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…pour servir la patrimonialisation et revitaliser la création

Chapitre 3 La modernité du jardin régulier

C’est là que le nouveau jour se fait. Nous en avons déjà parlé, mais c’est après le Second Empire que la mode des jardins réguliers revient, comme la seule voie à suivre. Il s’agit de conformer l’art à l’essence de la nation, mais aussi de revendiquer la modernité.

Dans l’Avant-propos de L’Art des Jardins191, Achille Duchêne ne peut pas concevoir que le style qu’il porte, ce retour aux formes régulières, ne soit qu’une fluctuation du goût :

« La courbe du graphique de l’art au cours des temps a pu avoir bien des fléchissements, mais il n’en est pas moins vrai qu’elle offre et offrira dans son ensemble, comme résultante, une ligne toujours ascendante qui correspond à un idéal toujours plus affiné, plus élevé et dont l’expression artistique tendra à devenir de plus en plus simple192 ».

Notons au passage qu’il renverse le point de vue avancé plus tôt. Le développement de l’art se ferait depuis les formes naturalistes, vers la construction raisonnée et schématique de la stylisation et de l’épure.

La publication du Nouveau Jardin193, par André Vera en 1912, témoigne bel et bien de la revendication de la modernité. L’idée du renouvellement par l’imitation est passée, il s’agit maintenant pour les paysagistes de « se mettre en état de commencer », pour reprendre les mots d’Hartog déjà cités. La préface est un manifeste contre la répétition des formes du passé, pour le courage d’assumer les recherches esthétiques de son temps. Véra s’en prend d’abord aux jardins paysagers qui ne sont que des formes désuètes et vidées de leur sens.

                                                                                                                         

191 FOUQUIER (Marcel), De l’Art des jardins du XVe au XXe siècle, Paris, Emile- Paul Frères, 1911.

192 FOUQUIER (Marcel), Op. cit. , 1911, p.10.

105 « Avec lequel de nos désirs, en effet, s’accorde le jardin paysager ? « La Nouvelle Héloïse » et « Les Harmonies de la Nature » sont-ils les derniers livres parus ? Et que sont pour nous Leroy et Chambers pour que nous construisions des temples et des pagodes ?194 »

Il affirme que son siècle est sorti de l’héritage romantique et qu’il doit se défaire de son vieux manteau paysager et sensible :

« Mais nous, qui, depuis plusieurs générations, sentons la nature, qui ne pleurons pas auprès des ruines du temps, qui ne portons pas notre cœur en écharpe, nous enfants d’un siècle qui n’est pas mélancolique et qui, d’autre part, ne s’intéresse pas au trompe-l’œil, nous ne nous réjouissons pas dans un jardin paysager, puisque, revenus à la tradition délaissée, nous avons besoin d’ordre, de clarté, et que nous aimons les généralités195 ».

Mais attention, il met aussi en garde contre la tentation historicisante des restitutions ou reconstitutions autour des demeures historiques notamment :

« je n’ignore pas que certains propriétaires se font, autour de leur Demeure, tracer des Jardins réguliers ; mais pourquoi tiennent-ils à réaliser l’image générale des jardins du XVIIe et du début XVIIIe siècle ? Depuis Le Nôtre, la vie en France, n’a-t-elle pas changé ? J’imagine alors que ces mêmes personnes, quand elles désirent un véhicule, achètent, avec la même logique, non pas une automobile, mais une chaise à porteurs196 ».

Enfin il contre l’argument d’une influence étrangère pour les jardins modernes en posant une question :

                                                                                                                         

194 VERA (André), Op. cit. , 1912, Préface. 195 Idem.

106 « est-ce imiter quelqu’un que d’agir avec le même bon sens ?197 ».

Il continue en consacrant un chapitre à la modernité :

« Ce développement, cet usage de la raison chez les plus exquis de nos artistes contemporains, tout d’abord, les apparente aux hommes du XVIIe siècle et les oblige en même temps, d’une part, de faire un choix

sévère dans les émotions qui valent de nous être communiquées, et, d’autre part, d’imposer une forme volontaire à chacune des expressions de leur sensibilité.

Une telle habitude intellectuelle devrait exciter notre âge à concevoir le Jardin comme une œuvre non plus réaliste, mais décorative, et, par conséquent, à lui donner un arrangement raisonné qui serait le développement naïf d’une émotion très simple. Aussi laissant de côté les végétaux étrangers et surtout les exotiques, prendrions-nous exclusivement les arbres et les plantes indigènes, puis les disposerions-nous en groupements simples et volontaires198 ».

Il se justifie en questionnant les usages du jardin, faisant allusion à la vie moderne, à la vitesse du train de vie :

« En effet, notre hâte fiévreuse des affaires et notre curiosité insatiable pour toutes les choses qu’offre maintenant la vie avec une abondance incomparable, nous obligent de tout voir comme en courant. Aussi, devient-il indispensable non seulement d’attirer et de retenir l’attention du passant, mais de lui présenter tout en bloc et en raccourci. La composition d’une œuvre décorative moderne doit donc être, non plus analytique comme elle était au siècle de loisir, mais incontestablement synthétique199 ».

                                                                                                                          197 Idem.

198 VERA (André), Op. cit. , 1912, Modernité. 199 Idem.

107 La mode féminine trouve également sa place dans la construction de sa pensée :

« Pour ce qui est de la coloration propre des plates-bandes, nous tirerons expérience de la coiffure et du costume que porte la femme moderne200 ». Le sport ne manque pas de prendre de l’importance, comme élément central de la vie active de la société :

« nous n’omettrons pas de faire aux sports la place qu’ils ont dans la vie moderne. Nous ne dissimulerons donc pas un tennis, mais nous le montrerons aux promeneurs, et le « court » soigneusement marqué de blanc sur le gazon vert, le treillage et les poteaux volontairement disposés, le kiosque confortablement aménagé, contribueront encore, j’imagine, à différencier notre jardin régulier d’une œuvre de Le Nôtre201 ».

Il revient sur la radicalité du changement que ce nouveau jardin impose. Mais il dit que « si, par ailleurs, il ne provoque aucun étonnement, ce sera la meilleur preuve qu’il est conforme à la tradition nationale202 ».

Cela lui permet de conclure sur une poussée d’orgueil national, parlant de sa génération qui « n’a plus même de sympathie pour les éléments étrangers du romantisme, et semble désireuse d’ajouter, selon le génie de la race, quelque lustre nouveau à la splendeur française203 ».

                                                                                                                          200 Idem.

201 Idem. 202 Idem. 203 Idem.

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