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De la mise en scène du journaliste polémique au journaliste « médiatiquement trop incorrect ».

Chapitre 2 - La construction du polémiste médiatique : mise en scène de la transgression médiatique par Éric

2. De la mise en scène du journaliste polémique au journaliste « médiatiquement trop incorrect ».

Le caractère vendeur et clivant du rôle de polémiste dans la mise en scène mé- diatique des débats d’opinion atteint ses limites lorsque la transgression idéologique ne peut plus justifier les intérêts marchands. Cependant le journaliste polémique étant fait polémiste légitime sa visibilité médiatique par un retournement de la stigmatisation idéologique qu’il dit subir pour justifier d’autant mieux la liberté d’expression de ses

opinions dans le débat public. Ainsi Éric Zemmour passe du rôle de polémiste dans et pour les médias, de polémiste médiatique au rôle de polémiste idéologique et politique dans et contre les médias par ses livres polémiques et les polémiques que ceux-ci sus- citent.

a. Caractère clivant de la transgression : le rôle de polémiste dans les médias

Éric Zemmour s’est construit non seulement par ses polémiques sur les plateaux de télévisions mais aussi par ses écrits. Jusqu’au Suicide français, ceux-ci ne connais- saient par le succès qu’on leur prête aujourd’hui. Auteur en effet d’un premier essai polémiste anti-féministe Le Premier Sexe en 2006, puis d’un deuxième essai plus his- toriciste en 2010, Mélancolie française, notamment, Éric Zemmour se faisait déjà re- marquer par ses positions tranchées et clairement conservatrices mais il ne connaissait pas le succès alors qu’ont pu susciter Le Suicide français et Destin français. Question de temps sans-doute, de contexte de parution probablement, toujours est-il que le suc- cès en librairie de ses deux derniers ouvrages n’ont fait qu’asseoir un peu plus cette légitimité construite dans les médias par ses chroniques au Figaro d’abord et sur les plateaux télé ensuite. Même ses ouvrages rassemblant ses chroniques sur RTL par exemple comme Le Bûcher des vaniteux55, n’avaient pas rencontré un tel engouement

alors qu’à l’exemple de ce dernier, nombre de ces émissions pourraient porter le flanc à la polémique. Le choix des sujets traités dans les deux ouvrages de ce corpus n’est pas anodin et assoit la légitimité d’Éric Zemmour sur le plan idéologique : « le Suicide français, c’est un diagnostic d’une époque […]. » et « le Destin français c’est une histoire de France. » explique-t-il en entretien. Comment un journaliste politique peut- il prétendre écrire une histoire de France ? C’est ici que tout le processus de légitima- tion seule prendre tout son sens : Éric Zemmour s’est fait assez connaître pour savoir qu’il vendra ses livres, les lecteurs connaissent ses opinions l’ont identifié, les médias le connaissent et l’ont mis dans cette posture qui lui permet d’écrire son « histoire de France » sans légitimité académique, sans légitimité universitaire avec un horizon d’at- tente néo-réactionnaire et polémique.

En effet, Éric Zemmour veut écrire d’abord un « diagnostic » (terme qui sous- entend, implique une pathologie française…), un état des lieux de la France avant 2014, c’est ce qu’il tend à faire sur les plateaux, c’est le rôle duquel il se réclame : « moi, Éric Zemmour, je vais vous montrer ce qui ne va pas, je vais mettre un bonnet rouge au politiquement correct » semble-t-il dire : aussi son livre publié en 2014, alors qu’il s’est déjà fait renvoyé de l’émission de Laurent Ruquier, alors qu’il a déjà suscité de nombreuses polémiques, à l’heure où le mouvement conservateur est dans la rue contre la Loi Taubira, ne fait que s’inscrire dans une dynamique plus large, montrer, mettre le doigt sur le « mal français », ce qui serait une maladie idéologique qui rongerait la France : « je voulais montrer la cohérence, en vérité, idéologique … moi je suis très frappé, en vérité, par la différence entre l’apparence de chaos de l’époque et la grande cohérence idéologique et les gens ne voient que le chaos en surface et moi je voulais montrer en souterrain la grande cohérence idéologique et d’ailleurs ça continue ! » explique-t-il en entretien, pour justifier l’écriture de son livre.

En fait non seulement, cet ouvrage le conforte et l’assoit un peu plus dans son image de polémiste mais en plus il lui permet de légitimer sa position d’intellectuel puisqu’il publie. Or un polémiste ne serait qu’un « agitateur » politique sans grande importance s’il ne pouvait se justifier d’avoir commis quelques ouvrages dans de grandes maisons d’édition françaises. En effet, dans cette tentative de définir ce qu’est un polémiste par la figure représentative d’Éric Zemmour force est de constater que celui-ci se différencie bien largement de « l’agi- tateur » tel que le définissent Leo Löwenthal et Norbert Guterman, dans leur article « Portrait de l’agitateur américain » publié dans Réseaux en 201756.

En effet, si Éric Zemmour peut sembler au premier abord faire « l’agitateur » des plateaux télés dans les médias, il n’est pas celui qui ne fait que se nourrir de son renom, qui n’agite que pour agiter et se faire un nom sur les contestations sociales et politiques dont il se fait le représentant : « il [l’agitateur] joue avec les craintes abstraites et les espoirs de changement radical […] ses récriminations ne sont pas circonscrites et touchent au contraire tous les domaines de la vie sociale. Il ne s’adresse pas à des groupes spécifiques […] l’agi- tateur est généralement le défenseur du statu quo. ». Or Éric Zemmour n’est rien de tout cela. Dans cet article les auteurs tentent de définir « l’agitateur américain » par opposition au «