée par la MMP- 3 Ainsi, la MMP-2 favorise l’invasion des bourgeons terminaux et inhibe le développement des embranchements secondaires, tandis que la MMP3 induit les effets inverses.

Des études de surexpression de MMP -3, -7, -14 dans des souris transgéniques conduisent à une hyperplasie canalaire, et toutes peuvent induire la tumorigénèse mammaire. Sternlicht et al (2000) ont montré que la surexpression de MMP-3 favorise des changements spontanés pré-malins et conduit à la formation de tumeurs malignes dans la glande mammaire. Une glande en lactation qui présente des hauts niveaux de transgènes présente des conduits primaires avec des branches surnuméraires et une altération de l’intégrité de la lame basale, avec une perte de laminine et de collagène IV (Witty et al 1995). Par ailleurs, la surexpression de MMP-14 conduit à l’infiltration de lymphocytes dans le stroma, une fibrose péricanalaire, une hyperplasie des conduits et à un adénocarcinome (Ha et al, 2001). En ce qui concerne la MMP-7, sa surexpression révèle un développement prémalin hyperplasique des nodules alvéolaires dans 50% des femelles âgées (Rudolph-Owen et al, 1998).

Ces différentes études démontrent l’implication majoritaire de la MMP-3 et de la MMP-2 dans le développement mammaire. D’autres MMPs interviennent, telles que la MMP-14 et la MMP-7. Leurs surexpressions, non démontrée pour la MMP-2, peuvent conduire à la formation de tumeur.