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L’appellation « organismes supérieurs » désigne un groupe d’organismes naturellement omniprésents dans les eaux naturelles comme dans les systèmes d’eau potable de construction humaine et dont la présence en abondance contrôlée dans l’eau traitée fut historiquement considérée principalement comme un critère esthétique de la qualité de l’eau distribuée. Ce groupe est désigné également comme celui des organismes du zooplancton, qui comprend les protistes (incluant les amibes), des organismes unicellulaires, ainsi que les rotifères et le zooplancton crustacéen (copépodes, cladocères). La problématique associée aux organismes supérieurs en eau potable inclut souvent également les nématodes, qui sont principalement plutôt des espèces benthiques que planctoniques, mais qui sont considérés comme une part permanente de la microfaune aquatique au même titre que les autres organismes du zooplancton. Les nématodes sont souvent rapportés dans la littérature scientifique comme le groupe d’organismes supérieurs le plus abondant à l’effluent des filtres granulaires (Castaldelli et al. 2005) et dans les réseaux de distribution (van Lieverloo et al. 2004).

Suite à des avancées récentes en recherche, la question d’une importance autre qu’esthétique des organismes supérieurs présents dans l’eau potable est soulevéee, considérant les associations possibles de ces organismes à des microorganismes pathogènes et donc leur impact potentiel sur la qualité microbiologique de l’eau et éventuellement en santé publique. En effet, les microorganismes pathogènes, c’est-à-dire la cible première de la désinfection de l’eau potable, développent d’une part de multiples mécanismes de protection face aux conditions environnementales défavorables à leur développement et, d’autre part, font partie d’un complexe réseau trophique au sein duquel ils peuvent être, par exemple, sujets à la prédation par des organismes supérieurs.

Le biofilm est sans doute un des mécanismes de protection des microorganismes pathogènes les plus évolués en termes de complexité de sa structure et de sa résistance aux conditions externes hostiles. La formation d’un biofilm peut être observée, entre autres, lorsque des microorganismes s’attachent à des surfaces biologiques ou inertes, incluant les particules présentes dans l’eau ainsi que la surface de certains organismes supérieurs. Par exemple, l’association à la surface du

zooplancton de la bactérie Vibrio cholerae, encore responsable d’une des maladies hydriques les plus sévères dans les pays en développement, est un cas bien documenté soulignant une implication majeure et flagrante des organismes supérieurs dans la qualité microbiologique de l’eau : en effet, des efflorescences de zooplancton dans les eaux côtières ont été associés à des épidémies de choléra au Pérou et au Bangladesh (Huq et al. 1983, Lipp et al. 2003). De plus, l’enlèvement des organismes du zooplancton par une simple filtration sur tissu (~20 µm) a permis de réduire de 2 log (99%) la concentration de V. cholerae dans l’eau (Huq et al. 1996) et d’observer une diminution de 48% des cas de choléra dans un village ciblé (Colwell et al. 2003). D’autre part, le développement de la bactérie Legionella en association avec les amibes dans les biofilms des réseaux de distribution est une problématique qui a récemment retenu l’attention scientifique en raison de son enjeu en santé publique. En effet, la croissance intracellulaire de

Legionella pneumophila à l’intérieur d’amibes a été identifiée comme la raison de sa prolifération

dans les biofilms des réseaux de distribution (Kuiper et al. 2004). Dans les deux cas, il s’agit de comportements microbiens et d’interactions avec les organismes supérieurs complexes aux niveaux microbiologique et écologique.

La problématique de l’attachement des microorganismes à la surface d’organismes supérieurs n’est pas au cœur de la présente thèse. En effet, la présente étude s’attarde principalement aux cas d’internalisation de microorganismes pathogènes par les organismes supérieurs en eau potable, considérant ainsi les organismes hôtes comme des véhicules des microorganismes internalisés et, jusqu’à un certain point, comme des boucliers face aux procédés de désinfection. Cette perception des organismes supérieurs a souvent été réservée aux amibes, appelées le « cheval de Troie » des microorganismes dans le monde microbien. En effet, suite à l’internalisation de bactéries pathogènes ou opportunistes telles que Legionella par les amibes, les bactéries peuvent se multiplier à l’intérieur des vacuoles de l’amibe, de sorte que les amibes, par leur structure résistante, favorisent non seulement la survie, le transport et la protection de bactéries pathogènes humaines, mais également leur multiplication. Dans le cas de Legionella, responsable de maladies respiratoires chez les humains, les vacuoles digestives de l’amibe peuvent être expulsées hors de l’amibe en tant que vésicules contenant de nombreuses cellules infectieuses, véhiculées alors en aérosols et engendrant un risque significatif de transmission chez les humains. Il s’agit de loin du cas d’internalisation le plus documenté en termes de santé publique dans l’industrie de l’eau potable. Toutefois, des observations en laboratoires ont révélé

que de nombreuses bactéries pathogènes humaines, incluant des bactéries entéropathogènes telles que Campylobacter jejuni, Escherichia coli et Salmonella sp., peuvent adopter des comportements intracellulaires complexes semblables à ceux de Legionella en association avec les amibes, ainsi qu’avec d’autres protozoaires ciliés, comme Tetrahymena sp. (Brandl et al. 2005, Snelling et al. 2005). Ainsi, les amibes et d’autres protistes pourraient agir comme vecteurs de microorganismes associés à un risque entérique, et non seulement respiratoire, en eau potable. Ceci n’a toutefois jamais été directement observé en conditions réelles en eau potable, et la prolifération de bactéries associées aux amibes a été principalement rapportée dans les systèmes de distribution de l’eau, à l’extérieur de l’usine de traitement.

Dans le cadre de cette thèse, la problématique de l’internalisation des microorganismes pathogènes par les organismes supérieurs étudiée a été délimitée autour des autres organismes supérieurs dont la présence est fréquemment rapportée en eau potable (i.e. excluant les amibes). Ces autres organismes, tels que les rotifères et les nématodes, par exemple, sont pluricellulaires, contrairement aux amibes. Ainsi, leurs interactions avec les microorganismes sont plutôt du domaine de la prédation, et ne visent pas des mécanismes microbiens intracellulaires comme dans le cas des amibes. C’est pour ces raisons, ainsi qu’en raison de l’attention croissante déjà accordée à la caractérisation du risque microbien associé aux amibes, que ces dernières ont été essentiellement exclues des travaux réalisés au cours de la présente thèse. L’internalisation par les organismes supérieurs telle que cernée dans cette thèse consiste principalement en la persistance de microorganismes à l’intérieur du tube digestif des organismes supérieurs (essentiellement comme des particules inertes), ou encore en leur multiplication dans le cas où, par exemple, la bactérie est pathogène pour l’hôte et peut créer une infection dans son tube digestif. Le premier cas peut être représenté par celui d’(oo)cystes de protozoaires ingérés par exemple par des rotifères, tel qu’observé en laboratoire (Fayer et al. 2000, Trout et al. 2002), alors que la capacité des prédateurs à digérer des structures résistantes telles que la paroi d’(oo)cystes reste à démontrer. Par exemple, aucune excrétion des kystes de Giardia ingérés par des rotifères n’a été observée en 20 minutes (Trout et al. 2002), suggérant une persistance et une accumulation possible des kystes à l’intérieur du prédateur. Des oocystes de Cryptosporidium ont également été détectés à l’intérieur de rotifères dans des conditions entièrement naturelles, dans le cadre d’échantillonnage d’eaux de lacs (Nowosad et al. 2007), suggérant la possibilité d’une persistance des oocystes ingérés par les rotifères dans des conditions environnementales.

Le second cas, soit celui de l’amplification de microorganismes ingérés par le zooplancton, a été documenté principalement lors d’essais de laboratoires au cours desquels des bactéries pathogènes humaines, telles que E. coli O157 :H7, Salmonella sp. et Listeria monocytogenes, ont été exposées à la prédation par des nématodes, résultant en une infection du tube digestif des prédateurs. De plus, Wolmorans et al. (2005) ont estimé des valeurs moyennes pouvant atteindre 4000 bactéries internalisées par organisme supérieur lors de l’isolation de zooplancton à l’entrée d’un réseau de distribution (en sortie de l’usine de traitement d’eau potable). De telles valeurs laissent supposer une certaine prolifération des bactéries en association avec les organismes supérieurs dans des conditions environnementales.

La problématique décrite dans cette thèse suppose la prédation par le zooplancton dans les filtres granulaires comme principale origine de la présence de microorganismes pathogènes internalisés dans l’eau potable. Cette hypothèse s’appuie entre autre sur les travaux de Locas et al. (2007) qui rapportent une détection récurrente de coliformes totaux internalisés par des nématodes dans un réseau de distribution, comme conséquence de la prédation ayant lieu au niveau de la filtration rapide sur sable à l’usine de traitement d’eau potable en amont. De plus, les organismes supérieurs, principalement les nématodes et les rotifères, sont abondants à la sortie des filtres granulaires (Schreiber et al. 1997, Castaldelli et al. 2005); on peut donc supposer qu’ils transportent une partie des microorganismes internalisés vers la sortie des filtres, dans l’eau filtrée. Enfin, des travaux récents (Hijnen et al. 2007) sur la filtration lente sur sable ont souligné, à titre d’hypothèse, le rôle potentiel des organismes du zooplancton dans l’enlèvement ou la persistance de microorganismes pathogènes résistants tels que les (oo)cystes de protozoaires (Cryptosporidium, Giardia).

Suite à l’ingestion de microorganismes pathogènes dans les filtres granulaires, le transport et la persistance d’une partie des microorganismes internalisés dans l’eau potable constitue l’axe principal de recherche de cette thèse. La transmission des microorganismes internalisés aux consommateurs d’eau potable suppose en effet la persistance et la survie des microorganismes pathogènes à l’intérieur de leur hôte à l’effluent des filtres granulaires et à travers les barrières subséquentes de désinfection de l’eau potable jusqu’au réseau de distribution. Dans cette thèse, l’étude de la protection des microorganismes internalisés face à la désinfection a été approfondie avec un focus sur la désinfection UV, suite à des travaux récents (Caron et al. 2007) caractérisant l’impact d’autres mécanismes de protection tels que l’attachement aux particules et l’agrégation

des microorganismes face à ce procédé de désinfection physique (optique). La littérature rapporte d’ailleurs plusieurs observations de protection des microorganismes internalisés face aux oxydants chimiques (Chang et al. 1960a, 1960b, Chang et al. 1961, Smerda et al. 1970, Levy et al. 1986, King et al. 1991, Ding et al. 1995, Lupi et al. 1995, Adamo et Gealt 1996, Anderson et al. 2003, Caldwell et al. 2003, Kenney et al. 2004), principalement le chlore, mais aucune recherche n’avait été entreprise sur l’impact de l’internalisation face à la désinfection UV, un procédé de plus en plus répandu dans les usines de traitement d’eau potable des pays industrialisés, entre autres en raison de son efficacité à inactiver le protozoaire Cryptosporidium, contre lequel les désinfectants chimiques sont inefficaces et dont les concentrations permises en eau potable sont très faibles.

Un effort a été apporté dans cette thèse afin d’intégrer des travaux sur un procédé de désinfection voisin de la désinfection UV, soit la désinfection solaire, basée sur l’action des radiations UVA naturelles. Ce procédé, concernant à ce jour presque exclusivement des applications dans les communautés en voie de développement, fait l’objet de recherches en cours à travers le monde, sans toutefois qu’on puisse observer une tentative tangible d’y étendre les principales avancées en désinfection UV artificielle. Les travaux expérimentaux réalisés sur l’impact de l’internalisation des microorganismes, en parallèle avec l’attachement et l’agrégation comme mécanismes de protection face à la désinfection UV, ont été étendus à la désinfection UVA à des fins de comparaison. Cette comparaison entre les deux types de désinfection aux rayonnements ultraviolets (UVC artificiels et UVA solaires) constitue donc une innovation au sein de cette thèse.

Enfin, la question de l’importance des organismes supérieurs dans la qualité microbiologique de l’eau potable requiert une analyse poussée des connaissances déjà rapportées dans la littérature et présente une série d’inconnues à combler. Dans une approche d’ingénierie et de gestion, comment répondre à la question « est-ce un risque? » si ce n’est en le comparant avec le risque associé à d’autres problématiques documentées en eau potable. C’est dans cette perspective que l’analyse quantitative du risque microbien (QMRA) a été utilisée comme outil de quantification des diverses variables impliquées dans la chaîne d’événements générant un risque d’infection chez les humains associé à la présence de microorganismes pathogènes internalisés dans l’eau potable.

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