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PARTIE 2 : LES VISITES AU CŒUR DE LA STRATEGIE DE COMMUNICATION

2. Une « mise en scène » de l’entreprise

Les entreprises en ouvrant leurs portes au public sélectionnent ce qu’elles vont lui donner à voir, dans quel ordre, sous quel angle et avec quel discours en fonction de son objectif et de son public. Elles ne laissent pas le visiteur entrer et aller librement. Les

39 visites d’entreprises sont d’ailleurs presque toujours des visites guidées, accompagnées d’un chargé de visites ou de guides, de chargés de communication, de salariés de l’entreprise ou parfois de retraités. La visite d’entreprise est en ce sens un véritable outil de communication que l’on peut ici associer à une « mise en scène » au sens goffmanien.

Tout d’abord, dans l’ouvrage Les rites de l’interaction48, Erving Goffman aborde la notion de face comme une image de soi. Les individus souhaitent donner une image d’eux-mêmes au travers de leurs interactions au même titre que l’entreprise donne une image d’elle-même à travers la visite. Dans son autre ouvrage La mise en scène de la vie

quotidienne : la présentation de soi49, Goffman analyse les interactions humaines sous

le prisme d’une représentation théâtrale. Goffman affirme que chaque personne joue un rôle en donnant une représentation d’elle-même lors de ses interactions et est ainsi acteur.

Dans le cas de la visite d’entreprise, ce sont donc les chargés de visites (ou autres représentants de l’entreprise lors d’une visite) qui en sont les acteurs. A travers leur représentation, les acteurs donnent à la fois une image d’eux-mêmes en tant que salariés de l’entreprise et à travers eux, de l’entreprise pour laquelle ils travaillent. Il s’agit d’un processus métonymique : à travers l’individu, c’est l’entreprise qui se définit. Les chargés de visites préparent les visites et apprennent un discours quasiment par cœur. Chacun peut se l’approprier à sa manière mais le fil rouge sera le même pour tous. Même lorsque ce sont les salariés qui jouent le rôle de guides, ils sont préparés en amont et font partie d’une équipe. Goffman définit les équipes comme des groupes d’acteurs qui concourent à la même représentation. Les équipes seraient donc les chargés de visite et/ou guides et chargés de communication qui préparent ensemble la visite avant d’accueillir les visiteurs. Il existe une solidarité entre les membres de l’équipe qui prennent des décisions ensemble, cachés du public, c’est-à-dire avant que celui-ci n’arrive ou dans les coulisses lorsqu’il est présent.

Ils entrent alors dans un rôle lorsqu’ils accueillent du public. On remarque également que l’on parle d’ailleurs bien de public pour nommer les visiteurs. Ces derniers se prêtent également au jeu en se préparant en amont de la visite en se renseignant sur l’entreprise, en posant des questions et en entrant en interaction avec l’entreprise.

48 Erving GOFFMAN. Les rites de l’interaction. Les Éditions de Minuit. Collection Le sens commun. 1974, 240 p.

49 Erving GOFFMAN. La mise en scène de la vie quotidienne 1 : la présentation de soi. Les Éditions de Minuit. Collection Le sens commun. 1973, 256 p.

40 Pour qu’il y ait représentation, il faut également des éléments telle qu’une façade ou une réalisation dramatique. La façade, décrite par Goffman comme les accessoires permettant à l’acteur de jouer son rôle, inclut également le mobilier, le décor, etc… Pour les visites d’entreprise, cela correspondrait à la signalétique mise en place sur le lieu de production pour définir le parcours de visite et l’agrémenter (vidéos, supports de présentation comme le diaporama exposé aux visiteurs de la centrale nucléaire de Chooz…). Il est d’ailleurs possible que les entreprises fassent appel à des scénographes pour élaborer le parcours de visite et sa signalétique. La réalisation dramatique, quant à elle, serait le discours appris par les chargés de visite.

Goffman distingue ensuite deux « régions »50 selon lesquelles le comportement des acteurs change. La première est la région antérieure. Il s’agit du lieu où se tient la représentation : là où on accueille les visiteurs et l’ensemble du parcours de visite. La région postérieure est quant à elle l’équivalent des coulisses au théâtre, là où les acteurs ne sont plus ou pas encore dans leur rôle et se comportent donc différemment. Par exemple, face aux visiteurs, les chargés de visites se montrent courtois même en cas de visiteurs quelque peu dérangeants. Une fois dans la région postérieure, ils discutent entre eux de la visite et peuvent par exemple se plaindre des visiteurs. Il y a également dans cet exemple ce que Goffman appelle une « communication étrangère au rôle »51, plus précisément le « traitement de l’absent »52 qui consiste à « dénigrer » le public lorsqu’il est absent alors que le respect sera de mise face à lui.

La région postérieure serait les bureaux auxquels les visiteurs n’ont pas accès, où travaillent les acteurs de la visite lorsqu’ils ne reçoivent pas de public et où se passe la préparation de la visite. A la centrale nucléaire de Chooz, la région postérieure serait, par exemple, le bureau de l’équipe Exirys situé au CIP, inaccessible aux visiteurs, et duquel elle sort lorsqu’un visiteur arrive dans l’espace d’accueil. Goffman met en lumière une troisième région, la région extérieure où se situent les personnes extérieures. Dans notre cas, il s’agirait des endroits de l’entreprise où les visiteurs ne se rendent pas et que les personnes responsables des visites n’ont pas l’habitude de fréquenter, encore moins pour y préparer les visites. Les personnes extérieures seraient quant à elles les salariés de l’entreprise qui ne prennent pas part à la visite.

50 Erving GOFFMAN. La mise en scène de la vie quotidienne 1 : la présentation de soi. Les Éditions de Minuit. Collection Le sens commun. 1973, 256 p.

51 Ibid.

41 Goffman établit également des rôles contradictoires présents lors de la représentation ou non. Parmi ces rôles, certains pourraient, par exemple, mettre en péril la représentation en divulguant les « secrets »53 comme le « spécialiste ». Ici, il pourrait s’agir d’un expert sur le sujet du nucléaire ou d’un ancien salarié qui contredirait une information émise par l’entreprise lors d’une visite. D’autres pourraient soutenir les acteurs : Goffman détermine en ce sens le rôle de « collègue »54. Il s’agit de personnes qui jouent le même rôle et sont confrontés au même type de situations mais en n’intervenant pas avec l’équipe. Les acteurs peuvent donc se confier à ces collègues. Ce serait, dans notre exemple, les chargés de visites de deux centrales nucléaires différentes qui échangeraient entre eux à propos des visites qu’ils organisent et se donneraient des conseils, comme c’est le cas lors des réunions du réseau « communication de proximité » d’EDF.

Enfin, Goffman note que les acteurs disposent de divers « secrets » qui pourraient venir détruire leur représentation. Il pourrait s’agir ici d’informations sensibles sur l’entreprise à ne pas divulguer ou à passer sous silence lors de la visite. Cela donne un caractère risqué à la représentation.

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