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Les modèles traditionnels du commerce

1 UNE NOUVELLE REVOLUTION COMMERCIALE

2.2 Les modèles traditionnels du commerce

La notion de modèle économique a été relativement peu appliquée au secteur du commerce (à l’exception, bien sûr, du commerce électronique). On a coutume de rendre compte de la diversité des formes de commerce à partir de la nature des produits vendus et du format de magasin, ce qui, pour reprendre les termes de la discussion menée plus haut, reflète un fort degré d’institutionnalisation du cadre de l’activité. Ces critères classiques se révèlent aujourd’hui très insuffisants pour rendre compte des transformations que vit le secteur du commerce, certaines venant remettre en cause les critères eux-mêmes (par exemple, les assortiments fondés sur des bouquets qui traversent les catégories de produits usuelles, la diversité croissante des positionnements stratégiques au sein d’un même format…). La notion de modèle économique est sans doute en mesure de fournir un outil conceptuel permettant de créer de nouvelles catégories associées aux formes de commerce qui naissent de la révolution commerciale en cours.

Dans un article récent consacré aux modèles économiques dans la distribution, Volle et al. [2008] proposent de distinguer deux grands modèles économiques : le premier (qualifié de BM-X) "consiste à simplifier la proposition de valeur, tout en diminuant les coûts pour gagner en efficience" ; le second (BM-Y) "consiste à enrichir la proposition de valeur pour gagner en attractivité "par le haut", en traduisant dans l’organisation l’hétérogénéité des préférences des consommateurs". Dans des travaux antérieurs62, nous avions avancé l’idée proche d’une structuration du secteur du commerce autour de deux grands modèles : un modèle néo-fordien, positionné sur le prix et opérant une radicalisation du modèle du discount, et un modèle post- fordien consistant dans la création de valeur ajoutée commerciale. Dans une étude récente, le cabinet Dia-Mart63 s’inscrit dans le même sillage en distinguant le positionnement prix et le positionnement sur la valeur ajoutée (en spécifiant valeur ajoutée fonctionnelle et valeur ajoutée émotionnelle). Dans le cadre du CEP Commerce alimentaire64, nous proposions une typologie de trois modèles économiques dans le commerce, qui s’inspire et prolonge les typologies précédentes et que nous allons reprendre ici.

Le modèle du discount  

La proposition de valeur porte de manière prioritaire sur le prix bas, ce qui implique une polarisation sur la dimension fonctionnelle du service commercial (voire de l’offre-produits). Les compétences foncières des entreprises engagées dans ce modèle résident dans leur capacité à optimiser les coûts, ce qui implique – dans le commerce – la puissance d’achat, la maîtrise de la

62 Voir, par exemple, Moati et al. [2006]. 63 Dia-Mart [2009].

gestion des flux logistiques dont les composantes les plus éloignées du métier (le transport) peuvent être externalisées. Le modèle de rentabilité repose simultanément sur l’exploitation des économies d’échelle pour réduire les coûts (d’achat et d’exploitation) et la vitesse de circulation du capital, c'est-à-dire la minimisation du capital engagé par unité de chiffre d'affaires. Plusieurs leviers peuvent être activés pour accélérer la vitesse de rotation du capital, dont l'optimisation de la chaîne d’approvisionnement, ainsi que le resserrement de l’assortiment et sa concentration sur les références "cœur de marché" qui permet de surcroît d’améliorer le pouvoir de négociation à l’achat. Le modèle de rentabilité se répercute ainsi sur la proposition de valeur par le biais de la profondeur de l’assortiment, mais également par les conséquences de l’optimisation des coûts immobiliers et des frais de personnel sur la localisation et l’aménagement du point de vente, ainsi que l’intensité en main-d’œuvre du service commercial. Il s’agit du modèle sur lequel s'est fondée la grande distribution. Aujourd’hui, ce sont les enseignes de hard-discount qui lui sont le plus fidèles et qui incarnent dans le commerce un modèle économique qui se diffuse à un nombre croissant de secteurs d’activité sous l’étiquette de modèle low cost.

Le modèle de la création de valeur ajoutée commerciale 

Ce modèle consiste à dégager la rentabilité du niveau de la marge unitaire ou, plus exactement, de la valeur ajoutée65. Face à la concurrence de distributeurs mettant en œuvre le modèle du discount et donc capables d'offrir des prix bas aux consommateurs, la viabilité de ce modèle économique dépend de la capacité à "nourrir" la marge par une proposition de valeur forte assurant la différenciation de l’enseigne et augmentant la disposition des clients à payer. Les leviers potentiels de création de valeur sont multiples66 : offre de services additionnels (amplitude des horaires d'ouverture associée à une localisation adaptée, animations, conseil, confort d'achat...), mise en avant d'une offre exclusive répondant avec pertinence et précision aux besoins spécifiques de certaines catégories de clients, création de "valeur immatérielle" au moyen de l'image de marque de l'enseigne, de la mise en avant de marques propres à forte identité, adoption d'un positionnement "segmentant" à orientation communautaire ou fondé sur l'affirmation de valeurs... Le cœur de métier réside ici principalement dans la connaissance de la demande et la capacité à définir des offres différenciées répondant à ses attentes, ce qui conduit souvent les enseignes à intervenir dans la conception des produits. Il renvoie donc au marketing au sens large et repose assez largement sur des ressources stratégiques. Les segments de la chaîne de valeur relatifs à la chaîne d’approvisionnement, moins déterminants pour la compétitivité, peuvent être externalisés. Les relations avec les fournisseurs sont de nature partenariale selon une logique de coproduction. Le modèle de rentabilité repose prioritairement sur la capacité à dégager une rente de monopole.

65 Dans le commerce, marge brute et valeur ajoutée sont, d’un point de vue comptable, des notions

extrêmement proches. Mais, alors que la marge est généralement perçue comme prélèvement, la valeur ajoutée – comme son nom l’indique – consiste pour le commerce à ajouter de la valeur à celle déjà contenue dans les produits vendus. Alors que le modèle du discount veille à réduire le taux de marge brute, le modèle de création de valeur s’efforce d’accroître le taux de valeur ajoutée.

Le modèle de l’audience  

Le modèle de revenu s’appuie ici sur la capacité à valoriser auprès de tierces parties l'accès à l’audience que l'enseigne aura réussi à créer auprès de sa clientèle au travers de sa proposition de valeur. Ce modèle, courant dans les médias, n’existe pas à l’état pur dans le commerce. Dans une certaine mesure, c'est le modèle qu'a suivi la grande distribution française durant les années de la loi Galland : par le contrôle d'une large fraction de l'appareil commercial national et par l'attractivité de leurs points de vente, les enseignes sont capables de drainer un nombre très important de consommateurs et sont devenues un point de passage obligé pour l'accès au marché. L'audience ainsi créée est recherchée par des industriels désireux d'écouler leur production. Les enseignes négocient alors avec les fournisseurs les conditions de leur accès aux linéaires et se rémunèrent par les "marges arrières" associées aux diverses prestations de "coopération commerciale". Le modèle de rentabilité repose sur l’exploitation de la rente de monopole que confère aux enseignes la maîtrise des conditions d’accès au marché pour les fournisseurs (verrouillage). Outre l’obtention de droits d’accès, cette maîtrise autorise l’externalisation d’une partie du besoin en capital au travers d’un crédit fournisseurs important obtenu par l’exercice du pouvoir de négociation. Selon des modalités différentes (concession de corners), l’économie des grands magasins repose de manière significative sur le modèle de l’audience.

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