• Aucun résultat trouvé

INTRODUCTION GENERALE

V. MINERALISATION BENTHIQUE : PROCESSUS ET FACTEURS FORÇANTS

V.1.PROCESSUS DE MINERALISATION

Les processus de minéralisation benthique qui se déroulent sous l’action des micro-, méio- et macro-organismes benthiques se réalisent dès l’interface eau-sédiment jusqu’aux couches plus profondes de la colonne sédimentaire, au fur et à mesure que la matière organique y est enfouie. La minéralisation de la matière organique consiste en une série de réactions qui visent à oxyder le carbone sédimentaire. L’utilisation préférentielle des oxydants produisant la plus grande quantité d’énergie conduit à une séquence verticale de réactions rédox bien établie que Froelich et al. (1979) ont conceptualisé dans un modèle de dégradation de la matière organique (Figure 1).

Matière organique particulaire

Minéralisation oxyque

(CH2O)106(NH3)16(H3PO4) + 138 O2

 106 CO2+ 16 NH3+ 122 H2O + H3PO4

Réduction par les nitrates

(CH2O)106(NH3)16(H3PO4) + 84,4 HNO3

 106 CO2+ 42,2 N2+ 16 NH3+ 148,4 H2O + H3PO4

Réduction par les oxydes de manganèse

(CH2O)106(NH3)16(H3PO4) + 236 MnO2

 106 CO2+ 236 Mn2++ 8 NH3+ 366 H2O + H3PO4

Réduction par les oxydes de fer

(CH2O)106(NH3)16(H3PO4) + 212 Fe2 O3+ 848 H+

 106 CO2+ 424 Fe2++ 16 NH3+ 530 H2O + H3PO4

Réduction par les sulfates

(CH2O)106(NH3)16(H3PO4) + 53 SO4 2- 106 CO2+ 53 S2-+ 16 NH3+ 106 H2O + H3PO4 Production de méthane (CH2O)106(NH3)16(H3PO4)  53 CH4+ 53 CO2+ 16 NH3+ H3PO4 Matière organique réfractaire C o lo n n e s é d im e n ta ir e C o lo n n e d ’e a u ∆G° (KJ/mol) -479 -453 -349 -114 -77 -30 Dioxyde de carbone Composés inorganiques dissous (?)

Figure 1. Voies d’oxydation de la matière organique établie selon Froelich et al. (1979) dans les sédiments marins (inspiré de Denis, 1999) et calcul de l’énergie libre standard (kjoules) pour une mole de carbone organique (repris de Chaillou, 2003).

La matière organique est d’abord oxydée en sub-surface par l’oxygène puis par une cascade de réactions qui consistent en la réduction successive des nitrates, des oxydes de manganèse, des oxydes de fer, des sulfates puis du dioxyde de carbone (Froelich et al., 1979). Ces minéralisations aérobie et anaérobie provoquent la libération dans l’eau interstitielle de composés dissous inorganiques (azote, phosphore, sulfate,... sous différentes formes chimiques) qui s’accumulent dans le sédiment et créent des gradients de concentration. Pouvant subir d’autres transformations chimiques (nitrification, dénitrification,...), ces composés dissous sont aussi soumis à des processus physiques de diffusion moléculaire à l’origine de flux diffusifs à l’interface eau-sédiment, dirigés dans le sens opposé au gradient de concentration (Boudreau, 1997).

L’intensité des minéralisations (aérobie et anaérobie) est fonction de la qualité et de la quantité de matière organique parvenant à la surface des sédiments (Epping et al., 2002). Elle est aussi fortement influencée par la texture du substrat (Forja et al., 1994 ; Rysgaard et al., 1995 ; Sundbäck et al., 2000). Intrinsèquement liée à la granulométrie, la porosité va en effet influencer la circulation de l’eau interstitielle dont les concentrations en substances dissoutes dépendent de son taux de renouvellement (Santschi et al., 1990). Cette caractéristique physique du sédiment régit alors les voies de minéralisation de la matière organique dans la colonne sédimentaire. Sur l’exemple des flux d’oxygène et d’ammonium, témoin respectif de la minéralisation aérobie et anaérobie, l’intensité de ces deux voies de minéralisation a été schématisée, selon que le sédiment soit perméable ou cohésif (Figure 2).

Les sédiments perméables sont caractérisés par un taux élevé de renouvellement des eaux interstitielles (Santschi et al., 1990) assurant ainsi un équilibre rapide des substances dissoutes à l’interface eau-sédiment (Huettel & Rush, 2000). La meilleure pénétration de l’oxygène dans la colonne sédimentaire assure une minéralisation efficace de la matière organique (Forster, 1996 ; Holmer, 1999 ; Huettel & Rush, 2000 ; Dauwe et al., 2001). La voie aérobie est majoritaire (Dauwe

et al., 2001 ; Rasheed et al., 2003), ce qui limite la formation d’ammonium et induit (i) de faibles

relargages d’azote ammoniacal vers la colonne d’eau et (ii) une faible demande benthique en oxygène1 (DBO).

1

Les flux diffusifs d’oxygène sont généralement dirigés de la colonne d’eau vers le sédiment. Par convention, ils sont de signe négatif. Cependant, la terminologie fréquemment employée reprend le terme de Diffusive Oxygen Uptake (DOU), assimilé à une demande benthique en oxygène. Ces flux sont par conséquent représentés en direction de la colonne d’eau.

[ MO ] [ MO ] NH4+ O2 NH4+ O2 ZONE OXIQUE ZONE ANOXIQUE

Système perméable Système cohésif

[ O2 ] [ NH4+ ]

[ O2 ] [ NH4+ ]

Figure 2. Représentation schématique du fonctionnement classique de minéralisation aérobie et anaérobie en milieux perméable et cohésif. O2, NH4+ : flux d’oxygène et d’ammonium ; [MO] : teneur en matière organique ; [O2] et [NH4+] : concentration en oxygène et ammonium. La taille des flèches est proportionnelle à l’intensité des flux à l’interface eau-sédiment.

En revanche, au sein de sédiments riches en vase, la cohésion des particules fines limite la circulation de l’eau interstitielle, ce qui a pour corollaire des échanges lents de substances dissoutes entre le sédiment et l’eau surnageante. La minéralisation anaérobie y est prédominante (Jørgensen, 1983 ; Nedwell, 1984 ; Capone & Kiene, 1988) et ses produits de dégradation tels que l’ammonium s’accumulent, créant des gradients abrupts de concentration, résultant en des flux élevés. Si la voie oxique prend une part peu active dans la regénération de la matière organique en raison de la faible profondeur de pénétration de l’oxygène, les DBO élevées sont le reflet d’une réoxydation des produits réduits lors de la minéralisation anaérobie (Soetaert et al., 1996 ; Rabouille et al., 2003). Moins rapidement dégradée dans ces sédiments cohésifs, la matière organique tend à s’y accumuler (Dauwe et al., 2001 ; Rasheed et al., 2003).

Les voies et l’intensité de la minéralisation benthique sont ainsi déterminées par la disponibilité de l’oxygène dans les sédiments (Kristensen & Holmer, 2001 ; Hannides et al., 2005).

V.2.ROLE DE LA BIOTURBATION

Fonction des apports d’oxygène en provenance de la colonne d’eau et de son utilisation dans les réactions rédox de la minéralisation benthique (Timmermann et al., 2006), la disponibilité de ce composé dissous est aussi modulée par l’activité des organismes benthiques, appelée aussi bioturbation.

Résultant de l'ensemble des activités de la macro- et méio-faune vivant à l'interface eau-sédiment ou dans les couches supérieures du eau-sédiment (Boudreau, 1997), la bioturbation regroupe les mécanismes biologiques actifs et les conséquences de l’activité benthique dans les couches superficielles sédimentaires.

Les mécanismes actifs sont corrélés à des paramètres éthologiques et auto-écologiques (Rhoads, 1974) tels que le mode de nutrition des organismes, leur degré de mobilité, la taille des

individus, la densité des populations. Ils se manifestent par (i) le creusement de galeries ou de terriers, temporaires ou permanents, (ii) la formation de pistes ou de sillons créés par le déplacement des organismes sur ou dans le sédiment, (iii) la production de fécès à la surface ou à différents niveaux de la colonne sédimentaire, et (iv) la circulation d’eau dans les galeries afin d’assurer un apport d’oxygène aux organismes vivant en profondeur.

Les effets de la bioturbation sont classiquement regroupés en cinq types qui se distinguent par le mode de remaniement du sédiment (François, 1999 ; François et al., 1997 ; François et al., 2001 ; François et al., 2002 ; Michaud et al., 2005 ; Figure 3) :

- (1) la biodiffusion (« de surface ») résulte de l’activité d’organismes benthiques vivant dans les premiers centimètres du sédiment. Leur déplacement provoque l’homogénéisation mécanique et aléatoire du substrat dans les trois dimensions ;

- (2) la bioirrigation est très similaire à la biodiffusion mais est générée par des organismes qui construisent des galeries ou des terriers dans le sédiment. Ces biodiffuseurs à galerie assurent l’irrigation du sédiment en créant des courants d’eau à des fins respiratoires et alimentaires ;

- (3) la bioadvection (ou bioconvoyage) est induite directement par les organismes qui ingèrent des particules sédimentaires en profondeur (zone anoxique) et rejettent leurs pelotes fécales à la surface du sédiment. Ces organismes sont regroupés dans la catégorie des convoyeurs. Après avoir transité le long du tractus digestif de l’animal, le sédiment réduit se retrouve à l’interface eau-sédiment en milieu oxique. Ce transport orienté vers le haut induit un lien direct entre deux strates géochimiques non-adjacentes et différentes. La bioadvection peut être aussi orientée vers le bas ; les organismes sont alors qualifiés de convoyeurs inverses (4) ;

- (5) la regénération se déroule lorsque les terriers ou les galeries sont abandonnés (Figure 3 : 12). Ils permettent un contact direct entre l’eau surnageante et le sédiment plus profond

(anoxique), et sont progressivement comblés par des particules sédimentaires provenant de la surface.

(1) Biodiffuseur (2) Biodiffuseur à galerie

(3) Convoyeur (4) Convoyeur inverse

(5) Regénérateur

Figure 3. Activités bioturbatrices de la macrofaune benthique (d’après François et al., 1997).

A travers leurs caractéristiques éthologiques (régime trophique, activité de déplacement, structures biogènes,…), les invertébrés benthiques vont ainsi influencer (i) la séquestration et la distribution verticale de la matière organique dans les différentes couches sédimentaires, (ii) les taux et les voies de sa minéralisation en agissant sur l’oxygénation du sédiment, (iii) les mouvements des solutés, et par conséquent, (iv) les flux de composés dissous à l’interface eau-sédiment (Aller, 1988 ; Gilbert et al., 1995 ; Kristensen, 2000 ; Aller, 2001 ; Grenz et al., 2003 ; Welsh, 2003 ; Waldbusser et al., 2004). Les organismes benthiques, via leur rôle dans le remaniement sédimentaire, sont ainsi des acteurs incontestables dans les cycles géochimiques globaux (Gilbert, 2003) et dans le fonctionnement du système qu’ils composent.

La question de savoir dans quelle mesure la diversité biologique de ces organismes conditionne les flux de matière et d’énergie, nourrit de nombreux débats et stimule les recherches de l’importance et des effets de la diversité dans le fonctionnement des écosystèmes dont la stabilité et les biens et services qu’ils fournissent sont menacés par les activités anthropiques (Naeem et al., 1994 ; Tilman & Downing, 1994 ; Chapin et al., 2000 ; Loreau et al., 2001 ; Marinelli & Williams, 2003 ; Naeem & Wright, 2003 ; Covich et al., 2004).