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Chapitre V : Discussions

3- Modalités d’exploitation des milieux de gagnage

3.1- Exploitation des milieux de gagnage par la Cigogne blanche

Dans la région de Batna, C. ciconia s’alimente essentiellement dans des milieux ouverts à végétation basse comme les prairies naturelles ou aménagées (32,53 %) et les cultures basses (28,31 %), telles les cultures céréalières et fourragères à leurs premiers stades de développement et ainsi qu’après les moissons (Fig. 29A). Elle fréquente aussi les friches (7,83 %), qui sont des milieux naturels caractérisés par une végétation arbustive ouverte et les labours même s’ils sont signalés en moindre importance (3,61 %) (Fig. 29A).

Nos résultats rejoignent ceux de BOUKHEMZA (2000) en Kabylie, de LATUS et KUJAWA (2005) en Allemagne et ceux de PINOWSKA et PINOWSKI (1989) et RACHEL (2006) en Pologne. Tous ces auteurs rapportent que la Cigogne blanche a une préférence aux prairies, aux milieux cultivés à végétation basse, les milieux pâturés, les jachères, les terrains labourés et les mares temporaires. Nos résultats sont également comparables à ceux de SBIKI (2008) dans la région de Tébessa, où la cigogne fréquente essentiellement les friches (48,89 %), les immondices (18,01 %), les cultures basses (12,86 %) et les milieux fauchés (12,01 %). En plus des milieux naturels fréquentés par C. ciconia, nous l’avons observé plusieurs fois s’alimentant dans des déchets d’aviculteurs (8,43 %) (Fig. 29A), notamment dans la zone de Merouana caractérisée par le développement de l’aviculture, et même dans des dépotoirs en dehors des itinéraires échantillonnés, dans la ville d’Arris.

La fréquentation des dépotoirs et des décharges publiques est également signalée en Espagne par GARRIDO et FERNÁNDEZ-CRUZ (2003), PERIS (2003) et BLÁZQUEZ et al. (2006).

(A) Ciconia ciconia 28,31 % 3,61 % 7,83 % 32,53 % 1,20 % 18,07 % 8,43 % (B) Bubulcus ibis 5,59 % 12,11 % 4,25 % 0,50 % 5,67 % 3,90 % 15,79 % 19,90 % 2,62 % 29,67 %

Bordures d'eaux usées Prairies Friches

Labours Cultures basses Immondices

Prairies inondées Dépôts de fumier Déchets d'aviculteurs Milieux fauchés

Figure 29- Taux globaux de la fréquentation des milieux de gagnage par la Cigogne blanche (A) et le Héron garde-bœufs (B).

La Cigogne blanche fréquente les cultures basses tout au long de ses périodes phénologiques (Fig. 30A). Elle s’alimente dans les friches surtout pendant la période de pré- reproduction et dans les déchets d’aviculteurs surtout en périodes de ponte et couvaison et d’élevage des jeunes. Les milieux fauchés sont particulièrement fréquentés pendant la période d’élevage et la période de post-reproduction. C’est pendant la période d’élevage des jeunes cigogneaux, que la Cigogne blanche fréquente une plus grande variété de milieux (les bordures d’eaux usées et les labours en plus des milieux cités plus hauts) (Fig. 30A).

3.2- Exploitation des milieux de gagnage par le Héron garde-bœufs

Quant à B. ibis, cet échassier montre une utilisation plus diversifiés des milieux de gagnage. Nous en avons compté 10 milieux différents (Fig. 29B). Cependant, tout comme la cigogne, il a une grande préférence aux prairies (29,67 %), aux cultures basses (15,79 %), aux milieux fauchés (12,11 %) mais aussi aux labours (19,9 %). Il utilise ainsi en moindre importance les bordures d’eaux usées (5,59 %), les prairies inondées (4,25 %) et les friches (2,62 %) (Fig. 29B). Ceci dénote du fait que l’espèce utilise de plus en plus des milieux terrestres dans son alimentation.

Selon SBIKI (2008), dans la région de Tébessa, le Héron garde-bœufs fréquente principalement les friches (27,38 %), les immondices (22,64 %), les cultures basses (17,41 %) et les labours (16,54 %). Par contre, les prairies, les milieux fauchés et les mares temporaires sont les moins utilisés. Les résultats de SBIKI (2008) rejoignent ceux de FRANCHIMONT (1986b), qui indique que les labours et les immondices fournissent la plus grande partie de nourriture destinée aux garde-bœufs dans la région d’Ouezzane au Maroc.

Par ailleurs, en plus de ces milieux, le Héron garde-bœufs s’alimente dans différents types de déchets, tels les déchets des fermiers (fumier et déchets d’aviculteurs) et les immondices (dépotoirs de rejets ménagers). Cette observation est notée surtout dans la zone de Merouana.

Nos résultats sont comparables avec ceux de FRANCHIMONT (1986b) au Maroc, BOUKHEMZA (2000) en Kabylie et SI BACHIR (2007) à Béjaia. Néanmoins, BREDIN (1883-1984) et LOMBARDINI et al. (2001) signalent qu’en Camargue le Héron garde-bœufs utilise en plus de ces milieux, les milieux halomorphes, les ronciers, les rizières et les marais d’eau douce ou salée.

La fréquentation des dépôts d’ordures par le garde-bœufs n’a pas été observée en Camargue (BREDIN, 1984), contrairement à nos résultats, et à ceux obtenus par RENCUREL (1972), DEAN (1978) et FRANCHIMONT (1986b) au Maroc, SI BACHIR (2007) à Béjaia et

(A) 0% 20% 40% 60% 80% 100%

Pr. Rep. P. C. Elev. Pt. Rep.

Ciconia ciconia (B) 0% 20% 40% 60% 80% 100%

Hiver. Pr. Rep. P. C. Elev. Pt. Rep.

Bubulcus ibis

Bordures d'eaux usées Prairies Friches

Labours Cultures basses Immondices

Prairies inondées Dépôts de fumier Déchets d'aviculteurs Milieux fauchés

Figure 30- Variation des taux globaux de la fréquentation des milieux de gagnage selon les périodes phénologiques chez la Cigogne blanche (A) et le Héron garde-bœufs (B).

SBIKI (2008) à Tébessa.

Selon SALMI (2001), le fumier et les rejets des poulaillers constituent une ressource renouvelable en larves d’insectes notamment de Scarabaeidae. Ce dernier auteur a déterminé aussi un fort pourcentage de larves de Scarabaeidae et de Rhizotrogus sp. dans les pelotes de rejection du Héron garde-bœufs, tout en mentionnant qu’ils ne sont jamais échantillonnées dans les milieux de gagnages.

Selon ELKINS (2001), dans les habitats les plus exposés (milieux ouverts), les oiseaux bénéficient considérablement, pendant l’hiver, des ressources alimentaires crées par l’homme : cultures d’hiver, chaumes, champs d’épandage, déchets de nourriture de toutes formes.

Le Héron garde-bœufs est observé dans les prairies pendant toutes les périodes phénologiques (Fig. 30B). Il fréquente les cultures basses pendant les périodes d’hivernage et de pré-reproduction et en période d’élevage des jeunes. Il s’alimente également dans les labours presque pendant toutes les périodes phénologiques. Mais, c’est pendant la période de ponte et couvaison et la période d’élevage des jeunes héronneaux, que l’espèce utilise des milieux plus diversifiés. Pendant ces deux périodes, le Héron garde-bœufs fréquente, en plus des prairies, des cultures basses, des labours et des milieux fauchés, les déchets d’aviculteurs, les prairies inondées, les immondices, les friches et les bordures d’eaux usées (Fig. 30B).

La diversité des milieux exploités par le Héron garde-bœufs est en relation avec l’opportunisme de cette espèce qui fait varier son alimentation selon les disponibilités des proies dans les milieux de gagnage d’une région donnée et suivant les besoins alimentaires liés à la phénologie de l’espèce (DOUMANDJI et al., 1992-1993 ; BOUKHEMZA , 2000 ; SI BACHIR et al., 2001). Ceci serait considéré parmi les facteurs de l’expansion de cet échassier.

3.3- Association manifestée par les deux échassiers 3.3.1- Association passive

Certains individus des deux échassiers étudiés s’associent d’une façon passive entre eux mêmes (Cigognes blanches et Hérons garde-bœufs), et/ou à d’autres espèces aviaires. Nous citons en particulier le grand Corbeau (Corvus corax), les Moineaux (Passer sp.) et les Pigeons (Columba sp.). Cette observation est notée presque pendant toute la période d’étude notamment en hiver et dans les déchets d’aviculteurs et dans les labours.

3.3.2- Association active

A l’opposé de l’association passive, seuls les garde-bœufs s’associent d’une façon active à différents types de bétail tels les bovins et les ovins, ainsi qu’aux engins agricoles (tracteurs en particulier) (Fig. 31). Ces types d’association sont particulièrement notées dans les prairies, les friches, les labours, les milieux fauchés et dans les cultures basses.

Ce phénomène est également signalé dans la totalité de l’aire de répartition du Héron garde-bœufs par plusieurs auteurs (SKEAD, 1956 ; BLAKER, 1969 ; BREDIN, 1983 ; FRANCHIMONT, 1986b ; BOUKHEMZA, 2000 ; SI BACHIR, 2007).

D’après HEATWOLE (1964) in BLAKER (1971) et WHITFIELD et WALKER (1999), cette technique permet au garde-bœufs de s’alimenter de 50 % de plus de nourriture que les autres oiseaux, pour un effort moindre.

3.4- Comparaison des modalités d’exploitation des milieux de gagnage par les deux espèces

Les résultats que nous avons obtenus montrent que C. ciconia et B. ibis utilisent principalement les mêmes milieux d’alimentation : les prairies, les cultures basses, les friches et les labours. Cependant, la variation des taux de fréquentation des gagnages selon les périodes phénologiques montre une nette différence entre les deux espèces.

Le garde-bœufs est une espèce à installation récente dans la région de Batna, à partir de l’an 1995. Avant son arrivée, la Cigogne blanche jouissait seule de ces milieux d’alimentation. Ceci nous amène à suggérer un risque de pression entre les deux échassiers lors de l’exploitation de ces milieux d’alimentation.

Toutefois, nos résultats indiquent également que B. ibis s’alimente d’une manière énergique par la diversification des milieux d’alimentation qu’il exploite et par son association au bétail et aux engins agricoles qui mettent à jours plusieurs types de proies. Cette stratégie peut lui procurer des ressources alimentaires supplémentaires ce qui minimiserait sensiblement le risque de compétition entre les deux espèces dans les milieux d’alimentation.

Figure 31- Photos illustrant une association active du Héron garde-bœufs à un bovin (A) (Merouana, 23 janvier 2007), à des ovins (B) (El Madher, 26 septembre 2007) et à une machine agricole (C) (Merouana, 28 novembre 2006) dans la région de Batna (Photos personnelles).

(A)

(B)

4- Caractérisation qualitative et quantitative du régime alimentaire des deux espèces