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Morale laïque : des repères universels libres de tout confo rmisme

Dans le document LAÏQUE : MORALE (Page 28-32)

son non-respect, l’égal respect des peuples s’oppose au racisme et à la xénophobie, etc...

La réflexion peut développer les mo-ments d’une telle problématique selon une ligne directrice principale : expliciter les différentes conceptions de l’éthique et de la morale propres à des traditions spirituelles ordinai-rement distinctes, voire opposées, puis tenter de construire une plaque tournante universaliste qui permet-trait de concevoir la possibilité d’une morale laïque tant par l’universalité de ses principes et valeurs de réfé-rence que par la modalité réflexive et autonome de son avènement en chacun.

La conception laïque de la morale recouvre-t-elle un dénominateur commun de toutes les morales ou une morale unique à dégager par-delà la diversité des cultures et des façons d’être codifiées en éthiques de vie ? Et peut-elle se borner à dégager un tel consensus en s’en tenant aux usages devenus normes dès lors que ceux-ci consacrent des rapports de domination, comme le machisme inhérent aux sociétés pa-triarcales, ou la morale sexuelle issue de religions qui elles-mêmes ne surent pas toujours distinguer ce qui

est juste en soi, et ce qui doit se faire selon les puissances dominantes.

Une morale de portée universelle ne saurait se réduire aux mœurs d’une culture particulière, qui peuvent consacrer des rapports de force entre les sexes, des visions du monde liées à des préjugés socié-taux. L’Occident judéo-chrétien a cru devoir consacrer le patriarcat qui l’a structuré au point d’attribuer à son Dieu ses préjugés historiquement déterminés. D’où la notion machiste de chef de famille, la morale sexuelle de la procréation, la codification du mariage traditionnel comme seule forme légitime et longtemps légale, de relation structurante. Quelles va-leurs un cours de morale indépen-dant de la religion sans lui être hos-tile peut-il donc promouvoir ? Jules Ferry répond en invoquant un consensus selon lui évident, sur ce que sont les exigences d’un compor-tement vertueux. Il croit même pou-voir invoquer à ce sujet la bonne vieille morale des ancêtres, sédimen-tée dans la conscience commune.

Une morale commune aux deux sens du terme : commune à tous, et simple à formuler, sans fioritures ni compli-cations théoriques. Mais est-ce si simple ? Prenons un exemple. La

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rale de la « femme au foyer » des ma-nuels de la troisième République semble donner pour indépassable la répartition des tâches entre les sexes, et ne s’interroge pas sur sa justesse éthique ni sur sa justice ci-vique. On voit là le risque de consa-crer un conformisme qui n’avoue pas son nom, en confondant le juste en soi avec ce que l’usage établi donne comme juste. Comme si la norme statistique où se codifie un préjugé socialement et historiquement déter-miné pouvait valoir de façon incon-testable. Relisons un extrait de la fa-meuse Lettre aux Instituteurs de Jules Ferry (28 Mars 1882) « J’ai dit que votre rôle, en matière d’éduca-tion morale, est très limité. Vous n’avez à enseigner, à proprement parler, rien de nouveau, rien qui ne vous soit familier comme à tous les honnêtes gens. Et, quand on vous parle de mission et d’apostolat, vous n’allez pas vous y méprendre ; vous n’êtes point l’apôtre d’un nouvel Évangile : le législateur n’a voulu faire de vous ni un philosophe ni un théo-logien improvisé. Il ne vous demande rien qu’on ne puisse demander à tout homme de cœur et de sens. Il est impossible que vous voyiez chaque jour tous ces enfants qui se pressent autour de vous, écoutant vos leçons, observant votre conduite, s’inspirant

de vos exemples, à l’âge où l’esprit s’éveille, où le cœur s’ouvre, où la mémoire s’enrichit, sans que l’idée ne vous vienne aussitôt de profiter de cette docilité, de cette confiance, pour leur transmettre, avec les connaissances scolaires proprement dites, les principes mêmes de la mo-rale, j’entends simplement cette bonne et antique morale que nous avons reçue de nos pères et mères et que nous nous honorons tous de suivre dans les relations de la vie, sans nous mettre en peine d’en dis-cuter les bases philosophiques.

Vous êtes l’auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père de fa-mille : parlez donc à son enfant comme vous voudriez que l’on parlât au vôtre ; avec force et autorité toutes les fois qu’il s’agit d’une vérité incontestée, d’un précepte de la mo-rale commune ; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d’ef-fleurer un sentiment religieux dont vous n’êtes pas juge.

Si parfois vous étiez embarrassé pour savoir jusqu’où il vous est per-mis d’aller dans votre enseignement moral, voici une règle pratique à la-quelle vous pourrez vous tenir. Au moment de proposer aux élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve à votre connaissance un seul honnête

homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écou-tant pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous enten-drait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire, sinon parlez hardiment : car ce que vous allez communiquer à l’enfant, ce n’est pas votre propre sa-gesse ; c’est la sasa-gesse du genre hu-main, c’est une de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le pa-trimoine de l’humanité. »

Dans un contexte de vive polémique des milieux cléricaux contre la laïci-sation de l’école, Jules Ferry est conduit à tenter une mise au point en forme de lettre de recommanda-tion aux instituteurs. Sa démarche est clairement orientée vers le souci d’une éducation éthique et civique dont l’universalité soit telle qu’elle la rende inattaquable d’aucun point de vue particulier, que celui-ci soit celui d’un croyant, d’un agnostique, ou d’un athée. Pour cela, elle doit, dans son contenu, susciter ou pouvoir susciter un consensus. D’où la fic-tion d’un père de famille présent dans la classe et susceptible d’être choqué par un propos que s’apprête à tenir l’instituteur. Celui-ci doit alors

y renoncer. D’où également le refus de théories démonstratives, soup-çonnées d’engager des présuppo-sés discutables, et l’éloge d’une édi-fication par l’exemple, le recours au bon sens, la visée modeste d’une sagesse en acte supposée inscrite de longue date dans la conscience commune.

Tout le problème est que cette mo-rale du plus petit commun dénomi-nateur paraît assez problématique, et que le consensus virtuel évoqué par Jules Ferry peut tout aussi bien relever des préjugés de l’idéologie dominante, dont l’école laïque doit justement se distancer pour être elle-même. Jules Ferry veut-il dire que la sagesse en question est celle qu’en droit, abstraction faite des préjugés dominants, tout homme de bonne foi doit pouvoir faire sienne ? Ou tient-il seulement un discours consensuel de prudence, dicté par un contexte de vive polémique des forces cléri-cales contre l’école fraîchement émancipée ? Les deux choses sont très différentes et commandent deux interprétations distinctes du propos de Jules Ferry. On laissera ici la question ouverte, les deux interpré-tations pouvant être soutenues.

Reste qu’une autre fiction pourrait être proposée, en parallèle avec

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celle du bon père de famille. Imagi-nons que l’instituteur expose le prin-cipe de l’égalité des sexes, ou du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, valeurs essentielles que l’on peut rattacher au registre des mêmes droits que ceux qui fondent l’idéal laïque. Imaginons qu’un « père de famille » machiste ou colonialiste s’insurge contre ce que l’instituteur entend exposer. Faut-il pour autant céder, et renoncer à affirmer les va-leurs et les principes ? Il est difficile de l’admettre, sauf à réduire la laïcité à une règle de gestion des commu-nautarismes et des conflits entre conformismes de bords différents.

On imagine mal aujourd’hui une mo-rale consacrant explicitement l’iné-galité des sexes ou la domination co-loniale. Ces deux préjugés étaient monnaie courante à l’époque de Jules Ferry, qui d’ailleurs n’était pas lui-même exempt de tout paterna-lisme colonialiste, et tomba sur l’af-faire du Tonkin, tandis que le suffrage masculin dit universel ne choquait pas encore beaucoup de monde.

La morale d’une telle histoire, si l’on peut dire, est double. Si l’enseigne-ment de la morale doit être universel pour être laïque, cet universel ne peut se réduire à un consensus des opinions existant dans la société.

Le dénominateur commun entre le machisme et l’affirmation de l’éga-lité des sexes est aussi improbable qu’il peut l’être entre l’idéologie colo-nialiste et la libre autodétermination des peuples. Et cela ne relève pas forcément de la distribution tradition-nelle entre athées, croyants et agnostiques. Un croyant qui sait dis-cerner dans le texte qu’il juge sacré les traces de l’idéologie patriarcale imprudemment pensée comme pa-role divine refusera toute lecture fidéiste et littéraliste, et se rendra ainsi disponible pour une morale de l’égalité des sexes sans abdiquer sa foi. Un athée machiste devra pour sa part s’émanciper de ses préjugés en considérant rationnellement l’ab-sence de justification. Le dénomina-teur commun qui les réunira suppo-sera donc un effort sur soi de mise à distance et de réflexion critique.

Aujourd’hui des chrétiens admettant la contraception et le mariage pour tous émancipent la morale des pré-jugés d’un autre âge. Ils ne vivent donc pas comme antireligieuse des avancées sociétales. Une morale laïque soucieuse de promouvoir l’émancipation n’est donc pas ipso facto antireligieuse, mais elle se situe assurément aux antipodes d’une mo-rale religieuse qui sacraliserait la famille patriarcale.

Morale laïque : des repères universels libres de tout confo rmisme.

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