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Interactions à visée praxéologique

4. Modalités d’analyse des corpus

Le choix des méthodes d’analyse mises en œuvre a été en partie déterminé par le matériau recueilli. Lorsque le dispositif énonciatif rassemble plus de trois participants et qu’il s’apparente donc à un polylogue, nous avons privilégié les approches quantitatives, lesquelles ont été appliquées systématiquement pour produire des catégorisations statiques d’actes langagiers. Lorsque les dialogues s’effectuent au sein de dyades, symétriques dans le cas du dialogue mixte, ou asymétriques, dans le cas du tutorat et de l’entretien de conseil, des approches plus qualitatives se sont développées pour tenter de saisir la dynamique séquentielle des échanges, les modalités énonciatives ou encore la façon dont s’accomplissent certaines pratiques dialogiques. Parallèlement, comme on va le voir à présent, les situations conversationnelles étudiées peuvent être mises en relation avec des données quantitatives relatives à une situation standardisée – comme c’est le cas avec la résolution de problème – ou étudiées pour elle!même lorsqu’elles sont naturellement structurées par l’activité de

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103 travail. Dans ce dernier cas, les corpus ont bien évidemment été analysés en référence aux métiers concernés.

Recueillis en situation naturelle auprès de professionnels ignorant jusqu’à la présence des chercheurs ou soigneusement dirigés par ces derniers à l’occasion d’une situation expérimentale proposée sur le lieu de travail, nos corpus sont très divers eu égard aux conditions de leur recueil, à leur taille, à leur mode de retranscription. L’ordre d’exposition adopté dans le texte qui suit va des situations les plus artificielles aux plus naturelles.

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L’étude relative au genre a été menée auprès des personnels navigants commerciaux d’Air France en attente du briefing précédant leur vol. Avec près de 15 000 navigants commerciaux (dont 2/3 de femmes) dans le monde, cette compagnie aérienne a cherché récemment, par différents protocoles d’accords, à promouvoir l’égalité professionnelle hommes / femmes. Cette volonté se démarque clairement de sa politique de recrutement menée dans l’après!guerre. Cherchant alors à féminiser un personnel chargé de l’accueil à bord essentiellement composé de stewards issus des compagnies de navigation transatlantique et formés dans les écoles d’hôtellerie, la compagnie s’était prioritairement tournée vers les anciennes infirmières de l’aviation. La rencontre effectuée entre la tradition hôtelière itinérante portée par les hommes et la sécurité assurée par les femmes aurait alors constitué le creuset du métier à venir (Barnier, 1999). On notera qu’aujourd’hui, on préfère aux appellations d’hôtesse de l’air et de steward, jugées trop connotés, celle de personnel navigant commercial (PNC) pour désigner une fonction de service essentiellement marquée par le souci du confort et de la sécurité des passagers, cet intitulé asexué permettant d’échapper aux rôles sociaux.

Avec l’accord des participants, treize dyades mixtes de professionnels ne se connaissant pas ont été constituées au fil des vols par l’une de nos collaboratrices elle!même hôtesse de l’air, chacune ayant la charge de résoudre à deux un problème logique, une adaptation de la tâche de Wason. L’ensemble des échanges ont été enregistrés, retranscrits et analysés au niveau de chaque tour de parole. Le corpus se compose de treize échanges brefs – d’une durée inférieure à 5mn.

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Les dialogues tutoriels ont été recueillis dans un cadre naturel d’activité professionnelle : celui de facteurs dont l’un de nos collaborateurs a filmé les conversations « en contexte » au cours de la première tournée de distribution du courrier qu’ils effectuaient en doublure avec le nouvel apprenti qui venait de leur être confié.

Au moment de l’étude, la poste cherchait à développer les compétences des apprentis et des tuteurs les accompagnant sur le terrain dans le cadre d’un diplôme nouvellement créé. Pour elle, il s’agissait de préparer à l’exercice du métier les futurs préposés qui, s’ils s’avèrent être techniquement au point une fois diplômés, font parfois preuve de comportements professionnels jugés inadéquats. Les tuteurs se trouvent alors interpellés dans leur capacité à transmettre les « bons comportements professionnels » face aux problèmes et imprévus de la tournée, consistant par exemple à identifier et utiliser les informations disponibles dans l’environnement, à installer la coopération avec le voisinage autour d’un problème, à prendre des initiatives déontologiquement acceptables concernant le choix du lieu ou de la personne à

104 qui confier le courrier. Précisons que dans le métier, le service étant rendu au domicile des clients, le lieu de travail est identifié à la tournée dont le facteur est titulaire et qu’il revendique comme sienne. Celui qui la possède doit en maîtriser les particularités matérielles et humaines, à l’inverse du «rouleur» qui, changeant sans cesse de tournée pour remplacer les titulaires absents, est contraint de consacrer du temps à l’identification du quartier, des boîtes, des noms, sans pouvoir toujours s’épargner les risques de malentendus, d’incidents, voire d’altercations.

Le bureau de poste dans lequel travaillent les participants avait été choisi pour son caractère représentatif et « sans histoires » par la direction régionale afin de participer à notre étude. Trois préposés de ce bureau, s’étaient montrés favorable à l’observation de leur activité de tuteur tandis qu’un stagiaire préparant un CAP, avait accepté d’être filmé avec chacun d’eux au cours de leur première tournée commune. Le corpus est constitué par l’ensemble des échanges tuteur!apprenti enregistrés au cours de cette occasion, les prises de vue s’étant étendues sur toute la durée des distributions (3 à 4h). Si l’ensemble a été retranscrit, seules quelques séquences choisies ont fait l’objet d’une analyse fine.

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Recueillie dans une petite agence de publicité, l’intégralité d’une réunion, choisie en raison de sa finalité – mettre les participants d’accord sur le choix des propositions concrètes à soumettre à un client – a été enregistrée à des fins d’analyse par l’un de nos collaborateur, stagiaire dans l’agence, en accord avec les participants.

Comme dans la plupart des agences de publicité, le personnel de cette agence, peu nombreux, se répartit en créatifs chargés des graphismes, des accroches et des textes, et en commerciaux chargés de prospecter et de gérer les contacts avec la clientèle (Vernette, 2001). Le travail comporte une forte dimension langagière : les commerciaux doivent analyser, reformuler, convaincre, négocier… Les créatifs, eux, ont à imaginer, concrétiser, justifier leurs productions avec des mots et des images. Face à une demande formulée par un client, les publicitaires s’efforcent d’élaborer des « concepts » qui sont autant de pistes possibles (images, métaphores, angles de vue pour présenter une offre, bons mots, nouveaux noms pour un produit, styles de visuels). Puis, dans un document préconisant les recommandations de l’agence, ils proposent une réponse se présentant sous la forme d’un argumentaire stratégique suivi des différentes pistes proposées par l'agence. Ainsi, les créations sont premières, et déterminent souvent les arguments qui les justifient a posteriori. L’agence avait été sollicitée par un fabricant de filtres à air pour habitacle de voiture pour réaliser plusieurs créations publicitaires. La situation enregistrée est une réunion rassemblant les cinq personnes de l'agence pour sélectionner, parmi la vingtaine de propositions créatives produites par les graphistes, celles qui seront présentées au client le surlendemain en réponse à sa demande. La rencontre s’était déroulée en 42 minutes, sans heurt ni désengagement de la part des participants. Considérée comme réussie dans la mesure où elle a atteint le but qu’elle s’était fixé, elle a été marquée par la circulation des épreuves imprimées des propositions créatives. En tant qu’objets intermédiaires, ces épreuves avaient surdéterminé l'organisation des échanges en focalisant l'attention des participants autour d’elles. L’ensemble du corpus a été retranscrit et analysé.

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Nous avons eu accès entre février 2007 et février 2009 à un corpus privé constitué par l’ensemble des échanges parus sur le forum de discussion des juges pour enfants. En 2002, une liste de discussion ouverte aux seuls juges pour enfants avait été créée à l’initiative d’un magistrat pour mettre cette nouvelle technologie au service du métier. Sur les 430 juges pour enfants français actuels, 379 s’y sont inscrits. Après quelques années d’utilisation, ils la considéraient indispensable à leur activité, sans être pour autant à même d’identifier ce qu’ils y font vraiment, d’où la demande de quelques!uns de procéder à une analyse des messages diffusés sur ce forum.

Siégeant au tribunal de grande instance, les juges pour enfants ont une double mission : protéger les mineurs en danger et juger les mineurs délinquants. Si l’ordonnance du 2 février 1945 a posé le primat de l’éducatif sur le répressif, les amenant à travailler avec des partenaires socio!éducatifs sur le long terme dans l’intérêt du jeune, les décisions du magistrat se prennent de façon solitaire. Leurs activités s’organisent autour de l’étude des dossiers, de la définition des investigations à mener et du jugement à prononcer en conformité avec les textes de lois et dans l’intérêt des personnes et collectivités. Dans leur pratique, la maîtrise du droit, l’écoute et la communication sont essentielles. Le délibéré est le seul geste technique mentionné dans les textes régissant ce métier : reposant sur une seule personne et ne faisant l’objet d’aucun apprentissage spécifique, il est supposé rester secret.

Instrument d’une pratique réflexive collective asynchrone et distribuée dans un métier où la réflexion avec des pairs tient peu de place, la liste constitue pour eux un moyen d’échange privilégié lorsque les textes de lois ou la jurisprudence ne suffisent pas à se faire une idée claire du problème posé.

Le corpus rassemble 2610 messages relatifs à 321 discussions. Parmi eux, 820 se rapportent à 118 discussions moyennes (5 à 12 tours de parole) et 480 concernent 23 discussions longues (plus de 12 tours de paroles). L’activité des juges y apparaît très variable : si 81% des inscrits y sont intervenus, 80 juges n’y ont posté qu’un message, 170 y ont posté 2 à 9 messages, 44 y ont posté 10 à 29 messages, 9 y ont posté 30 à 99 messages, et 3 plus de 100 messages.

On a extrait du corpus une dizaine de discussions prototypiques de l’ensemble qui présentaient une certaine variété du point de vue de leur taille et de leur finalité : questionnement sur les procédures à adopter, demande de soutien suite à une expérience difficile, volonté d’échanger sur les pratiques. Ces extraits ont fait l’objet d’une analyse approfondie.

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Ce corpus était constitué par 64 entretiens de conseil en orientation en direction d’adultes ou de jeunes adultes reçus dans diverses structures – Centre de Bilans, Mission Locale – par des psychologues de l’orientation en fin de formation à l’Institut National d’Étude du Travail et d’Orientation Professionnelle (INETOP/CNAM). Menés sur leur terrain de stage, ces entretiens ont été enregistrés et retranscrits par leur soin afin de porter un regard critique sur leurs pratiques. Recueilli à des fins de formation, le corpus nous a été confié une fois anonymé, par un collectif de conseillères d’orientation!psychologues formatrices à l’INETOP. Divers dans leur forme, leur durée et leur finalité, ces entretiens ont donc été menés par de jeunes praticiens peu expérimentés mais engagés dans une démarche réflexive sur leur

106 manière de faire. Leur objectif en entretien était d’approfondir le traitement d’un problème relatif au devenir du consultant, à partir d’une alliance de travail établie avec lui. Les 64 entretiens ont été menés par 64 conseillers distincts auprès d’autant de consultants. Dans la très grande majorité des cas, il s’agissait d’une première rencontre, parfois destinée à donner lieu à d’autres entretiens – comme dans le cas des bilans de compétences.

Il faut noter que si l’entretien de conseil constitue l’activité la plus citée par les professionnels de l’orientation parmi les pratiques déclarées (Blanchard, 1996), les données empiriques dont on dispose en France sur la manière dont cette activité s’accomplit sur le plan langagier sont rares, d’où l’intérêt pour un examen attentif de corpus recueillis en situation naturelle, en référence à une activité discursive particulière. En outre, tandis que les praticiens de l’entretien de conseil habitués à solliciter des discours auto!centrés ont tendance à considérer la confidence banale ou allant de soi, la recherche dans le champ du conseil en orientation s’est peu focalisée sur l’analyse de l’activité discursive propre à la confidence.