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Modélisation des entretiens des patients schizophrènes

toutes les fonctionnalité de l’outil sans les connaître à l’avance. D’autre part, il est aussi possible de produire des représentations dont l’interprétation n’est pas évidente. Il pa-raît important d’accompagner l’utilisateur dans sa lecture des résultats plutôt que de lui délivrer des résultats bruts.

Enfin, comme nous l’avons évoqué précédemment, l’analyse syntaxique mériterait d’être affinée. Par ailleurs, la poursuite sur l’analyse des niveaux phonétiques et phono-logiques serait une piste intéressante.

9.2 Modélisation des entretiens des patients schizophrènes

Pour poursuivre le projet SLAM, nous avons plusieurs perspectives selon des plans opératoires de natures différentes : d’un côté travailler sur la constitution d’un nouveau corpus, et d’autre part travailler à la modélisation des interactions.

9.2.1 Constitution d’un corpus augmentant les pathologies étudiées

Comme nous l’avons exposé, le projet SLAM a donné des résultats encourageants dans cette première phase concernant l’identification de symptômes spécifiques, à partir de l’analyse de différents niveaux linguistiques. Cependant, plusieurs conjectures demeurent sur le fonctionnement cognitif ou la complexité linguistique des phénomènes, et il nous semble nécessaire de poursuivre dans cette direction.

Pour cela, nous souhaitons augmenter et enrichir le corpus de données empiriques en procédant à de nouveaux entretiens avec des patients schizophrènes, et en ouvrant à d’autres pathologies autour des troubles de la pensée. À partir de ces nouvelles données, nous projetons d’approfondir la méthodologie de construction des représentations que nous définissons depuis plusieurs années.

Une nouvelle phase de recueil de données est en cours en partenariat avec le centre Hospitalier Montperrin à Aix-en-Provence. Nous disposons à ce jour d’une autorisation d’intervention. Le centre comporte une unité médicale appropriée et un personnel thé-rapeutique est dégagé pour participer à l’étude. Il s’agit de rencontrer soixante patients (paranoïaques et schizophrènes, en ambulatoire ou en programme de soins). De manière symétrique, nous prévoyons de constituer un groupe témoin apparié de soixante per-sonnes. Ce programme est très ambitieux eu égard au nombre de patients envisagés, mais notre méthodologie étant bien définie, ces objectifs semblent réalistes. Nous dispo-sons déjà de 7 entretiens.

Le dernier corpus que nous avons étudié a été constitué à partir d’une population en remédiation avancée. L’apparition marginale de discontinuités n’est donc pas en soit un résultat négatif, mais nous fournit un argument sur la remédiation (qui permettrait de faire disparaître certains symptômes). Il convient donc de confronter la modélisation à des données plus proches de l’expression de la pathologie. Cette nouvelle phase de l’étude a une double fonction. Il s’agit d’une part d’éprouver nos hypothèses de dysfonctionnement sémantico-pragmatique auprès de patients moins avancés dans la remédiation. D’autre part, elle nous permet d’augmenter le nombre de manifestations de discontinuités et

Chapitre 9. Perspectives et projet de recherche

donc de réfléchir et d’argumenter sur la nature des processus cognitifs mobilisés. Si les phénomènes qui nous intéressent sont typiques, ils n’en demeurent pas moins rares. Le travail sur la pathologie des schizophrènes n’est donc pas terminé.

Par ailleurs, il paraît nécessaire d’interroger les pratiques linguistiques pour des pa-thologies proches de la schizophrénie. Par exemple, la schizophrénie partage une partie de ses symptômes de troubles de la pensée avec d’autres pathologies. Il est donc important de tester si ces symptômes langagiers apparaissent ou non pour ces maladies connexes. Une première série de travaux avait été proposée pour recueillir des entretiens avec des patients atteints d’autisme de haut niveau (type syndrome d’Asperger), mais pour plu-sieurs raisons techniques, nous n’avons pas été en mesure de collecter ces données. Il avait cependant été nécessaire de réfléchir aux traitements potentiellement mobilisables sur ce type d’entretien dont la nature resterait de facto éloignée de l’interaction dialogique traditionnelle.

Ce type d’argumentation est donc à reprendre, à intégrer à notre réflexion et à éprou-ver auprès de ces autres pathologies. Comme la sous-catégorie de schizophrènes particu-lièrement concernée par ces dysfonctionnements sémantico-pragmatiques est la catégorie des schizophrènes paranoïdes, il nous paraît important de nous confronter à la paranoïa. Cette première étape n’est évidemment pas exclusive de l’étude des autres formes de schizophrénie, de schizotypie1 ou de dépressions.

9.2.2 Modélisation des interactions et des processus cognitifs

La seconde perspective sur la modélisation est de déployer les outils techniques, mé-thodologiques et théoriques dont nous disposons pour analyser ce corpus. Le cœur de notre étude reste l’analyse sémantico-pragmatique. Les éléments de formalisation précé-demment proposés pourront ainsi être remis en question et affinés.

Ce travail de modélisation à partir de la SDRT nous a permis d’expliciter les enjeux de notre recherche. Cependant, nous avons mis en évidence plusieurs limites sur lesquelles nous devons poursuivre notre réflexion. On se demande naturellement quelle est la po-sition de la modélisation du savoir partagé entre les interlocuteurs. On peut supposer, dans le prolongement de Clark (H. Clark et E. Clark 1977 ; H. Clark, Schreuder et But-trick 1983), que les interlocuteurs disposent d’un savoir mutualisé (common ground ) qui contient les informations nécessaires à la réalisation des inférences ou des implicatures pour parvenir à l’interprétation des interactions complexes. Mais, nous n’avons pas de définition, ni de modélisation des processus permettant de mobiliser les informations du savoir mutualisé. Travailler sur ces questions permet d’étudier les opérations cognitives, pour la pathologie mentale ou pas. Aborder le syndrome chez les schizophrènes nous permet de continuer à travailler sur le fonctionnement cognitif en général.

Il semble par ailleurs que nous puissions identifier une convergence entre les résultats sur le lieu du dysfonctionnement. Par exemple, nous n’identifions pas de difficulté au niveau morpho-syntaxique, mais d’autres résultats mettent en avant une diminution de

1. La schizotypie est une maladie possédant des troubles de la pensée dans sa symptomatologie, comme la schizophrénie, mais dont les implications dans la maladie sont moindres que celles de la schizophrénie. Par exemple, les patients ne souffrent pas d’hallucinations.

9.2 Modélisation des entretiens des patients schizophrènes

la complexité syntaxique2, ou encore nous voyons apparaître des comportements parti-culiers pour la disfluence sans apparition de trouble sur la segmentation. La base neuro-cognitive du langage ne semble pas porteuse de défaillance particulière. La nécessité de mobiliser la compétence dans un contexte engendre les dysfonctionnements.

On peut supposer que l’incapacité des schizophrènes à maintenir la cohérence de leur discours pourrait venir de leur incapacité à mobiliser ce savoir mutualisé. Dans ce cas, certaines inférences qui auraient permis de poursuivre l’interaction n’ont pas lieu et le dialogue doit subir des adaptations pour rester interprétable. Ces inférences sont le résultat des opérations cognitives que nous avons précédemment abordées. Elles trouvent ainsi un support et une fonction qui doivent être intégrés à la formalisation pour expliquer (et expliciter) leur rôle dans la construction de la cohérence.

La prise en compte de ces éléments doit s’accompagner de modifications profondes dans la représentation. L’utilisation d’extensions récentes de la DRT, voire de nouvelles représentations, sont nécessaires. Des pistes sont à explorer à partir de (von Heusinger et Meulen 2013) qui intègrent la projection des croyances d’un individu pour la construction de sa représentation sémantique. Ce principe se rapproche de celui que nous présupposons pour expliquer les incohérences apparaissant dans les interactions. Dans notre cas, il s’agirait de projections erronées de croyance ou de connaissance sur la représentation de l’interlocuteur. La non-compréhension provient alors de la différence entre les inférences faites, ou supposées possibles, à partir des représentations singulières de chacun des locuteurs.

Il n’est malheureusement pas possible de proposer une théorie et ses contreparties formelles aussi directement. Il faut en effet revenir sur la notion de connaissance et définir le calcul compositionnel permettant d’extraire les informations pertinentes. Mais ces éléments bousculent la notion de propositions et par la même celle de contexte. La SDRT d’origine doit être repensée pour formuler une représentation cohérente.

Nous nous intéressons à ces questions, sans omettre que nos données sont issues de dialogues et non de discours. En cela, la SDRT n’est pas la formalisation la plus adaptée, mais ces phénomènes sont plus explicitement la marque de processus cognitifs en action et ne peuvent donc pas apparaître dans des textes écrits. La formalisation doit cependant les intégrer. Nous reviendrons sur cette question dans la section 9.4, où l’une des ouvertures est la modélisation formelle des dialogues.

Nous n’avons pas encore mentionné dans ce chapitre que la formalisation dans SLAM est basée sur une extension de la SDRT et non de la DRT. Or, le contexte de notre travail pousse à ajouter à cette refonte les notions de contexte et de continuation du calcul (de Groote 2006) qui apparaît d’autant plus adapté que la modélisation de processus cogni-tifs doit s’inscrire dans une vision procédurale du calcul sémantico-pragmatique et pas seulement représentationnelle. Il faut bien distinguer ici la modélisation des dialogues en général, de la mobilisation de la formalisation pour des interactions pathologiques. Ces deux questions appartiennent bien à la même perspective de recherche, sans se recouvrir (modélisation de processus cognitifs et capacité de représentation des dialogues).

2. Nous pensons pouvoir confirmer ce type de résultats avec nos extensions de SLAMtk avec des analyseurs syntaxiques.

Chapitre 9. Perspectives et projet de recherche

Il ne faudrait pas croire que nous nous inscrivons radicalement en faux des proposi-tions (Kamp et Reyle 1993), mais bien que nous essayons de réconcilier ses proposiproposi-tions avec nos modélisations. Hans Kamp a toujours basé son argumentation sur l’existence de représentations mentales pour justifier des représentations sémantiques proposées, sans intégrer la psychologie à ses représentations. Ici, nous tentons donc d’inclure des argu-ments motivés par la psychologie sans remettre en question son approche.

Enfin, revenir sur la définition du cadre d’interprétation implique de revenir sur la dé-finition des contextes d’interprétation. Un travail est actuellement en cours pour proposer une typologie des contextes qui contient (Rebuschi 2015) :

— le contexte discursif qui dépend de l’interaction et de la dynamique d’interaction ; — le contexte doxatique qui reprend l’ensemble des présuppositions, des croyances à

propos du monde et la projection des croyances des locuteurs ;

— le contexte pragmatique qui s’interprète par la situation de l’interaction (le locu-teur qui dit « je » en jouant un rôle ne dit pas « moi » pour se désigner lui, mais pour désigner l’individu qu’il cherche à incarner) ;

— le contexte matériel et social où l’idée est de considérer à la fois le cadre de l’interaction, jusqu’à l’ensemble des influences qui la construisent.

À partir de cette première proposition de classification des éléments qui modifient l’interprétation de l’interaction, on peut situer le savoir mutualisé que nous venons d’in-troduire. La modélisation formelle ne peut évidemment pas intégrer tous ces contextes directement, mais définir des représentations selon chacune de ces dimensions le plus fidèlement possible.

Le projet SLAM a encore plusieurs axes sur lesquels se déployer, tant du point de vue pratique sur la constitution de ressources que théorique pour la modélisation de l’interaction.