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Partie I Invention et circulation de l’évaluation 43


Section 2 : L’evaluation en « action » : l’exemple de la Région Lorraine 133

1. 
 Une émergence entre intérêts propres et mimétisme institutionnel 134

1.2. 
 L’IL2E, point nodal de l’évaluation en Lorraine 141

1.2.2. 
 La « mise sur orbite » de l’IL2E 143

L’IL2E naît officiellement le 11 avril 1994 par une transformation de l’ARAL dont les missions antérieures d’expertise et de conseil en matière de planification, d’aménagement du territoire et de tourisme ont été élargies à l’évaluation des politiques publiques.

Le support sur cet organisme pour fonder l’IL2E se situe dans le prolongement des souhaits émis, dès 1993, par le Conseil régional, « de voir se développer un véritable outil d’évaluation du Plan et du contrat de plan et de confier cette mission à l’ARAL compte tenu des travaux qu’elle a déjà engagés dans ce sens »438.

433 Extraits d’entretien avec une ancienne chargée de mission à l’IL2E, Metz, 4 décembre 2006.

434 Syndicaliste, secrétaire général adjoint de la CFDT, préfet délégué pour le redéploiement industriel en

Lorraine (1984), puis ministre délégué à l’aménagement du territoire et à la reconversion industrielle sous le deuxième gouvernement Rocard de 1988 à 1991, Jacques Chéréque conduit, à cette époque, l’opposition socialiste en Lorraine. Notamment : François (B.), Legavre (J.-B.), Sawicki (F.), « Un pompier avec une âme d'architecte. Entretien avec J. Chérèque », Politix, vol. 2, n°7-8, 1989, p. 124-127.

435 C’est ce que laisse entrevoir les procès-verbaux des conseils d’administration de l’IL2E.

436 Qui doit habilement le manœuvrer en raison d’une très courte majorité au sein de l’exécutif lorrain (37

conseillers UDF-RPR sur les 73 membres de la chambre lorraine).

437 Il rédigera par la suite un rapport fortement remarqué sur les contrats de plan : Chéréque (J.), La prochaine

génération de contrats de projets Etat-régions (2000-2007) : plus de région et mieux d'Etat, Rapport au Ministre de l’Environnement, juin 1998, 87 pages.

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La nouvelle association (loi locale du 19 avril 1908) ainsi créée devient un satellite de la région qui, très rapidement, est qualifiée de « danseuse du Président »439 par ses détracteurs. L’activité de cette nouvelle entité est multiple et n’est pas exclusivement dédiée à l’évaluation des politiques publiques.

Il s’agit alors « d'entreprendre toutes les recherches et études destinées à faire des propositions et éclairer les choix de ses membres en matière de développement, d'aménagement, de planification, d'observation et d'évaluation des politiques publiques »440.

Néanmoins, c’est surtout ce dernier champ de compétences qui polarise l’attention des observateurs et du microcosme politique local, du fait de la relative nouveauté de l’exercice et des fortes attentes qui l’entourent.

En matière d’évaluation précisément, on peut lire que l’IL2E possède la mission d’impulser en Lorraine une démarche d’évaluation définie par les grands instruments de planification régionale que sont le plan régional, le protocole d’orientation commune Régions-grandes collectivités et le Contrat de Plan Etat-Région, tout en ouvrant l’évaluation aux instances dirigeantes des départements et villes chefs-lieux.

Il devient donc l’« instance technique d’évaluations » des politiques publiques régionales et des procédures contractuelles avec les autres collectivités territoriales.

Pour mener à bien le projet, Philippe Anquetil, dans le prolongement de son rôle précurseur à l’ARAL, est nommé à la direction de cette nouvelle entité avec pour mission de développer une « force de frappe » capable de détenir une expérience dans la préparation des évaluations et dans l’accompagnement des services à définir une stratégie en la matière441.

Il est en charge d’animer une équipe initialement composée de sept personnes, des « moutons à cinq pattes » comme se plaît à rappeler une ancienne chargée de mission, dotée de

439 Extraits d’entretien avec une ancienne chargée de mission de l’IL2E, Metz, 4 décembre 2006. 440 Extraits des statuts de l’IL2E.

441 Poursuivant sa carrière d’ingénieur au sein d’un Etablissement Public en dehors de la région, ce dernier sera

très vite remplacé en 1995 par Anne-Marie Herbourg, docteur d’Etat en sciences économiques, (entrée en 1987 à la Région), comme directrice de l’IL2E. Cette dernière cumulera cette nouvelle mission avec ses responsabilités à la région en tant que Directrice Générale Adjointe (DGA).

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compétences pluridisciplinaires en aménagement du territoire, en sociologie ou encore en droit 442 mais peu familière de l’évaluation des politiques publiques443.

L’appui sur cette équipe se double d’un portage politique fort. Pour entremêler la destinée de l’IL2E avec celle de l’aménagement du territoire, Gérard Léonard, négociateur du projet dans les arcanes régionaux, est élu Président de l’association.

On ne peut que souligner le caractère stratégique conféré à l’évaluation suite à cette nomination hautement symbolique du Premier vice-Président du Conseil régional.

Dès son intronisation, il défend l’impulsion de son Président de région et dessine une ligne claire pour l’institut : « rechercher plus de cohérence et de rigueur »444 dans les politiques publiques qui sont menées et de les fonder sur des « choix intelligents »445.

Un peu plus tard, il précisera également :

« Grâce aux actions développées, ceux qui auront fait confiance à l’Institut pourront : prendre des décisions plus rationnelles, apprendre à se mobiliser en vue de l’action sur le terrain, se donner les moyens de rendre des comptes »446.

442 Au sujet de leur formation, on peut lire : « l’équipe des chargés d’études de l’IL2E est largement

pluridisciplinaire et réunit des compétences et expériences diversifiées et complémentaires. Toutefois, s’agissant d’un métier nouveau et encore peu codifié, un important effort de formation était indispensable » in Rapport annuel d’activités, IL2E, décembre 1994, p. 4.

443 Le directeur de l’IL2E décide, très rapidement, de mettre en place une formation de ses agents aux rudiments

de l’évaluation pour qu’ils puissent être en mesure de répondre à la charge nouvelle de travail. Ainsi, une formation de deux semaines est confiée au centre CEOPS (qui va devenir C3E), pionnier dans le domaine de l’évaluation, dirigé par Eric Monnier. L’appui sur cette structure n’est pas un phénomène anecdotique car l’enseignement qui y est donné correspond à une vision de l’évaluation davantage tournée sur le côté pluraliste de l’exercice, autrement dit la nécessité d’intégrer les différentes parties prenantes.

444 « Institut lorrain d’études et d’évaluation. Gérard Léonard, président », le Républicain lorrain, 12 avril 1994. 445 Se reporter également à son plaidoyer paru dans la revue Pouvoirs Locaux en 1998 : Léonard (G.),

« Lorraine : le choix d’un Institut partenarial », Pouvoirs locaux, n°38, 1998, p. 82-83.

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En même temps que cette élection, un conseil d’administration (CA) est mis en place. Aux termes des statuts, le CA se réunit deux fois par an et a pour vocation de fixer les grandes orientations de l’IL2E447.

Sa composition reflète la volonté d’impliquer les principales collectivités publiques partenaires des politiques régionales, comme cela est initialement souhaité par l’exécutif régional.

Réformé en 1998, le CA voit même s’élargir la place des membres extérieurs au conseil régional, notamment ceux du Conseil Economique et Social, au profit d’une diminution des représentants du Conseil régional.

Composition du Conseil d’administration de l’IL2E

Membres Statuts de 1994 Statuts de 1998

Région 23 9 CESR 4 7 Départements 4 7 Villes chefs-lieux 4 4 Communauté urbaine du Grand Nancy / 1 TOTAL 35 25

Tableau 10 : Composition du Conseil d’administration de l’IL2E

De plus, l’indépendance du nouvel organisme est « symboliquement » marquée par son installation dans des locaux distincts de ceux du siége de région à Metz.

Bien que situé à quelques centaines de mètres, ce positionnement extérieur au Conseil régional est avancé comme un gage de liberté et de transparence pour conduire les dossiers « sensibles » par bon nombre des parties prenantes de cet institut.

447 Selon l’article 14 des statuts, il possède trois fonctions essentielles : le vote du budget, l’arrêté des comptes à

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Cependant, malgré cette volonté de créer un organisme « indépendant » et « partenarial », le financement de l’IL2E repose essentiellement sur une subvention (constante sur la période de l’existence de l’IL2E) du Conseil régional à hauteur de 2 millions de francs (304 898,03 euros), ce qui laisse entrevoir une relative main mise de la région sur l’organisme.

Dès 1995, les relations entre la Région et l’IL2E sont contractualisées tant en termes de missions que de moyens.

Une convention fixe donc les missions prioritaires de la structure tandis que pour la mise en œuvre du programme d’activité, la Région verse à l’association une subvention annuelle qui couvre la majorité des frais de fonctionnement de la structure.

Une liaison financière, qui n’échappera pas à la Chambre Régionale des Comptes (CRC) de Lorraine448, est donc à relever.

Proximité qui se double de relations étroites entre la direction de l’IL2E et l’administration régionale : les directeurs successifs de l’IL2E, tout en étant à la tête de la structure, occuperont des fonctions au sein de le Région449, ce qui ne fait que renforcer l’hypothèse d’une relative dépendance de l’IL2E vis-à-vis de l’exécutif lorrain450 et laisse interrogatif sur l’objectivité des travaux qui vont être menés.

C’est donc dans ce contexte que le Conseil régional entame son apprentissage de l’évaluation.

448 Lors d’un examen approfondi procédé en 2002, cette dernière trouve assez contradictoire de promouvoir

l’IL2E comme un « outil » en direction de l’ensemble des collectivités territoriales de Lorraine et de se contenter d’un financement quasi-exclusif de la Région. Voir : Chambre Régionale des Comptes (CRC) de Lorraine, Rapport d’observations définitives sur l’Institut Lorrain d’Etudes et d’Evaluation (IL2E), 4 novembre 2002.

449 Rappelons comme cela a été précisé dans un développement ci-dessus que la première directrice de l’IL2E est

également Directeur Général Adjoint de la Région.

450 Lors de l’entretien, l’ancienne directrice de l’IL2E en fera même un atout : « Je crois que la spécificité de

l'institut était qu'il était suffisamment proche de la collectivité pour comprendre les mécanismes mais suffisamment éloignés intellectuellement pour se permettre de dire ce qu'il voulait dire. Le formatage de l'institut a dépendu de deux choses : de la personnalité du président qui était à l'époque Gérard Léonard qui a vraiment pris l'outil à cœur… La seconde chose est le fait que j'étais à l'époque directeur de l'institut et directeur général adjoint… Du coup la maison ne voyait pas l'évaluation comme une forme de sanction mais un outil leur permettant de prendre du recul ». Extrait d’entretien, Nancy, 14 février 2007.

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