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DE LA PERFECTION DE L'ORDRE DE L'UNIVERS

A- Les modes d'être

La première partie de notre réponse consistera à montrer que l'uni­ vers, au point de vue des modes d'être, n'est pas et ne peut même pas être le plus parfait possible. Voilà ce qui nous est expliqué de façon très élaborée, par saint Thomas à la question 44 du L. I des Sentences. Voici la substance de l'article 2.

Le bien de l'univers, c'est son ordre. Cet ordre est double : l'ordre des parties "ad invicem” et l'ordre des parties "ad finem"..» "et hic ordo est praecipuus". Considérons d'abord l'ordre mutuel des par­ ties. Cet ordre peut être envisagé, soit dans les parties qui sont ordon­ nées, soit en lui-même.

a) Considéré dans les parties qui le constituent, l'univers n'est pas le plus parfait possible. Sous ce rapport, l'univers pourrait être plus parfait de deux façons. Premièrement, il pourrait être plus parfait par 1'accroissement du nombre de ses parties. Sa bonté serait ainsi aug­ mentée, comme dit saint Thomas : par mode de quantité discrète. Puisque

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la distance entre Dieu et la créature est infinie, plusieurs autres espè­ ces auraient pu être créées pour constituer d'autres modes possibles de perfection. De cette façon, Dieu aurait pu et il pourrait encore produi­ re un univers plus parfait, mais cet autre univers serait à l’univers ac­ tuel selon le rapport du tout à la partie, n’étant ni entièrement identi­ que à ce dernier, ni entièrement différent.

Deuxièmement, l’univers pourrait être rendu plus parfait par le changement de toutes ses parties en des parties plus parfaites. Sa bonté serait alors augmentée non plus par mode de quantité discrète, mais au point de vue de l’intensité. On dit : ’toutes ses parties’, car si quel­ ques parties seulement à l’exception des autres étaient rendues plus par­ faites, le bien de l’ordre dans l’univers serait diminué. Considérons, par exemple, le cas d’une cithare: si toutes ses cordes sont échangées pour de meilleures, son harmonie est rendue plus douce, mais si quelques cordes seulement sont échangées pour de meilleures, l’harmonie est rompue.

A oe point de vue de l’intensité, toutes les parties de l’univers pourraient être rendues plus parfaites d’une perfection accidentelle, les parties de l’univers et l’univers lui-même demeurant identiques. Elles pourraient être encore rendues plus parfaites d’une perfection essentielle, car Dieu a la puissance de créer une infinité d’autres espèces, mais dans ce cas, les parties ne seraient plus les mêmes et par conséquent l’univers serait différent.

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tout rapport le plus parfait possible. En effet, l’ordre des parties de l’univers ne pourrait être rendu plus parfait par mode de quantité discrète si oe n’est par l’accroissement des parties de l’univers, car il n’est rien qui ne soit ordonné dans l’univers (1). Cependant, au point de vue de l’in­ tensité, il pourrait être rendu plus parfait d’une perfection accidentelle, les parties demeurant essentiellement les mêmes. Plus un être est parfait, plus son ordre est parfait. Quant à l’ordre qui suit de la bonté essentiel­ le des parties, il ne pourrait être rendu plus parfait que par la produc­ tion d’autres parties, et conséquemment, par la production d’un autre uni­ vers.

IX- Considérons maintenant l’ordre de l’univers à sa fin. a) Envisagé au point de vue de la fin elle-même, l’ordre de l’uni­ vers ne pourrait pas être meilleur qu’il est. En d’autres termes, l’uni­ vers ne pourrait être ordonné à une fin plus parfaite de même que rien ne peut être plus parfait que Dieu.

b) Envisagé en lui-même, l’ordre de l’univers à sa fin pourrait être rendu plus parfait dans la mesure où croîtraient la bonté des parties de l’univers et l’ordre mutuel de oes parties. Plus cette bonté des par­ ties et leur ordre mutuel seraient proches de leur fin, plus ils seraient 1

(1) Incidemment, saint Thomas affirme que 1 ’ univers est le plus parfait possible de puissance ordonnée. On trouve une affirmation semblable dans I Sent., D. 44, q. 1, a. ad 4um$ l’ordre de l’univers ne peut pas être plus parfait, à moins que l’univers soit ordonné à une fin prochaine plus parfaite.

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assimilées à la bonté divine qui est la fin de toutes choses.

En tenant compte de ces déterminations relatives à la perfection de l'univers# on peut déjà répondre en parties aux quelques difficultés po­ sées à la page 104. (a) Ainsi 1* univers actuel a été constitué par Dieu dans un degré extrême de bonté en ce sens qu’il est le plus parfait possi­ ble, au moins de puissance ordonnée (l). (b) Il est encore dit excellent, parce qu’il contient tout ce que Dieu a produit de bon# mais non parce qu’il contient tout ce que Dieu peut produire de bon. Dieu pourrait en effet produire une infinité d’autres créatures supérieures aux créatures les plus parfaites de l’univers actuel (2).

De plus, il n’est pas douteux que Dieu ait produit l’univers avec une souveraine sagesse et une souveraine puissance. Cependant il aurait pu et il pourrait encore faire mieux qu’il a fait. Comme l’explique saint Thomas (3), quand on dit que Dieu peut faire mieux qu’il fait, si "mieux" est pris comme nom, la proposition est vraie. Quelle que soit la chose que Dieu a faite, Il peut encore en faire une meilleure. Et s’il s’agit d’une même chose, Dieu peut la faire meilleure au point de vue accidentel, mais non au point de vue essentiel. Si "mieux" est pris comme adverbe et

signifie le mode d’action de celui qui agit, dans ce cas, Dieu ne peut pas 1 2 3

(1) Il est encore un autre sens selon lequel l’univers peut être dit : le plus parfait possible. C’est ce qui sera établi dans la dernière partie de ce chapitre.

(2) I Sent., D. 44, q. 1, a. 2, ad 2um. (3) I P., q. 25, a. 6, ad lum.

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faire mieux qu'il fait parce qu'il ne peut pas agir avec une plus grande sagesse ni avec une plus grande bonté. Enfin si "mieux” est pris comme adverbe et signifie le mode d'être de la chose qui est faite, dans ce cas, Dieu peut faire mieux, parce qu'il peut donner aux choses faites par Lui un mode d'être plus parfait au point de vue accidentel. Il ne peut cepen­ dant pas donner aux choses faites par Lui un mode d’être plus parfait au point de vue essentiel. Si l'univers est le plus parfait possible de puis­

sance ordonnée, il n'est donc pas le plus parfait possible de puissance ab­ solue, du moins quant aux modes d'être, aux espèces, aux créatures.

(c) Ajoutons encore que Dieu, agent souverainement parfait, n'était pas tenu de produire un univers qui fut, sous tout rapport, le plus parfait et le plus rapproché possible de sa fin ultime. A cette dif­ ficulté posée antérieurement, saint Thomas répond :

"Ratio illa tenet quando id quod est ad finem potest .totaliter et perfecte consequi finem per modum adae­

quat Ionis; quod ia proposito non contingit" (l).

Quand on dit que l'univers est le plus parfait possible parce qu'il ne pourrait être ordonné à une fin meilleure et qu'il revêt en cela une sorte d'infinité (2), il est à remarquer que ce jugement atteint la chose exclusivement dans son rapport à sa fin.

"...Quaedam...comparationem est secundam respectum .tantum sicut universi ad finem.. .et ideo ex digni- 1 2

(1) De Pot., q. S, a. 16, ad 18um. (2) Page

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tate comparationis non potest sumi judicium de re ab­ solute... sed secundum quid, ut dicatur quod non potest esse...ad majus bonum ordinatum universum" (l).

A la question : l’univers peut-il et doit-il être le plus parfait possible, nous avons répondu jusqu’ici : au point de vue des modes d’être,

l’univers actuel n’est pas le plus parfait possible. En effet, un mode d’être supérieur au plus parfait est toujours possible de la puissance ab­ solue de Dieu. Disons même que l’univers le plus parfait possible est im­ possible. Le mode le plus parfait possible ne peut jamais être donné de fait. Un autre plus parfait est toujours possible, indéfiniment. D’ail­ leurs certains modes possibles sont incompossibles (2).