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Les migrants internationaux entretiennent des liens avec au moins deux types de lieux ou de territoires : ceux dont ils sont originaires ou, plus précisément, ceux d’où ils sont partis, et

ceux de leur installation ou de leur transit. Entre ces différents lieux existe un espace, de part

et d’autres de frontières, qui peut être nommé transnational. Des rapports se tissent également

au sein de cet espace transnational, qu’ils soient économiques, politiques, identitaires,

religieux, etc.2 Cependant, il paraît nécessaire de ne pas confondre diaspora et communauté

transnationale3.

La communauté transnationale est une notion récente. Elle fait référence à « des

communautés composées d’individus ou de groupes établis au sein de différentes sociétés

nationales, qui agissent à partir des intérêts et des références communs (territoriales,

religieuses, linguistiques), et qui s’appuient sur des réseaux transnationaux pour renforcer leur

solidarité par-delà les frontières nationales »4. Cette notion remet ainsi en cause les rapports

1 Voir JORDI Jean-Jacques, 1993, op.cit. ; ou BUONO Clarisse, 2004a, op.cit.

2 BRUNEAU Michel, 2005, « Pour une approche de la territorialité dans la migration internationale : les notions

de diaspora et de communautés transnationales », Circulations et territoires dans la migration internationale,

texte présenté lors du colloque international de Toulouse – Le Mirail, 16-18mars 2005, cédérom.

3 Bien qu’il ait pu être mis en avant que ces deux notions ne sont pas aisément différentiables. Voir notamment

ANTEBY-YEMINI Lisa, BERTHOMIERE William, 2005b, « Di[a]spositif : décrire et comprendre les

diasporas », in ANTEBY-YEMINI Lisa, BERTHOMIERE William, SHEFFER Gabriel (dir.), Les diasporas.

2 000 ans d’histoire, actes du colloque de Poitiers « 2 000 ans de diasporas » (14-16 février 2002), Rennes :

Presses Universitaires de Rennes, 497 p., pp. 9-19, p. 14.

4 KASTORYANO Riva, 2000, « Immigration, communautés transnationales et citoyenneté », Revue

Internationale des Sciences Sociales, n°165, pp. 353-359, p. 353.

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entre territoire et Etat-nation ou le concept de citoyenneté. Il est ainsi possible d’évoquer « un

"nouvel espace de socialisation" basé sur des réseaux transnationaux qui relient pays d’origine

et pays de résidence, favorisant la participation des immigrés à la vie des deux espaces

nationaux »1. Dans le cadre de la communauté transnationale, des rapports sociaux multiples

sont maintenus par le migrant entre les sociétés d’origine et d’installation, dépassant les

frontières. Le migrant vit dans cet entre-deux. « Dans cette optique, les citoyens d’un

Etat-nation vivent dispersés à l’intérieur des frontières de divers autres Etats, mais lui

appartiennent toujours socialement, politiquement, culturellement, et souvent

économiquement »2. Au-delà du caractère récent de ces migrations, cet élément différencie

largement la communauté transnationale de la diaspora qui, elle, est ou a été coupée de son

territoire d’origine (il est alors question d’« arrachement » à son territoire d’origine3 à la suite

d’un traumatisme plus ou moins brutal) et le considère parfois comme son territoire perdu ;

bien qu’il reste central pour la diaspora.

La notion de diaspora, beaucoup plus ancienne que celle de communauté transnationale,

renvoie ainsi à des réalités territoriales différentes. Si elle « sert à désigner toutes sortes de

phénomènes résultant de migrations de population dans plusieurs pays, à partir d’un pays ou

foyer émetteur »4, renvoyant ainsi à un « ensemble de communautés dispersées, séparées par

des distances qui peuvent être considérables, partageant une même identité et liées par des

échanges d’informations, de personnes, de capitaux, de marchandises, d’idées, de pouvoirs »5,

avec une dimension dépassant l’échelle nationale, infra-étatique, la diaspora comporte

certains particularismes. Toute communauté transnationale ne peut donc pas être considérée

comme une diaspora. Cette dernière est « liée à la nation et/ou à l’Etat-nation d’origine, en

fonction duquel elle définit ses relations avec l’Etat-nation d’installation »6 ; tandis que,

« dans une communauté transnationale, seul existe vraiment le lieu d’origine vers lequel

l’individu est tout entier orienté, alors que son lieu d’installation est plus ou moins provisoire,

toujours perçu comme tel, comme un lieu de passage, jamais comme un lieu d’investissement

personnel, de reterritorialisation »7.

En fait, diaspora provient d’un mot grec signifiant dispersion, résultat de l’action de semer

(speiro). Cela implique l’existence première d’un groupe, qui est ensuite dispersé en tout ou

partie. Ainsi, « toute minorité ethnique n’appartient pas nécessairement à une diaspora. Ce

1 BRUNEAU Michel, 2004, Diasporas et espaces transnationaux, Paris : Anthropos - Economica, 249 p. (coll.

Villes – Géographie), p.178.

2 BRUNEAU Michel, 2004, ibid., p. 179.

3 BRUNEAU Michel, 2004, ibid., p. 43.

4 BRUNEAU Michel, 1994, « Espaces et territoires de diaspora », L’espace géographique, n°1, pp. 5-18.

5 LEVY Jacques, LUSSAULT Michel (sous la direction de), 2003, op.cit., p. 256.

6 BRUNEAU Michel, 2004, ibid., p. 182.

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n’est évidemment pas le cas des minorités ethniques vivant sur leur territoire d’origine ».1

Pendant longtemps, ce terme ne désignait que la dispersion forcée des Juifs dans l’Antiquité2,

renvoyant à l’idée :

- d’un exil sous la contrainte ;

- d’une conscience identitaire très forte, issue d’une relation privilégiée avec un dieu

unique (notion de peuple élu) ;

- d’une présence minoritaire, dominée et non dominante, dans un assez grand nombre

de territoires ou de pays différents du territoire d’origine (la Palestine).

Toutefois, dans la décennie 1980, « après le constat d’un échec relatif des politiques

d’assimilation et l’apparition de multiculturalisme en Australie et au Canada, l’usage de la

notion de diaspora s’est largement répandu dans le champ des sciences sociales »3. La

géographie, avec Pierre GEORGE, définit la diaspora comme étant la « dispersion [alimentée

par des exodes successifs] d’une entité ethnoculturelle solidement constituée préalablement à

son essaimage »4. Le référentiel juif est tout de même toujours présent et il existe des

conditions nécessaires pour pouvoir qualifier une communauté de diaspora : « tant qu’il y a

conservation de signes symbolisant l’appartenance à une collectivité et relations entre les

noyaux de la diaspora et entre ces noyaux et le foyer de départ, la référence est valable »5.

Ainsi, pour certains géographes, la référence à un territoire d’origine, à une patrie commune, à

un territoire perdu est essentielle. « Les diasporas dispersées à travers le monde ne gardent

leur unité que tant qu’est maintenu le lien rêvé au territoire perdu et pour certains tant que

dure l’espoir de le retrouver »6 ; ou encore « les traits communs aux différentes diasporas

sont, au départ, une identité ethno-culturelle s’exprimant par une communauté de croyance, de

langue, de mode de vie, procédant d’une source territoriale et d’une histoire localisées dans un

espace de référence qui est, dans l’idéologie de l’ensemble, la patrie commune… et le

territoire perdu »7.

Cependant, les définitions de la diaspora sont multiples8 et plus ou moins larges. Ainsi, pour

certains auteurs, il existerait trois types de cause de dissémination : une dispersion contrainte,

en l’absence de pays propre ; une difficulté d’existence plus ou moins momentanée ; ou un

choix d’activité et de mode de vie9. Néanmoins, pour d’autres, la dispersion forcée est souvent

1 BRUNEAU Michel, 1994, op.cit.

2 SCHNAPPER Dominique, 2001, « De l’Etat-nation au monde transnational. Du sens et de l’utilité du concept

de diaspora », Revue européenne des migrations internationales, n°17/2, pp. 9-36.

3 BRUNEAU Michel, 1994, op.cit.

4 GEORGE Pierre, 1984, op.cit., p. 75.

5 GEORGE Pierre, 1984, op.cit., p. 74.

6 BONNEMAISON Joël, 1981, op.cit.

7 GEORGE Pierre, 1984, op.cit., p. 86.

8 Le terme de diaspora aurait connu une véritable inflation, surtout aux Etats-Unis, depuis 1968 selon une

périodisation proposée par TÖLÖLYAN Khachig, 1996, « Rethinking diaspora(s) : stateless power in the

transnational moment », Diaspora, 5 / 1, pp. 3-36 ; cité in SCHNAPPER Dominique, 2001, op.cit., p. 10.

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à l’origine de la diaspora : « c’est le cas pour de nombreuses diasporas résultant d’une

catastrophe ou d’un génocide, comme celles des Arméniens, des Assyro-Chaldéens, des Grecs

pontiques.[…] Il est des départs plus ou moins forcés par suite d’une oppression »1. Il s’agit

alors de ne pas confondre l’ensemble des formes de migrations.

Parallèlement aux causes de la dissémination, « nous retrouvons l’implicite de la communauté

solidaire et unie au sein de la définition des identités diasporiques. Car érigée en concept, la

diaspora renvoie bien au maintien de l’unité communautaire par delà la dispersion. On

pourrait parler à son propos de "nation sans territoire" […]. L’idée d’unité est à ce point

centrale dans l’approche des phénomènes diasporiques, que le sociologue Alain Médam la

pose comme critère de définition.[…] Le retour à la formation diasporique archétypale,

c’est-à-dire le peuple juif, permet à Médam de mettre en valeur le paradoxe constitutif du fait

diasporique, c’est-à-dire la préservation du "Un", d’un "corps" au cœur même des processus

de dispersion. Ce faisant, c’est bien l’unité qui est érigée en notion nodale ou centrale »2.

Ainsi, de ce point de vue, la diaspora est une population caractérisée par la perte de son

territoire d’origine et dispersée dans de nombreux autres territoires, le plus fréquemment du

fait d’une contrainte. Cependant, malgré cet essaimage, chaque membre conserve un lien fort

avec sa population par le partage de l’idée d’un paradis perdu. « La diaspora suppose […] la

référence à une communauté homogène dans la durée, à une "nation", et à un territoire

d’origine sacralisée. Elle s’est donc constituée dans une double tension temporelle et spatiale :

la tension vers un ailleurs originel (notion d’exil à partir d’un territoire d’origine) et celle vers

un futur idéalisé, vers une "Terre Promise" »3. Aussi, « la diaspora développe sa propre

dynamique socio-historique, et cherche à se faire reconnaître comme partie constitutive de la

nation d’origine »4. La durée, dans la succession des générations, est ainsi une dimension

importante de cette définition des diasporas5. La diaspora est, dans ce cadre, une population

unie malgré sa dispersion spatiale. D’autres auteurs critiquent cette restriction6.

1 BRUNEAU Michel, 1994, op.cit.

2 MEDAM Alain, 1993, « Diaspora/Diasporas. Archétype et typologie », Revue Européenne des Migrations

Internationales, vol.9, n°1, pp. 59-66, cité par CHIVALLON Christine, 1996, « Repenser le territoire, à propos

de l’expérience antillaise », Géographie et cultures, n°20 (« Le territoire »), hiver 1996, pp. 45-54.

3 BRUNEAU Michel, 2004, op.cit., p. 11. Pour exemples, voir TER MINASSIAN Anahide, 1994, « La diaspora

arménienne », L’Espace géographique, n°2, tome 23, pp. 115-128 ; ou MADAWI Al Rasheed, 1994, « The myth

of return : Iraqi Arab and Assyrian refugees in London », Journal of refugee studies, 7/2-3, pp. 199-219.

4 BRUNEAU Michel, 2004, op.cit., p. 23.

5 Voir notamment CENTLIVRES Pierre, 2000, « Portée et limites de la notion de diaspora », Cahiers d’études

sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, n°30, pp. 5-12.

6 Voir notamment CHIVALLON Christine, 1996, op.cit., ou CHIVALLON Christine, 2004, La diaspora noire

des Amériques. Expériences et théories à partir de la Caraïbe, Paris : Ed. du CNRS, 258 p., avec l’idée de

diaspora « hybride » définie principalement par Stuart HALL (HALL Stuart, 1990, « Cultural identity and

diaspora », in WILLIAMS Patrick, CHRISMAN Laura (eds), Colonial discurse and post-colonial theory. A

reader, Londres : Harvester-Wheatsheaf, 570 p., pp. 392-403) et Paul GILROY (GILROY Paul, 1993, The Black

Atlantic. Modernity and double conciousness, Londres : Verso, 261 p.) à partir du cas de la diaspora noire des

Amériques.

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L’élément central concernant la notion de diaspora dans le cadre de cette étude apparaît être le

rapport au territoire « d’origine », idéalisé, perçu comme le territoire perdu. Apparaît là un

point commun important avec la population pied-noire. Ainsi, trois caractéristiques

essentielles du concept de diaspora sont avancées et retenues ici1 :