d’envergure destinée au grand public n’a été enregistrée pendant les premières années du
conflit.
Ce n’est qu’à partir de 2016 qu’une série de vidéos produites par le ministère a commencé à
être diffusée par le biais d’internet sur la plateforme YouTube (Syrian Ministry of Tourism,
2016f). Elles sont composées essentiellement d’images filmées avec des drones,
accompagnées de musique et de quelques commentaires écrits, et durent entre une et deux
minutes. L’une d’entre elles, produite en août 2016, a réussi à attirer l’attention à travers le
monde. Elle visait à promouvoir le tourisme balnéaire en Syrie en montrant des images de la
belle vie et des vacances dans une station du littoral syrien (Syrian Ministry of Tourism,
2016d). L’idée de promouvoir cette activité, pendant qu’une grande partie du pays était sous
les bombes, a suscité de vives critiques à l’international de la part les médias (Le Monde,
2016).
Les vidéos en question présentent une image hors sol (au sens littéral comme au sens figuré)
de la destination Syrie. Le pays est présenté comme étant « toujours beau » (Syrian Ministry
of Tourism, 2016c). Des vidéos de présentation sont réalisées pour des sites touristiques
culturels, religieux, naturels ou balnéaires, tous se situant dans des zones contrôlées par le
régime. Quelques vidéos plus globales présentent des lieux en zones disputées, comme le
centre historique d’Alep, toujours traversé par la ligne de front à l’époque du tournage
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(Syrian Ministry of Tourism, 2016b). Aucune mention n’est faite du conflit. Une vidéo
montrant la vie qui continue sans encombre dans Alep-Ouest (sous contrôle du régime) est
diffusée, sans images du centre historique (Syrian Ministry of Tourism, 2016a). Elle a été
produite en septembre 2016, au moment même où les batailles et les bombardements sur
Alep-Est faisaient rage. Avec toutes ces vidéos nous étions devant la forme la plus
traditionnelle de la communication touristique. Montrer des images policées où tout est
« parfait ». Un mode de promotion qui ne choquerait pas si le pays n’était pas en guerre
depuis plus de 5 ans.
Ce n’est qu’en fin 2016 – début 2017 que cette façon de présenter le pays change dans les
vidéos de promotion du ministère. Une longue vidéo de sept minutes, plus élaborée que les
précédentes, est mise en ligne mi-novembre 2016 (Syrian Ministry of Tourism, 2016e). Une
voix off féminine récite un texte qui parle de la Syrie à la première personne. La voix et la
façon de réciter se veulent très théâtrales, tandis que le contenu du texte reste assez
répétitif et sa formulation peu élaborée. Ceci-dit, c’est la première vidéo qui fait mention du
conflit qui secoue le pays, et qui le présente d’ailleurs comme relevant d’un complot
international pour détruire le patrimoine et la civilisation de la Syrie, donc en phase avec le
récit officiel du régime.
Le point de bascule se fait fin 2016 avec la reprise totale d’Alep par le régime syrien. A partir
de cet événement, le ministère du tourisme change complétement sa façon de présenter les
choses. Des premières vidéos qui ne mentionne pas le conflit et ne montrent aucun
monument détruit (ou les montrent si brièvement que cela passe presque inaperçu) nous
passons en 2017 à une vraie mise en scène de la destruction du patrimoine. Plusieurs vidéos
avec des images de drones qui filment l’état dévasté du centre historique d’Alep ou du site
archéologique de Palmyre sont diffusées en février et mars 2017. Les commentaires écrits
qui y sont intégrés portent un discours victimisant selon lequel les « terroristes » ont détruit
ce patrimoine millénaire pendant que le monde observait tout cela en silence (Syrian
Ministry of Tourism, 2017a). Nous y retrouvons aussi un appel à l’aide internationale pour
reconstruire ce « patrimoine de l’humanité ».
Ce changement de discours et d’approche dans les vidéos diffusées par le ministère du
tourisme syrien témoigne d’une adaptation profonde au contexte du conflit. Le ministère est
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donc passé d’une position qui essaye de cacher la destruction et en limiter l’importance pour
ne pas nuire davantage à l’image du pays, à une approche complétement opposée. Mettre
en scène l’étendue des dégâts, pour essayer d’en tirer bénéfice pour attirer des visiteurs
« solidaires » ou de l’aide internationale pour la reconstruction, tout en rejetant la
responsabilité du régime syrien dans cette destruction.
Il serait intéressant d’observer l’évolution sur le long terme de ces adaptations constatées de
la communication touristique en contexte de conflit afin de savoir leur portée. A voir aussi si
elles se conjuguent avec d’autres efforts et formes de communication en fonction de
l’évolution de la situation sur le terrain.
4.2.2.4. La communication de l’extrême, ou le djihad comme tourisme
Avant de clore ce chapitre, nous aimerions mettre l’accent sur un phénomène observé
pendant l’apogée du développement du mouvement djihadiste l’Etat Islamique. Un autre
phénomène de ce qui pourrait correspondre à une communication touristique de l’extrême.
Pendant la période de prospérité et d’extension de zone de contrôle de l’EI entre 2013 et
2015, les efforts de communication visuelle sur internet déployés par l’organisation
terroriste étaient très importants. Afin d’attirer des djihadistes et autre potentiels recrues
dans le monde, surtout en occident, l’EI diffusait des vidéos de propagande sur des
plateformes internet. Nous ne nous intéressons évidemment pas aux vidéos de combats ou
d’exactions qui sont complétement hors propos dans le cadre de notre recherche.
Parmi ses vidéos de propagande, l’EI diffusait des vidéos montrant la vie quotidienne dans le
« califat ». Des vidéos qui reprennent les codes de la promotion touristique transposés sur le
territoire contrôlé par l’organisation terroriste. On y voit des familles de djihadistes se
balader dans les rues de Raqqa, se déplacer avec leur voiture comme des familles ordinaires
n’importe où dans le monde. Les enfants de ces familles sont filmés en train de jouer dans
des parcs. La vidéo montre aussi des djihadistes venant nager dans une piscine ou boire du
thé dans un restaurant en terrasse au milieu de la verdure (ARTE, 2016). Une promotion qui
essaye de présenter le fait de partir faire le djihad auprès de l’EI comme si c’était un voyage
ordinaire dans un pays paisible où l’on vit et on s’amuse normalement.
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Cette tendance est allée encore plus loin avec la publication début 2015 d’une sorte de
guide touristique pour djihadistes. Intitulé « A brief guide to the Islamic State (2015) », ce
guide d’une cinquantaine de page a été écrit par un djihadiste britannique à l’intention de
futures recrues de l’EI. Il y présente les aspects de la vie qui peuvent intéresser, voire séduire
ces potentiels djihadistes. On y retrouve des chapitres consacrés à la nourriture dans le
califat, le climat, le transport, les nouvelles technologies, etc. Evidemment des chapitres de
propagande et d’expression idéologique font aussi partie intégrante de l’ouvrage aussi
(Figure 24).
Figure 24 : Couverture et table des matières du guide de l’Etat Islamique écrit par un djihadiste britannique en 2015 à
Dans le document
Le tourisme en Syrie, passé, présent, futur : entre résilience et réinvention
(Page 143-146)