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Chapitre 2 Les poussières interstellaires 19

2.5 Modèles de poussières interstellaires

Figure 2.13 – Loi de Serkowski normalisée au maximum de polarisation. Les cercles ouverts comprennent 20 mesures tandis que les cercles pleins une seule (Serkowski et al., 1975).

le champ magnétique.

A l’inverse, l’émission des grains à l’équilibre thermique dans l’infrarouge lointain est pola-risée. Les gros grains dont la forme n’est pas sphérique et qui sont alignés avec les lignes de champ magnétique émettent plus efficacement lorsque le champ magnétique est orienté suivant leur grand axe. Le taux de polarisation de l’émission à l’équilibre thermique a été estimé à 10 % à 1.3 mm (Lai et al., 2001). Au cours des années 2000, des observations de l’émission polarisée galactique à grande échelle ont été conduites par l’expérience ballon Archeops (Benoît et al., 2004; Ponthieu et al., 2005) tandis que les résultats de la mission Planck qui a observé cette émission polarisée sur tout le ciel sont attendus prochainement.

La polarisation ne nous renseigne pas uniquement sur la taille des grains mais également sur leur nature. Par exemple, Chiar et al. (2006) ont montré que la bande d’absorption des silicates à 9.7 µm est également polarisée, indiquant que ces grains seraient plutôt de gros grains à l’équilibre thermique. Par contre comme aucune détection de polarisation n’a été faite pour la bande à 3.4 µm des hydrocarbures, il a été suggéré que ces deux types de grains provenaient de populations séparées, remettant ainsi en cause l’idée de grains composites (Sect. 2.5.3). Cependant, ce résultat n’ayant été obtenu que sur un nombre limité de lignes de visée, le sujet n’est pas complètement clos.

2.5 Modèles de poussières interstellaires

Pour rendre compte de l’ensemble des propriétés observationnelles que nous avons décrit dans les sections précédentes, de nombreux modèles de poussières ont été développés ces 35 dernières années (Mathis et al., 1977; Draine & Lee, 1984; Désert et al., 1990; Kim et al., 1994; Li & Greenberg, 1997; Li & Draine, 2001; Weingartner & Draine, 2001a; Zubko et al., 2004; Com-piègne et al., 2011...). A partir d’une composition et d’une ou plusieurs formes de grains, ils

doivent reproduire au mieux les observations de la poussière en extinction, en émission, mais également être en accord avec les mesures d’abondances et de polarisation. L’acquisition de nou-velles données grâce aux récents instruments nécessite une mise à jour permanente des modèles de poussières. Dans la suite de cette section, les modèles de grains décrits sont ajustés sur les propriétés des poussières dans le milieu interstellaire diffus.

2.5.1 Distribution en taille

Malgré la grande variété des modèles de poussières, tous s’accordent sur le fait qu’il n’est pas possible de reproduire les observations en utilisant une seule taille de grains. Ceci est la première conséquence de l’étendue de la courbe d’extinction de l’UV à l’infrarouge lointain (Fig. 2.3). En effet, pour éteindre un rayonnement de longueur d’onde λ, un grain doit avoir une taille a telle que 2πa/λ ∼ 1, nous avons donc besoin de gros grains (a & 25 nm) pour reproduire l’extinction dans l’infrarouge et le visible, et de petits grains (a . 25 nm) pour la partie UV. Cette nécessité se retrouve également pour reproduire l’émission des poussières (Fig. 2.7), les plus gros grains (à l’équilibre thermique) vont être responsables de l’émission infrarouge au-delà de ∼60 µm, tandis que les grains plus petits sont chauffés stochastiquement et dominent l’émission à plus courte longueur d’onde.

Les modèles utilisent donc une distribution en taille des grains n(a)da correspondant au nombre de grains par atome d’hydrogène dont la taille est comprise entre a et a + da. La dis-tribution des gros grains est assez bien contrainte par la courbe d’extinction. Par contre, pour les plus petits grains qui sont dans la limite de Rayleigh, Qdif << Qabs = Qext alors Qext/a est indépendant de a (Eq. 2.3 et 2.4) et les mesures d’extinction ne donnent des informations que sur le volume total occupé par ces grains. Les contraintes sur la taille des petits grains sont données par l’émission, puisque comme nous l’avons vu Sect. 2.3.2, la température atteinte par le grain dépend de sa capacité calorifique et donc de son volume.

2.5.2 Composition chimique

En ce qui concerne la composition des grains, les modèles tendent tous vers le même résultat. Cela vient essentiellement du fait que les mesures de déplétions des éléments (Sect. 2.1) offrent des contraintes extrêmement fortes sur la composition chimique des grains. De plus, les nombreuses signatures spectrales que nous avons décrites tout au long de ce chapitre trouvent leur origine dans des grains de composition chimique connue, par exemple :

• Le bump à 2175 Å dans la courbe d’extinction révèle la présence de matière carbonée • Les bandes d’absorption à 9.7 et 18 µm s’expliquent par des grains de silicate

• La bande d’absorption à 3.4 µm est typique des hydrocarbures aliphatiques

• Les bandes diffuses observées en extinction et les bandes aromatiques vues en émission proviennent d’hydrocarbures aromatiques

Toutefois, comme nous allons le développer, les modèles diffèrent dans la structure des poussières utilisées, notamment pour la matière carbonée (graphite, carbone amorphe hydrogéné, carbone vitreux, PAH, diamant, fullerène...).

2.5.3 Exemples de modèles

Dans cette partie, nous décrirons brièvement quelques modèles de poussières classés en trois catégories suivant la revue de Li (2004).

2.5. Modèles de poussières interstellaires

Les modèles silicate-graphite

Ces modèles utilisent deux composantes de grains, une de silicate et une autre de graphite. Le premier de ces modèles a été proposé par Mathis et al. (1977). Il reproduit l’extinction sur une large gamme de longueur d’onde en utilisant des grains sphériques, dépourvus de manteaux dont la distribution en taille respecte une loi de puissance :

n(a) ∝ a−α (2.30)

avec pour le graphite 5 nm ≤ a ≤ 1 µm et pour les silicates 25 nm ≤ a ≤ 0.25 µm et α = 3.5 pour les deux populations. Ce modèle est connu sous le nom de MRN (d’après les noms des auteurs Mathis, Rumpl et Nordsieck). Ce modèle a été mis à jour (Draine & Lee, 1984; Draine & Anderson, 1985) afin de reproduire également l’émission des poussières dans l’infrarouge moyen et lointain.

De nombreuses évolutions y ont été incorporées au cours des années 2000 (Li & Draine, 2001; Draine & Li, 2001; Weingartner & Draine, 2001a; Draine & Li, 2007; Draine & Fraisse, 2009). Citons l’inclusion d’une population de PAH en extrapolant vers les petites tailles la composante carbonée avec une distribution log-normale telle que :

dn(a) d(ln a) ∼ exp  −12ln(a/aσ 0) 2 (2.31) où a0 = 0.35 nm, σ ∼ 0.4 pour a & 0.35 nm. Les distributions MRN des autres populations sont également abandonnées au profit de distributions de cette forme.

Les modèles manteau carboné coeur silicate

Initialement proposé par Greenberg (1978), ce type de modèle utilise de gros grains de silicate entourés d’une couche de matériau réfractaire organique, produite par l’interaction entre les mé-langes de glace et les photons UV. Rapidement, l’ajout de deux populations (une de PAH et une de petits grains graphitiques) a été nécessaire afin de reproduire la remontée de la courbe d’ex-tinction dans l’UV et le bump à 2175 Å (Chlewicki & Laureijs, 1988; Désert et al., 1990). Duley et al. (1989) n’utilisait pas de PAH mais proposait une enveloppe de carbone amorphe hydrogéné autour des plus petits grains de silicates. Tout comme les modèles de la famille précédente, diffé-rentes mises à jour ont été proposées. Par exemple, Li & Greenberg (1997) ont modélisé les gros grains par des cylindres deux fois plus long que large, pour reproduire également la polarisation interstellaire, avec une distribution en taille gaussienne :

dn(a) d(ln a) ∼ exp −5(a − ac) 2 a2 0  (2.32) où ac ∼ 70 nm est le rayon du coeur de silicate et a0 ∼ 66 nm la taille de coupure.

Modèles composites

Dans la section suivante seront traités les différents processus d’évolution subit par les grains. Si nous tenons compte de ces processus (par exemple les collisions grain-grain et l’agglomération des fragments à la surface des grains), il se peut que les grains interstellaires soient constitués d’un mélange de silicates et de matière carbonée de plusieurs types séparés par du vide. Nous parlons alors de grains composites. Mathis & Whiffen (1989) ont choisi cette approche et ont développé un modèle constitué de grains composites de distribution en taille suivant une loi de

Figure 2.14 – Comparaison de l’extinction et de l’émission des poussières diffus prédites par différents modèles de poussières pour le milieu diffus. A gauche : Modèle graphite-silicate (rouge) et modèle manteau carboné coeur silicate (bleu) et à droite modèle composite (Zubko et al., 2004). puissance avec α = 3.7 et des tailles comprises entre 30 et 900 nm. Là encore, une population de graphite est ajoutée pour reproduire le bump à 2175 Å, ainsi que des PAH pour rendre compte des bandes d’émission aromatiques. Plus récemment, un modèle de poussières interstellaires utilisant des grains composites a également été proposé par Zubko et al. (2004).

Comparaison

La Fig. 2.14 montre une comparaison de modèles issus de chaque famille : le modèle Draine & Li (2007) pour la famille « silicate-graphite », le modèle Désert et al. (1990) pour la famille « manteau carboné coeur silicate », et le modèle Zubko et al. (2004) pour les modèles à grains composites. Pour la courbe d’extinction (panneaux supérieurs de la Fig. 2.14), les modèles dif-fèrent essentiellement dans le reproduction du bump à 2175 Å et de la remontée dans l’UV. Pour le spectre d’émission, les principaux écarts entre les différents modèles ont lieu au niveau du plateau d’émission dans l’infrarouge moyen, ce dernier étant plus ou moins marqué dans chaque modèle. Notons que, contrairement aux deux autres modèles de la Fig. 2.14, le modèle Désert et al. (1990) n’a pas pu être ajusté sur les données représentées car elles lui sont chronologique-ment postérieures.