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M. Jordane JASNIEWSKI, Maitre de conférences, Université de Lorraine

4. La micelle de caséine

4.3. Les modèles de structure de la micelle de caséine

4.3.5. Le modèle poreux

L’étude de la structure supramoléculaire de la micelle de caséine a été poursuivie par McMahon et Oommen en 2007 à partir d'observations TEM des échantillons de protéines adsorbées sur une grille

en cuivre recouverte par une couche de poly-L-Lysine et de parlodion 442. Les caséines et le phosphate

de calcium ont été marqués par de l’oxalate d’urée, congelés instantanément et séchés sous vide. Les images obtenues en microscopie électronique à transmission à haute résolution révèlent une structure complexe entrelacée dans laquelle les agrégats de phosphate de calcium et de caséines d’une part et les chaines de polymères de caséines d’autre part interagissent ensemble pour former une entité micellaire stable. Les chaines de caséines linéaires et ramifiées sont entrelacées par les nanoclusters de phosphate de calcium et des interactions multiples régissent ces structures. Cette combinaison de structures et d’interactions permet d’introduire un modèle micellaire à structure ouverte et poreuse résistante aux modifications du milieu (Figure 52). Les interactions hydrophobes entre les caséines entourant le nanoclusters de phosphate de calcium empêchent la dissociation de la micelle quand ce nanocluster est solubilisé. De plus, les interactions électrostatiques entre caséines empêchent la déstabilisation micellaire une fois le lait réfrigéré pouvant entrainer la déplétion de la caséine β ou suite à l’addition d'urée.

89 Figure 52. La micelle de caséine immobilisée et observée par Cryo-TEM. A sa droite, un schéma illustrant le modèle poreux de la micelle de caséine entière définie par McMahon et al. (2007). Un zoom sur la périphérie de la micelle montre les nanoclusters de phosphate de calcium (boule noire) de 4,8 nm de diamètre avec un espace intermicellaire de 18 nm. Les caséines sont aussi illustrées avec un diamètre hydrodynamique de 8 nm (boule grise) 442.

Bouchoux en 2010 étudie l’évolution de la structure de la micelle en cours de contraction par

déshydratation osmotique par diffusion des rayons X aux petits angles (SAXS) 443 (Figure 53 )

Figure 53. (L’évolution de la structure de la micelle en cours de contraction par déshydratation osmotique par diffusion des rayons X aux petits angles (SAXS) (A) Profils SAXS des dispersions de caséines micellaires à des concentrations (de haut en bas) de 25, 33, 100, 150, 167, 206, 337, 365, et 400 g.L-1. Les données ont été décalées le long de l’axe des ordonnées pour une meilleure observation. A 25 g.L-1, les dispersions sont turbides et liquides alors qu’à une concentration de 400 g.L-1, elles ont l‘aspect d’un gel transparent. La transition entre le liquide et le gel se fait à des concentrations entre 150 et 200 g.L-1 de caséines. (B) représentation log-log de Kratky (q²I(q) = f(q)) avec q, le vecteur d’onde et I, l’intensité de lumière diffusée.

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La figure 53 représente les profils de diffusion SAXS obtenus pour des concentrations de dispersions

caséiques allant de 25 à 400 g.L-1. Pour un premier intervalle de concentration allant de 25 à 150 g.L-1,

les changements observés sont limités aux petits angles q où l’épaulement correspondant aux distances entre micelles se déplace vers des plus grands angles indiquant un rapprochement intermicellaire. Dans cette même gamme de concentration, les dispersions sont liquides et turbides. Les mesures de viscosité et de pression osmotique prouvent que les micelles interagissent en tant que sphères qui se repoussent et dont la compression ne fait que modifier leurs positions relatives. Cela a été aussi confirmé par le facteur de structure Seff (q) obtenu en divisant l’intensité de diffusion I(q)

d’une concentration caséique par l’intensité de diffusion de la plus faible concentration (25 g.L-1) dans

laquelle seule la contribution du facteur de forme apparait (Figure 54)

Figure 54. Le facteur de structure Seff(q) mesuré pour les dispersions de caséines micellaires à des concentrations (de haut en bas) de 100, 150, 167, 206, 337, 365, et 400 g.L-1.

Le facteur de structure ressemble beaucoup à celui des dispersions concentrées de particules solides ou de nanoémulsions. Cela confirme alors qu’il n’y a pas de changement de la structure interne micellaire.

Pour le deuxième intervalle de concentrations (C > 150 g.L-1), l’augmentation de la concentration conduit à un changement beaucoup plus significatif. Le changement principal est le fait que les profils

91 SAXS ont tendance à s’aplatir avec l’augmentation de la concentration caséique. Un deuxième changement est observé au niveau des vecteurs d'ondes q intermédiaires où les oscillations deviennent de plus en plus importantes contrairement à l’épaulement observé aux faibles angles qui devient de moins en moins prononcé avec l’augmentation de la concentration caséique. Le facteur de structure Seff devient de plus en plus large et se déplace vers des grandes valeurs de q et donc vers la structure interne micellaire. En effet, au début du deuxième intervalle, pour des concentrations de

150-200 g.L-1, la pression osmotique augmente soudainement et les micelles de caséines interagissent

fortement et se rapprochent. Les dispersions ne sont plus considérées comme liquides mais comme des solides mous poreux. A des concentrations encore plus importantes, les micelles sont très proches et ont tendance à se contracter et à se relâcher. Ces dispersions acquièrent les propriétés viscoélastiques des gels. Pour résumer, quand la phase aqueuse séparant les micelles de caséines est extraite, ces structures se comportent en tant que des sphères polydisperses dont la structure interne n’est pas affectée. Quand elles sont comprimées, les micelles perdent de l’eau et leur volume diminue. Les résultats indiquent que la compression n’est pas affine : certaines parties de la micelle sont modifiées alors que d’autres résistent à la déformation. Pour ce, Bouchoux propose un modèle « type éponge » ou modèle poreux de la structure micellaire à trois niveaux hiérarchiques (Figure 55): un niveau bas formé des nanoclusters de phosphate de calcium qui servent de points d’ancrage aux caséines, un niveau intermédiaire constitué de régions rigides de 10 à 40 nm résistantes à la compression et contenant les nanoclusters et le dernier niveau formé de la micelle de caséine elle-même avec une taille moyenne de 100 nm.

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Figure 55. Le modèle poreux proposé par Bouchoux et al en 2010 : la micelle est formée de régions molles composées de vide ou de solvant et de régions rigides contenant les nanoclusters de phosphate de calcium et les molécules de caséines représentées par des boules de 25 nm 443.

Enfin, une description de la micelle prenant en compte le rôle de l’eau dans le maintien de la structure

a été proposée par Dalgleish et al., en 2011 249. La présence de régions protéiques denses avec des

domaines hydrophobes serait en contradiction avec une distribution uniforme de l’eau à l’intérieur de la micelle. L’eau serait présente à l’intérieur de la micelle sous forme de canaux ou de domaines stabilisés par les caséines β.

93 Figure 56.Schéma récapitulatif illustrant l’évolution de la structure micellaire depuis 1956 avec les différents modèles suggérés par les auteurs suivants: Waugh et al (1956), Schmidt et al 1982, Horne et al 1998 et 2005, Holt et al, 2003, McMahon et al, 1998 et 2007, Bouchoux et al, 2010, Dalgleish et al, 2011, Mata et al, 2011, De Kruif et al, 2012 et 2014. Les différentes observations de microscopie électronique à transmission (TEM) et SAXS sont aussi évoquées 249,433,434,436,437,439,440,442–446.

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En se basant sur tous ces modèles, la structure complexe de la micelle de caséine fait aussi sa force en tant que matrice de vectorisation et d’encapsulation de bioactifs. Ces propriétés de structure, de surface, d’auto-assemblage seront plus détaillées dans la section qui suit en plus de ces propriétés d’interaction, de protection, de relargage contrôlé et surtout de ses propriétés technofonctionnelles qui font d’elle une matrice d’encapsulation de bioactifs remarquable.