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IV. 2 .2 Sources

IV.4 Mitochondrie, Stress Oxydatif et Cancer

Les espèces oxygénées réactives ont la capacité d’occasionner des dommages chimiques pou-vant compromettre l’intégrité de nos cellules, et en particulier celle de notre ADN. Notre corps dispose de moyens de défense pour s’en protéger. Cependant, il arrive que ces moyens soient insuffisants pour neutraliser ces composés. La cellule est alors dans un état dans lequel ses consti-tuants et notamment les acides nucléiques comme l’ADN, subissent des attaques chimiques plus ou moins sévères, cet état est appelé stress oxydatif. Les types de lésions occasionnées à l’ADN peuvent être entre autres, l’oxydation des bases nucléiques, la création de site abasiques - sites au niveau desquels une base nucléique est manquante - ou encore des cassures simple-brin213. Plus de 20 types de lésions pouvant être occasionnées sur les bases de l’ADN ont été réperto-riés214,215. La base nucléique guanine est la plus facilement oxydable.

Pendant longtemps la mitochondrie n’a été que la centrale énergétique de la cellule, mais aujourd’hui il est évident que cet organite dynamique joue un rôle dans la carcinogenèse. En effet, les altérations génétiques et métaboliques au niveau de la mitochondrie ont été montrées comme étant la cause ou un facteur contributeur d’un certain nombre de pathologies humaines, incluant le cancer216,217. Le stress oxydatif est le biais par lequel le génome mitochondrial pour-rait contribuer à influer sur le risque de cancer. Comme vu précédemment, une des sources majeures de ROS dans la cellule est la phosphorylation oxydative. Les espèces oxygénées ré-actives générées par la mitochondrie peuvent favoriser le développement du cancer par deux biais : en premier lieu, ils peuvent causer des mutations dans des gènes nucléaires d’importance capitale (proto-oncogènes, gènes suppresseurs de tumeurs, gènes de réparation de l’ADN), et d’autre part, en agissant comme un facteur promoteur du développement tumoral en favorisant la prolifération cellulaire. En effet, à des taux raisonnables (suffisamment faibles pour ne pas conduire la cellule à l’apoptose), les ROS interagissent avec une quantité de protéines (notam-ment les protéines kinases) et de facteurs de transcription, conduisant à la division cellulaire218.

Le génome mitochondrial est lui-même d’autant plus à même de subir des dommages dus au stress oxydatif que celui-ci est directement exposé aux espèces oxygénées réactives géné-rées par la phosphorylation oxydative au niveau de la membrane mitochondriale interne. Dans l’hypothèse ou une tumeur commencerait à se développer et où ses mécanismes de contrôle de l’intégrité et réparation de l’ADN seraient altérés, il n’est pas surprenant d’observer une instabilité génomique dans la tumeur au niveau de l’ADN mitochondrial comme au niveau de l’ADN nucléaire.

Des mutations constitutionnelles dans des gènes portés par l’ADN mitochondrial ont été identifiées comme prédisposant au cancer. Certaines mutations affectant le gène mitochondrial

COI, et plus précisément les mutations T6253C, C6340T, G6261A, et A6663G augmentent

for-tement le risque de cancer de la prostate216. Dans une étude analysant le génome mitochondrial d’individus mâles dont 180 atteints d’un cancer de la prostate, 46 contrôles négatifs âgés de plus de 50 ans, et de 898 génomes mitochondriaux représentant la population générale, ces mutations du gène COI ont été observées dans 11% des cas de cancer de la prostate, 0% des contrôles, et 5.5% de la population générale, avec une fréquence statistiquement différente entre chacun de ces groupes216. Plusieurs études ont d’autre part mis en évidence le rôle primordial des mutations constitutionnelles et somatiques dans le développement et la progression du can-cer de la prostate216,219. Des cellules d’une lignée de cancer de la prostate ont été déplétées de leurs mitochondries, puis séparées en deux groupes. On a ensuite injecté au premier groupe des mitochondries possédant la mutation T8993G dans le gène ATP6, alors que des mitochondries sans cette mutation ont été injectées au second groupe. Cette mutation avait précédemment été étudiée pour son rôle potentiel dans la surproduction de ROS220. Ces cellules, possédant le même génome nucléaire, mais un génome mitochondrial variable fusionné de manière artificielle, sont appelées cybrides, terme provenant de la contraction des mots cytoplasme et hybride. Ces hybrides ont ensuite été injectés à des souris. Les souris ayant reçu les cybrides sans la mutation T8993G ont eu une croissance normale. Les souris ayant reçu les cybrides mutés ont développé rapidement des tumeurs conduisant à leur mort. De plus, il a été observé que les cellules arbo-rant cette mutation produisent beaucoup plus de ROS que les cellules ne la présentant pas220,216.

Le cancer du sein semble lui aussi être caractérisé par des dysfonctionnements des fonctions mitochondriales dus à des altérations génétiques de la phosphorylation oxydative. Les protéines structurelles impliquées dans la chaîne de transport des électrons sont encodées aussi bien par des gènes nucléaires que par des gènes portés par le génome mitochondrial. Certaines mutations affectant la séquence de la D-loop pourraient également favoriser le développement du cancer du sein.

L’allèle A du polymorphisme situé en 10398 a été montré augmentant le risque de cancer du sein dans certaines populations : chez les femmes afro-américaines mais pas chez les femmes caucasiennes221, et chez les femmes originaires du nord de l’Inde222. Cependant, d’autres études n’ont pas détecté cette association223,224dans ces populations. Cet allèle a également été observé associé avec le risque de cancer du sein dans des populations européennes, américaines d’origine caucasienne, polonaises, et malaysiennes225–228. Cette association est à l’heure actuelle toujours controversée. De plus, une étude a envisagé une éventuelle modification de l’effet de l’association de l’allèle 10398A par la consommation d’alcool229. Ce polymorphisme non-synonyme pourrait altérer l’efficacité et le fonctionnement du complexe I de la chaîne respiratoire, et ainsi aug-menter significativement la quantité d’espèces oxygénées réactives générées230, favorisant ainsi le développement tumoral. La consommation d’alcool accentuerait à un niveau supplémentaire l’excès de ROS générés.

Le polymorphisme T16189C a été détecté associé avec le risque de cancer du sein231, tout comme G9055A, T16519C, T239C, A263G, and C16207T225,232. Les polymorphismes T3197C et G13708A ont quant à eux été détectés inversement associés avec le risque de cancer du sein225, alors que les SNPs A73G, C150T, T16183C, T16189C, C16223T, et T16362C ont été observés avec une fréquence plus élevée chez les cas de cancer du sein que chez des contrôles sains232. Récemment, 69 nouveaux variants ont également été découverts, et l’haplogroupe M5 a été observé associé avec le risque de cancer du sein233.

Ainsi, la variabilité du génome mitochondrial, en particulier au niveau des gènes codant pour des sous-unités structurelles de la chaîne respiratoire, semblerait jouer un rôle dans la prédisposition génétique au cancer, notamment au cancer du sein, en influant sur la quantité d’espèces oxygénées réactives produites.

L’ensemble des éléments présentés dans cette introduction illustre l’existence de données de nature épidémiologique et biologique selon lesquelles le génome mitochondrial pourrait avoir une influence sur le risque de cancer, et notamment de cancer du sein. Il existe des syndromes pathologiques graves causés par des mutations au sein du génome mitochondrial, mutations ayant un effet dramatique sur le fonctionnement de la mitochondrie et donc de la cellule. Dans ce contexte, il parait donc légitime de s’interroger sur la possibilité que d’autres mutations localisées sur le génome mitochondrial puissent contribuer ou influer sur le risque de cancer. D’autre part, en comparaison du génome nucléaire, le génome mitochondrial n’a été que peu étudié, et ce principalement parce qu’il présente des spécificités qui font que les technologies employées pour l’analyse du génome nucléaire ne sont pas optimisées pour son étude. De ce fait, bien que des études sur les liens entre mitochondrie et cancer aient été publiées, la littérature sur le sujet est relativement peu fournie. Dans ce contexte, les travaux que j’ai effectués au

cours de mon doctorat ont pour objectif de contribuer à pallier à ce manque de données et d’approfondir l’étude des liens existants entre génome mitochondrial et cancer du sein.