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Dans ce livre, Guibert traite du monde intérieur. L' état de la vie intérieure n'incl ut que la vertu de la contemplation ( virtus contemplationis IV, 2). Les visions relatées dans les Ecritures sont des images corporelles apportées à l'esprit pour signifier, figurer une réalité invisible. Par exemple, Ezéchiel, Jérémie et d' autres, voient des animaux, des boules de feu, du topaze, tout en sachant que Dieu apparaît derrière « non en vérité, mais en signes et en figures » (non veritate sed signis acfiguris, IV, 39-40).

Lorsqu' on passe de la vision des choses présentes à la vision des choses intérieures, on reporte ce que l ' on est habitué à voir sur terre 1• Ceux qui ont des visions parlent à travers des objets corporels, des objets de leur condition présente (presentis statu, IV, 96). Par contre, le monde intérieur sort de ce monde et seule la contemplation permet de l' atteindre 2. De même Jésus, dans les Évangiles, utilise des exemples matériels. Dans le cas des punitions infernales, il parle des mains et des pieds liés, des grincements de dents et des pleurs 3. Il désigne les châtiments des âmes fau ti v es (peccatrices animas, IV, 1 1 8) en utilisant les images de souffrances que nous connaissons (consuetudinarias passiones, IV, 1 1 7) et que bien des gens subissent déjà dans ce monde. Un corps troublé peut permettre à l ' esprit de devenir libre de turbulences, tandis qu'un corps

l . IV, 77-79 : « [ . . . ] quoniam qui de presentium visione ad interna videnda commigrant nil aliud quam in mundo consueverant videre reportant, [ . . . ] » (« [ . . . ] parce que ceux qui passent de la vision des choses présentes aux choses vues à 1 ' intérieur ne reportent rien d' autre que ce qu 'ils ont l' habitude de voir dans ce monde [ . . . ] »).

2. IV, 1 -3 : « lnterioris mundi statum, quem visio externa non capit, imaginatio ulla non concipit, sola nimirum virtus contemplationis attingit » (« Aucune imagination ne conçoit l'état du monde intérieur que la vision externe ne saisit pas ; seule en effet la vertu de la contemplation 1' atteint »).

3. IV, 1 1 4- 1 1 7 ; Mtt. 22, 1 3.

50 LE DE PIGNER/BUS. LIVRE I V

paisible peut troubler 1 ' esprit par une pensée triste 1• Par exemple, les prisonniers qui subissent des tortures physiques épouvantables 2 et endurent « ces souffrances avec une grande sérénité, et même avec une joie de 1' âme telle que tu peux conclure qu' elle bondit de joie dans ses recoins par l'espoir d' un trésor déposé pour eux » 3. Le cas le plus clair est celui des martyrs : l ' homme i ntérieur connaît une réjouissance extrême à la pensée des joies célestes malgré ce que 1 ' homme extérieur endure.

Les prophètes et les saints ne peuvent pas dévoiler entièrement la connaissance qu' ils ont reçue de Dieu, car il n'est pas possible de connaître plus que ce que Dieu permet. D ' où la parole de Paul : <d' ai entendu les paroles secrètes qui ne peuvent être révélées aux hommes » 4• De même, il n'y a pas de mots pour expliquer l'essence divine 5• La parole humaine s' avère impuissante à exprimer Dieu, qui ne peut s ' atteindre que par la contemplation ; elle ne peut exprimer que des choses corporelles (de sola corporalitate, IV, 226). Guibert veut en venir au fait que « le monde intérieur est appelé ainsi en opposition au monde extérieur. En effet, dans le corps, qui est visible pour tout le monde, il y a une âme invisible, et ainsi, dans cette créature matérielle qui est visible pour les natures rationnelles et irrationnelles, il y a un autre pouvoir (machina), visible et accessible seulement pour les natures raisonnables et débarrassées de cette mortalité » 6. Ce monde intérieur se veut difficile d' accès puisque, d' une part, il diffère de tout ce que nous connaissons et que, d' autre part, notre esprit se tourne vers ce à quoi nous sommes habitués. Guibert ajoute que, à

1 . IV, 1 35- 1 40 : « Si ergo, corpore tantisprojligato miseriis, ani mus spei occultae gaudio debriatus ab eadem molestia conquiescit, cernere in promptu est quia, sicut caro vexationibus agitur anima aliquantisper a tantis vacante turbinibus, ita corpore nullatenus molestato anima multotiens sola tristiciae conceptione mactatur » (« Si donc, alors que le corps est abattu par de grandes misères, l ' âme eni v rée par la joie de l ' espoir secret se repose de cette grande douleur, il est facile de comprendre que, lorsque la chair est soumise aux souffrances, l 'âme est libre de grands troubles pendant quelque temps, de même que l ' âme, sans la douleur du corps, est fréquemment abattue par la seule conception de la tristesse »).

2. La liste des tortures énumérées par Guibert est tout à fait explicite : ils étaient suspendus par les pouces et les organes génitaux, les dents arrachées, les ongles fendus par du bois taillé en fines lamelles et les pieds léchés par des boucs pour entraîner la mort par rire (IV, 1 28- 1 30).

3. IV, 1 30-1 32 : « [ . . . ] tanta euanimitat, immo animi iocunditate [. .. }, quanta tesauri spe repositi animum in suis angulis exultantem conicere v aleas defini ri » .

4. I V , 1 75 ; 2 Cor. 1 2, 4.

5. IV, 225-228. Cf II, 5 1 -58.

6. IV, 274-279 : « Sic ut enim in corpore meo, quod omnibus in promptu est, intrinsecus subiacet anima invisibilis, ita huic materiali creaturae, quae rationalibus irrationalibusque na tu ris conspicua est, altera subest machina, quae solis rationalibus et hac mortalitate exutis constat visibilis et pervia ».

LE MONDE INTÉRIEUR 5 1 l a question de savoir si ce monde est habité par le diable autant que par les anges, il pense que « le démon infernal et son armée funeste habitent ce monde » 1 •

Le traité s' achève sur des considérations à propos des élus au paradis et des damnés en enfer. Les grincements de dents et les pleurs promis aux damnés seront en fait, selon Guibert, une condamnation à la tristesse éternelle 2• Ils ne subiront pas ces châtiments corporels, qui sont une image pour signifier autre chose. Le chapitre des Évangiles concernant Lazare et l ' homme riche 3 révèle l'état du monde intérieur. Si l ' homme riche, arrivé en enfer, demande que ce soit Lazare, au paradis, et non lui-même, qui soit ressuscité pour avertir ses frères de changer de vie afin d' éviter les tourments de l 'enfer, c'est qu' il se sent trop éloigné du droit chemin. Il souhaite le salut de ses frères, car s' ils le rejoignent en enfer, il sait que sa peine sera doublée, puisque « les damnés en enfer, non seulement ne seront pas privés des affections charnelles, mais ils seront aussi consumés par des amours perverses » 4• Il devient fou de sollicitude pour ceux qui vont être damnés, connaissant désormais 1 ' atroce souffrance qui leur est réservée, c' est-à-dire la privation de la vision de Dieu, peine qui est exactement le contraire du bonheur des élus qui, eux, accèdent à cette vision, source de joie suprême 5. Vient ensuite la question de la forme des âmes, sujette à de nombreux débats. Guibert pense qu' elles n'ont en tout cas pas d' apparence humaine. Il n ' y a rien de matériel ou de corporel au paradis ou en enfer.

1 . IV, 3 1 6-3 1 7 : « Et ce rte ipsum cumfunesto suo exercitu infernum hui us mundi incolas estimo ».

2. IV, 339-4 1 O.

3. IV, 426-468 ; Luc 1 6, 1 9-3 1 .

4. IV, 449-468 : « [ . . . ] reprohos in inferno non solum carnalihus non carituros sed perversis etiam amorihus coarsuros ».

5. 1V, 492-5 1 3.

DEUXIÈME PARTIE

GUIBERT DE NOGENT DE PIGNER/BUS

LIVRE II

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