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En 1978, Bell [37] propose une interprétation pour expliquer une observation sur-prenante : la force requise pour séparer deux cellules est plus élevée que celle dérivant du potentiel qui assure leur cohésion. Il incrimine dans l’adhésion spécifique le compor-tement cinétique des systèmes antigènes/anticorps - principalement des liaisons faibles de type Van der Waals et électrostatique - présents en surface. Ces liaisons étant réver-sibles, elles peuvent se dissocier spontanément sans qu’aucune force n’ait agit pour les rompre, et une rupture peut être observée si l’on attend suffisamment longtemps. La stabilité provient ici du nombre de liaison impliqué dans la cohésion inter-cellulaire, et de la probabilité extrêmement faible que celles-ci soient simultanément rompues. Il formalise son observation en appliquant un modèle développé par Kramers faisant intervenir le temps. Sous l’effet de l’agitation thermique, une liaison isolée (infiniment diluée) possède une probabilité non-nulle de franchir spontanément la barrière d’acti-vation thermique menant à sa dissociation à des temps d’obserd’acti-vation supérieurs à son temps de vie intrinsèque. Ainsi, à des temps d’observation supérieurs à son temps de vie une liaison peut se dissocier spontanément sans force appliquée et par conséquent l’action d’une force peut diminuer son temps de vie. A partir de 1991, Evans raffine ce modèle [38], [39] en faisant intervenir une dépendance du temps de vie de la liaison

II.2. MODÈLES DYNAMIQUE DE LA RUPTURE DE LIAISON 15 avec la charge de la force suivant un formalisme développé par Kramers. Ce formalisme a ouvert la voie à tout un champ d’investigation en spectroscopie de force, principale-ment parce qu’il permet de remonter aux paramètres cinétiques d’une grande variété de systèmes complémentaires. Nous décrivons dans ce qui suit les deux modèles qui ont été appliqués pour interpréter les spectres de force.

Modèles de barrière : L’application d’une force décroit continûment la stabilité d’une liaison pour l’amener vers son état dissocié [40]. Elle ajoute une contribution en kcx2, où kc est la constante de raideur du levier, et x le chemin dans les coordon-nées réactionnelles (x 6= z) réduisant la barrière énergétique et rendant accessible la dissociation, comme illustré sur la figure II.2.

Figure II.2 – Illustration de l’abaissement de la courbe de potentiel par application de la force F d’après [2].

Dans cette illustration, une barrière de potentiel sépare les états f et u (folded et unfolded) dans le cas d’un dépliement de protéines trans-membranaires suivant un processus à deux étapes [2]. Dans notre cas, il s’agira d’états liés et non-liés. L’énergie d’activation ∆G]

0sépare l’état initial f de l’état de transition (]) et la distance xu(qui sera notée xβ dans ce manuscrit) dans les coordonnées réactionnelles correspond à la distance séparant l’état lié de l’état de transition. Cette barrière peut être franchie

16 CHAPITRE II. MODÈLES ASSOCIÉS AU CHAMP PROCHE

Figure II.3 – Illustration de la barrière énergétique en fonction des coordonnées de réaction dans le modèle de Bell-Evans (a) et dans le modèle de Friddle-De Yoreo (b) d’après [3]. L’évolution de la force en fonction de la vitesse de charge est représentée dans les encarts.

spontanément à un taux de transition k0 qui dans notre cas sera exprimé comme la constante de taux de dissociation kof f. L’application d’une force ajoute une contribu-tion en −F cos(θ), qui jouant sur l’incurvacontribu-tion du potentiel appliqué agit en retour comme une sonde d’autant plus sensible que sa valeur est faible. L’application d’une force décroît donc continûment la barrière, de sorte que sa valeur à l’état de transition ∆G0(F )]devienne accessible.

Nous avons mentionné que ces expériences se déroulaient hors équilibre thermody-namique. Pour accéder aux paramètres cinétiques qui décrivent la réaction de dissocia-tion à l’équilibre, des modèles faisant intervenir la vitesse de charge ont été développés. Ces modèles sont représentés sur la figure II.3. Dans le modèle de Bell-Evans, la hau-teur de la barrière est diminuée par application de la force par −Fxβ. Cet abaissement impacte directement le taux de dissociation qui selon la théorie d’Eyring s’exprime comme : λ= ν exp∆G ] kBT  (II.3) et devient selon la théorie de Kramers [41] :

II.2. MODÈLES DYNAMIQUE DE LA RUPTURE DE LIAISON 17

λ(F ) = ωmin2πγωmaxexp(∆G]− F xβ) kBT  = koff expF xβ kBT  (II.4) avec ωminet ωmaxles fréquences de vibration de l’état lié et de transition dans le vide pondérées par un coefficient d’amortissement visqueux γ, xβ la largeur séparant l’état lié et l’état de transition, et kof f = 1/τof f la constante de taux de dissociation. Cette grandeur ne doit pas être confondue avec la constante de dissociation Kd= kof f/kon

où kon est la constante de taux d’association. Le nombre de molécules se dissociant à un instant t est décrit par une décroissance du premier ordre :

dNL

dt = −λ(t)NL(t) (II.5)

Par intégration nous avons :

NL(t) = exp

Z t

0 dt

0λ(t0) (II.6)

On déduit le nombre de molécules ayant dissocié : ND(t) = 1 − NL(t) = 1 − exp

Z t

0 dt

0λ(t0) (II.7) La probabilité qu’une molécule subisse une dissociation à un instant t est donnée par p(t) = ˙ND. En supposant que l’évolution de la force est continue dans le temps, nous obtenons après changement de variable :

p(F ) = λ(F ) r exp− Z F 0 dF 0λ(F0) r0  (II.8) avec r = ˙F . En substituant λ(F ) par son expression, nous obtenons :

p(F ) = kof f r expF xβ kBT  exp− kof f Z F 0 dF 0expF0xβ kBT 1 r0  (II.9)

18 CHAPITRE II. MODÈLES ASSOCIÉS AU CHAMP PROCHE Une relation liant F à dF/dt est obtenue à partir du maximum de la distribution F en dp(F )/dF = 0, et permet d’extraire simplement les paramètres cinétiques kof f

et xβ : F(r)BE = kBT xβ ln rxβ kof fkBT  (II.10) Concrètement, p(F) représente la distribution de probabilité des ruptures en fonc-tion de la force telle qu’observée dans les expériences de spectroscopie de force. F* est le maximum de cette probabilité et r = dF/dt est la vitesse à laquelle la force charge la liaison au moment de la rupture à sa valeur la plus probable, et qui s’exprime comme r= kcvsavec vsla vitesse de rétractation du piezoélectrique. Nous verrons au fil de nos exploitations que cette expression résulte d’une approximation, et que cette simplifica-tion ne permet pas toujours d’approcher ˙F . Le modèle que nous venons de décrire est le plus couramment utilisé en DFS (spectroscopie dynamique de force), et le premier a avoir été développé. Cependant, ce modèle représente une vision simplifiée de la disso-ciation, et n’inclut pas des processus de reformation de la liaison alors en compétition avec la dissociation à des temps supérieurs au temps de vie de la liaison. L’action de la vitesse de charge permettant de moduler ce temps de vie, des recombinaisons peuvent apparaître à faible vitesse de charge lorsqu’il devient possible de reformer la liaison. Le modèle proposé par Friddle-De Yoreo permet de prendre en compte ces recombinaisons en introduisant une dépendance exponentielle avec la charge dans les régimes proche équilibre [42] : hF i(r)F DY = Feq+kBT xβ ln1 + exp−γrxβ kukBT  (II.11) où Feq est la force à laquelle dissociations et ré-associations sont en équilibre et γ = 0.577 est la constante d’Euler. La constante appelée ici kupar opposition à la constante de reformation de la liaison kb sera par la suite désignée par kof f, pour conserver un parallèle entre les deux modèles. Dans ce modèle, la liaison oscille entre l’état lié et l’état non-lié. La probabilité de trouver le système dans l’un des deux états dépendant

II.3. TRANSPORT ÉLECTRONIQUE EN MOLÉCULE UNIQUE 19