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Micropolluants d’origine domestiques : un problème avéré et une problématique

Depuis une vingtaine d’année, il y a une demande évidente, non seulement de la part de la communauté scientifique, mais aussi de la part des citoyens et des organisations environnementales en Europe pour des rivières, des lacs et des eaux souterraines plus

« propres ». En effet, l'augmentation de la pollution provenant des eaux usées urbaines et de l'agriculture faisait de la protection des eaux l'une des préoccupations majeures de la Commission européenne depuis la fin des années 19805. La directive-cadre sur l'eau (DCE), adoptée en 2000, a établi un ensemble de principes réglementaires pour les États membres de l'Union européenne afin qu'ils atteignent un « bon état » écologique et chimique d'ici 2015, 2021 ou 2027 au plus tard.

La définition de l'état écologique porte sur la qualité de la structure et du fonctionnement des écosystèmes aquatiques : l'abondance de la flore aquatique et de la faune piscicole, la disponibilité des nutriments et des aspects tels que la salinité, la température et la contamination par les polluants chimiques. Le bon état chimique d’une masse d'eau souterraine ou de surface est déterminé par des taux maximums de concentrations de polluants fixés par les normes de qualité environnementale (NQE) et d'autres législations

5 La première vague de législation européenne sur l'eau a débuté en 1975 avec un ensemble de normes pour les rivières et les lacs et s'est poursuivie en 1980 avec des objectifs pour l'eau potable, les eaux poissonneuses, les eaux de baignade et les eaux souterraines.

communautaires (DCE 2000/60/EC). Depuis la mise en œuvre de la Directive, si de grands progrès ont été réalisés en matière de protection des eaux en Europe, de nombreux problèmes sont encore non-résolus sur la qualité de l'eau, tant sur le plan chimique qu’écologique. En France, par exemple, selon une évaluation de l'Office de l'eau de l'Agence Française pour la biodiversité (ex Onema) en 2014, plus de la moitié des masses d'eau de surface est encore en dessous du « bon » état écologique et 16% dans un état chimique médiocre (Figure 1).

Figure 1. Répartition des masses d'eau de surface en 2013 en France, en fonction de leur statut chimique (gauche) et écologique (droite)

Source : Agences de l’Eau - offices de l’Eau - AFB, Mars 2014.

La contamination des masses d'eau causée par diverses substances chimiques - ou micropolluants, est un problème environnemental crucial en Europe. Les "micropolluants"

désignent des substances chimiques qui, même à faible concentration, de l'ordre du nano-gramme par litre ou du micronano-gramme par litre (équivalent d'un cube de sucre dans une piscine olympique), peuvent avoir un effet négatif sur l'environnement et/ou les organismes vivants.

Environ 20 millions de produits chimiques synthétiques sont connus et leur nombre augmente de 1 million chaque année. Le nombre de produits chimiques de synthèse disponibles dans le commerce est estimé entre 50 000 et 100 000, et ce nombre augmente d'environ 1 000 par an.

L'article 16 de la DCE (Stratégies contre la pollution de l'eau) a établi une liste de substances présentant un risque élevé pour le milieu aquatique. Ces efforts sont également renforcés par le règlement REACH en 2006 (EC/1907/2006), qui exige une identification des risques de 30 000 substances chimiques et, plus récemment, la directive 2008/105/CE, qui établit la NQE pour les 33 substances dangereuses prioritaires (12 substances sont ajoutées à cette liste dans la directive 2013/39/UE).

Plusieurs classes de micropolluants ont déjà fait l'objet d’études approfondies à propos de leurs sources et leurs impacts sur l'environnement ou les organismes vivants ; tels que les métaux lourds, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), les polybromodiphényléthers (PBDE), le nickel, le mercure, qui sont les substances dangereuses provenant principalement des rejets industriels ; les pesticides, nitrates et sulfates provenant

d'activités agricoles. Cependant, de nombreuses autres molécules présentes dans les milieux aquatiques (appelées micropolluants émergents) ont été moins documentées mais leur présence croissante attire de plus en plus l'attention. Ces substances peuvent être trouvées dans les rejets des eaux usées ménagères provenant de l'utilisation de divers produits domestiques, par exemple des produits cosmétiques et soins corporels, des produits de nettoyage ménagers et des produits pharmaceutiques. La figure 2 illustre l'évolution des principaux rejets de polluants dans les masses d'eau, y compris les sources industrielles et domestiques au cours de la période 2008-2013 en France. Si l’on constate une diminution nette de presque tous les types de polluants, une forte augmentation a été enregistrée pour les composés organohalogénés (AOX), passant de 355 tonnes en 2008 à 550 tonnes en 2013 (54%)6.

Figure 2. Évolution des principaux polluants rejetés dans l'eau urbaine par l'industrie et les eaux usées domestiques (2008 – 2013)

Source : Medde/DGPR, Irep, novembre 2014. Traitements : SOeS, 2015

Les détergents ménagers et cosmétiques ont été utilisés en grande quantité avec un volume total de marché d'environ 10,6 milliards d'euros pour les cosmétiques et les soins personnels en France (deuxième plus grand marché d'Europe après l'Allemagne) et environ 4 milliards d'euros pour les produits ménagers (données 2014). Le marché pharmaceutique en France représente environ 5% du marché mondial : la France est également le quatrième consommateur de produits pharmaceutiques avec environ 3,1 millions de boîtes consommées en 2013 (soit 48 boîtes de médicaments par habitant et par an), avec un volume de marché total de 26,8 milliards euros en 2014 (selon "Les Entreprises du médicament").

6 Les composés organohalogénés (AOX) sont des substances chimiques organiques qui contiennent une ou plusieurs liaisons entre le carbone et l'halogène (chlore, brome, fluor, iode). Certains AOX sont commercialisés dans de nombreux produits tels que les pesticides, les plastiques, les solvants, les médicaments, les liquides de javel, etc.

Si les impacts des micropolluants émergents (MP) sur l'environnement sont encore mal connus, Kidd et al., 2007, par exemple, prouve que la perturbation de la reproduction des poissons pourrait être liée à l'œstrogène provenant des pilules contraceptives. Les connaissances scientifiques des effets de ces MPs sur la santé humaine sont encore insuffisantes et nécessitent davantage de recherches. Cependant, l'absence de certitude scientifique ne devrait pas être une raison pour retarder l'adoption de mesures rentables (cost-effective) afin de prévenir les risques potentiellement dangereux selon le principe de précaution (article 15 de la Déclaration de Rio [1992]).

La solution technique pour éliminer certaines quantités de MPs existe via les stations d'épuration des eaux usées (STEPs). En France, si la législation nationale n'exige pas encore la mise en œuvre d'un traitement spécifique des micropolluants par l'amélioration des STEPs, les efforts de lutte contre les MPs dans les eaux urbaines représentent une préoccupation importante dans les arènes de discussions nationales et régionales. En effet, les contrôles des sorties de MPs sont obligatoires depuis 2011 pour les stations d'épuration d'une capacité de plus de 100 000 équivalent habitant (EH) et depuis 2012 pour celles d'une capacité de plus de 10 000 EH. Cependant, il est important de noter que les MPs ne peuvent généralement pas être complètement éliminés (Burkhardt-Holm, 2011) et que différentes techniques de STEPs sont nécessaires pour traiter différentes familles de MPs, ce qui implique aussi des coûts différents. Les nouvelles technologies de traitement des eaux usées permettent d'éliminer environ 80% des MPs (Burkhardt-Holm, 2011), mais elles sont très coûteuses. En Europe, la Suisse est parmi les premiers pays à avoir imposé des exigences légales pour améliorer un certain nombre de leurs STEP (123 stations sur 750), avec des coûts annuels estimés à environ 97 million dollars - équivalent 800 000 dollars par station sur 33 ans (Eggen, Hollender, Joss, Schärer & Stamm, 2014).

Une solution alternative moins coûteuse consiste à contrôler le niveau de MPs depuis leurs sources, c'est-à-dire en réduisant les rejets de polluants dans les eaux usées avant qu’ils rentrent dans les STEPs. Cette solution ne peut être appliquée qu'en impliquant davantage les citoyens via leurs actions, soit en réduisant la quantité de produits (ou le dosage/fréquence d’utilisation) contenant des MPs, soit en les substituant par d'autres produits dégradables.

Dans les deux cas, cela implique des changements de comportement. À long terme, ce sera une solution efficace. C'est pourquoi le rôle des citoyens est considéré comme crucial dans la nouvelle politique européenne de l'eau.

La combinaison des deux solutions (comportementale et technique) constitue certainement la voie la plus crédible pour aboutir à un objectif environnemental significatif et la minimisation des coûts des traitements, à la fois du point de vue des collectivités et des ménages (à l’échelle individuelle). Les deux solutions impliquent des coûts importants : Pour le premier (solution technique), ce seront les coûts d'investissement de la modernisation des stations d'épuration et pour le second (solution comportementale), il s'agira par exemple des coûts des campagnes d'information ou éducatives destinés au grand public. Afin de fournir des preuves et des conditions légitimes pour poursuivre ces options, une évaluation économique de leurs coûts et

bénéfices est essentiel. C’est du côté des bénéfices que l’ignorance serait la plus importants, la recherche s’oriente naturellement vers l’évaluation des bénéfices.

II. Protocole d’évaluation des bénéfices des politiques publiques sur la réduction