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Chapitre 1 – Introduction

1.3 Spintronique moléculaire : de l’importance des interfaces

1.3.2 Modèle de la spinterface

Trouver une explication à la présence de signaux de MR négatifs est un travail qui a mobilisé la communauté naissante de la spintronique organique pendant plusieurs années. La solution est finalement venue de l’étude des phénomènes liés à l’hybridation métal ferromagnétique/molécule aux interfaces, ce qui a conduit au développement du modèle dit de la spinterface. Avant d’en exposer le principe, il est nécessaire de décrire ce qu’il advient lorsque qu’une molécule est mise au contact d’une surface métallique non magnétique.

Une molécule isolée est caractérisée par plusieurs orbitales moléculaires, chacune correspondant à un niveau d’énergie discret. Lorsqu’une ou plusieurs de ces molécules sont liées de manière covalente à un substrat métallique, il y a un transfert électronique entre celles-ci et le métal : on parle d’hybridation. Cette hybridation se traduit par un couplage des orbitales à la densité d’états du métal, ce qui entraîne principalement deux conséquences85,86 :

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- Un élargissement en énergie des niveaux (noté Γ) : comme les électrons ont une probabilité non nulle d’être transmis au métal, les temps de vie des niveaux deviennent finis et par conséquence l’énergie du niveau cesse d’être une valeur discrète : il y a un élargissement en énergie de ces niveaux, qui selon la force des interactions métal-molécule peut aller de l’ordre du meV à l’eV85.

- Un décalage en énergie des niveaux, de ϵ0 à ϵeff, dépendant de la densité d’états du métal et, entre autres, des dipôles interfaciaux et des forces images.

Lorsque l’on s’intéresse à l’injection de courant dans un matériau organique, ce sont les deux orbitales frontières, la HOMO et la LUMO, qui prédominent dans les phénomènes de transport. Nous avons représenté leur couplage à un métal en Figure 1.21(b), et à des fins de comparaison nous avons représenté la situation d’un semi-conducteur inorganique couplé à un métal (Figure 1.21(a)).

Figure 1.21 : (a) Représentation d’une interface métal/semi-conducteur, avec les bandes de conduction B.C et de valence B.V dont nous n’avons pas représenté la courbure par souci de clarté. (b) Représentation d’une interface métal/molécule lorsque celle-ci est greffée de manière covalente. Les niveaux discrets correspondant à la HOMO et

la LUMO sont décalés en énergie vers une énergie effective εeff et subissent un élargissement Γ.

Lorsque l’électrode est ferromagnétique, les densités d’états associées aux orientations de spin up et down ne sont plus équivalentes, et vont donc se coupler différemment avec les niveaux moléculaires : on parle d’hybridation dépendante du spin. Dans ce cas, les élargissements (notés Γ↓(↑)) et les décalages en énergie (notés ΔE↓(↑)) seront différents selon la direction de spin considérée. Ce modèle a été proposé en 2010 par Barraud et al.87–90 et baptisé spinterface. En considérant le cas d’un métal, nous avons représenté sur la Figure 1.22 les situations dans lesquelles celui-ci est ferromagnétique ou non.

Γ

ϵ

eff

ϵ

0 Métal Molécule A l’interface Isolée LUMO

E

F HOMO Métal conducteur

Semi-B.C.

B.V.

E

F

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Figure 1.22 : A gauche, cas d’un niveau moléculaire couplé à la densité d’état d’un métal non ferromagnétique, caractérisé par son énergie effective εeff et son élargissement Γ. A droite, cas d’un niveau moléculaire couplé aux

densités d’état up et down d’un métal ferromagnétique, caractérisé par Γ et ΔEpour la direction de spin up et Γ

et ΔE pour la direction de spin down.

Les décalages en énergie sont ainsi définis comme :

↑(↓)= − ↑(↓) (1.12)

On peut exprimer les élargissements associés aux directions up et down avec des densités d’états pondérées :

↑(↓)( ) = 2 ↑(↓) ( − ) (1.13)

↑(↓)

Ici, on considère le couplage Vi↑(↓) du niveau moléculaire avec un état métallique i et on somme sur tous les états. Ce qu’on peut déjà dire à partir de cette équation, c’est que si le couplage avec chaque niveau est équivalent, Vi↑(↓) ≈ V et on peut donc sortir ce terme de la somme, ce qui conduit à Γ↑(↓)

∝ D↓(↑)(E) : les élargissements sont directement proportionnels aux densités d’états de l’électrode ferromagnétique.

La conséquence directe de cette hybridation dépendante du spin à l’interface est qu’une polarisation en spin est induite sur la première couche moléculaire greffée à l’électrode. Barraud et al.87 ont donc introduit le concept d’électrode effective, composée de l’électrode ferromagnétique et de la première couche moléculaire à la polarisation de spin induite. Cette électrode effective est caractérisée par des densités d’états et une polarisation en spin différentes de l’électrode originelle. Les densités d’états de cette électrode effective peuvent être décrites avec une distribution Lorentzienne à l’aide des paramètres d’élargissement et de décalage en énergie :

Γ

ϵ

eff Métal Molécule

E

F

E

F ΔE ΔE Γ Γ Métal ferro. Molécule

35 ↑(↓)( ) = ↑(↓) 2 (∆ ↑(↓))² + ↑(↓)2 (1.14)

On peut alors se servir de ces densités d’états pour obtenir l’expression de la polarisation en spin effective de l’électrode à l’interface, de manière analogue à l’équation (1.7) :

=

+ (1.15)

A partir des équations (1.14) et (1.15), on peut discerner deux exemples de cas limites particulièrement intéressants. Le premier est associé à la situation où Γ>>ΔE, ce qui correspond qualitativement à un niveau fortement couplé et proche du niveau de Fermi des électrodes. Dans ce cas, on obtient à partir de l’équation (1.14) ↑(↓)≈ 1/ ↑(↓) . En remplaçant ce terme dans l’équation (1.15) on parvient à : = − + = − + = − (1.16)

Où PFM est la polarisation en spin initiale de l’électrode ferromagnétique. On constate alors que la polarisation en spin de l’électrode effective est l’opposée de celle de l’électrode seule : tout se passe comme si la présence de la première couche organique était à l’origine d’une inversion de la polarisation en spin de l’électrode ferromagnétique à l’interface.

Le second cas limite correspond à la situation où Γ<<ΔE, c’est-à-dire le cas d’un niveau peu élargi loin du niveau de Fermi des électrodes, et donc à priori à un couplage plus faible. L’équation (1.14) devient cette fois-ci ↑(↓)↑(↓)

(∆ ↑(↓))² , ce qui donne avec l’équation (1.15) :

= + (1.17)

Ici, on voit que le signe de la polarisation en spin est conservé, mais la séparation en énergie des deux états de couplage du niveau moléculaire est amplifiée. Cela résulte en une hauteur de barrière plus grande pour une direction de spin que pour l’autre, et donc à un effet de filtrage de spin. Dans certains cas cela conduit à Pint > PFM : la polarisation en spin de l’électrode effective est plus importante que celle de l’électrode seule. Nous pouvons résumer ces deux cas dans la Figure 1.23.

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Figure 1.23 : Représentation de la spinterface. (a) Dans le cas où l’élargissement du niveau est grand devant le décalage en énergie. La polarisation en spin de l’électrode effective est alors l’opposée de celle de l’électrode

ferromagnétique. (b) Dans le cas inverse, on peut observer un effet de filtrage du spin, qui conduit à une polarisation en spin plus importante à l’interface.

On constate à travers ces deux cas limites que la présence d’un composé organique à l’interface peut entraîner des modifications importantes de la structure électronique de cette interface et de sa polarisation en spin. Il semble alors possible, en choisissant judicieusement la molécule, de moduler les propriétés d’injection de porteurs polarisés en spin depuis l’interface. Même si le modèle est relativement récent, il existe dans la littérature un certain nombre d’observations expérimentales de telles interfaces, et notamment de preuves de l’existence des deux cas limites que nous avons présentés.