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Mercredi 17 octobre 2018

M. Michel Boutant, co-rapporteur pour avis du programme 144

« Environnement et prospective de la politique de défense ». – Le PAP annonce la poursuite et le lancement de nouvelles études dans les domaines du renseignement militaire et de la surveillance – notamment dans le domaine du renseignement image – et le développement d’outils de recueil et de gestion des données de renseignement électromagnétique. Il est indiqué également qu’en 2019 les travaux portant sur la préparation des moyens spatiaux futurs de renseignement d’origine image seront poursuivis, et que seront lancés ceux sur les briques technologiques pour un futur satellite de communication militaire.

Pouvez-vous préciser l’objet de ces études et les moyens que la DGA y consacrera en 2019 et au-delà ?

M. Ladislas Poniatowski. – La décision prise par la DGA d’éliminer les PME françaises de ses appels d’offre m’inquiète et, même, je la désapprouve. Ainsi, pour les gilets pare-balles, un marché a été remporté par des Norvégiens. Pour l’autre, plus volumineux, alors qu’une entreprise française équipe déjà, outre notre police, plusieurs armées étrangères, c’est une entreprise irlandaise qui l’a emporté. Sauf qu’elle fait fabriquer ses gilets en Asie ! Autre exemple : le 5 octobre se terminait un appel d’offre pour 2 500 fusils de précision semi-automatiques (FPSA). L’entreprise Verney-Carron fait d’excellentes armes de chasse, comme le VCD 10. Mais vous avez fixé un chiffre d’affaires minimal de 50 millions d’euros.

Pourquoi donc ? Cela oblige les PME à s’associer avec leurs concurrents… Absurde ! Quand reviendrez-vous sur ce seuil ? L’euphorie générée par l’explosion de vos crédits d’équipements ne doit pas vous conduire à réserver les marchés aux seuls grands fleurons français. Les PME y ont droit aussi, et je n’accepte pas ce plancher de 50 millions d’euros, que la ministre n’a jamais expliqué. À quoi bon débattre d’une loi Pacte et de son volet sur les PME si, dans le même temps, la DGA fixe de tels critères ? Pardon d’être un peu direct, mais nos PME sont performantes et pointues dans leur domaine.

M. Christian Cambon, président. – A la problématique économique s’ajoute un risque de sécurité, lorsque des puces miniaturisées peuvent être insérées dans le tissu des treillis, rendant nos soldats détectables à tout moment…

M. Olivier Cigolotti. – Vous mettez en œuvre le standard 3 de l’hélicoptère Tigre, dont les premiers exemplaires ont été mis à disposition au début des années 2000, apportant une réelle plus-value aux forces armées. Hélas, la disponibilité opérationnelle est toujours très inférieure aux projections initiales : 20 à 25 appareils, sur un total de 70 en service. Quels objectifs ont été fixés à Airbus pour améliorer cette disponibilité opérationnelle ? J’ai entendu parler de dix appareils supplémentaires d’ici à 2022.

M. Joël Barre. – La captation de l’innovation est essentielle car, depuis quelques temps, l’innovation civile dépasse celle du domaine militaire. D’où la création de l’AID, qui couvre l’ensemble du champ de l’innovation et m’est directement rattachée. L’objectif est d’identifier, d’expérimenter et de proposer des innovations issues d’autres secteurs.

Composée de personnels civils et militaires, elle sera dotée de nombreux outils, et coordonnera les efforts de plusieurs structures. L’Innovation Défense Lab, qui prend la suite du DGA Lab, permettra à des start-ups de présenter leurs innovations. L’introduction de celles-ci dans nos programmes sera rendue possible par une démarche incrémentale, qui permet des adaptations en cours de développement. Par exemple, nous menons des études amont pour compléter Scorpion par de la robotique.

Pour les véhicules Griffons, je n’ai pas d’inquiétude. Les difficultés d’ailleurs, viennent moins de Nexter que de Thalès, lequel a rencontré quelques difficultés que nous avons découvertes cet été, et que nous traitons. Le plan de redressement que présente Thalès devrait permettre le maintien du calendrier prévu.

Il est vrai que, dans certains marchés, nous avons eu tendance à sur-transposer les règles européennes. Nous revoyons actuellement notre conduite des programmes et, début 2019, l’élaboration du nouveau code de la commande publique devra être l’occasion de remédier à cela.

Quant à la seconde question de Mme Conway-Mouret, l’exportation représente environ un tiers du chiffre d’affaires de notre industrie de défense. Pour le NH90, Airbus Helicopters a pris ces derniers mois des commandes au Qatar, et une commande supplémentaire est espérée en Espagne. Pour l’A 400-M, la révision du contrat avec Airbus Defence and Space a abouti à une déclaration d’intention en février. Reste le Rafale, dont il nous faut livrer 16 exemplaires export à l’horizon 2024-2025 pour être conformes au référentiel de programmation.

Le Soutex a vu ses effectifs renforcés : 30 personnes supplémentaires en 2019, et 267 au total d’ici à 2025. En 2018, de plus en plus d’exportations sont menées via des contrats entre Gouvernements. C’est notamment le cas des véhicules blindés que nous achèterons pour les Belges.

M. Ladislas Poniatowski. – En touchant une commission ?

M. Joël Barre. – Contre rémunération, oui. En tous cas, les dépenses de Soutex doivent être financées par l’industrie ou par le client.

Le MCO des équipements aéronautiques fait l’objet d’un plan de redressement.

Notre rôle est de définir la stratégie de soutien dès la phase de développement, en lien avec les armées. Faut-il verticaliser les contrats de MCO ? En tous cas, il faut responsabiliser les industriels. Le meilleur moyen pour cela est d’inclure dans les contrats les premières années d’exploitation.

Le programme Artemis se déroule comme prévu, en associant Thalès/Sopra steria, Atos/Bull et Capgemini – à charge pour ces trois maîtres d’œuvre potentiels d’aller chercher dans l’écosystème civil les innovations et les équipes idoines. Une première livraison est prévue fin 2019. Ce sera l’amorce d’une alternative à Palantir.

Des études amont préparent le renouvellement des diverses composantes des satellites. Pour CSO, notre composante spatiale optique, le lancement du 18 décembre est toujours prévu, mais sous réserve. Deux autres suivront en 2020 et 2021. La prochaine génération sera donc pour la fin des années 2020. Nous travaillons beaucoup, notamment, sur les détecteurs et sur le traitement de l’information à bord.

Quant aux PME : d’abord, nous faisons beaucoup pour elles. Nous suivons particulièrement l’activité de 500 PME ou ETI jugées stratégiques, sur les quelque 4 000 PME qui constituent notre BITD. Plusieurs outils de soutien sont déjà en place. Le régime d’appui à l’innovation duale, par exemple, mobilise 50 millions d’euros par an, et nous le complétons, avec la BPI, par Definvest, qui représente 10 millions d’euros par an. De plus, la ministre a décidé de renouveler le plan ACTION PME, qui s’accompagne de conventions bilatérales avec les grands maîtres d’œuvre industriels pour soutenir la croissance des PME.

Le critère de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires n’a pas pour but d’éliminer les PME.

M. Ladislas Poniatowski. – C’est pourtant son effet.

M. Joël Barre. – Sa raison d’être est d’assurer que les candidats auront l’étoffe industrielle et financière nécessaire pour répondre à l’appel d’offre. Dans le cas que vous citez, il s’agit de produire un fusil, certes, mais muni d’équipements de visée, infrarouge et nocturne, et de fournir aussi ses munitions. Pour garantir la performance globale du système d’armement, nous avons voulu passer un contrat global, qui porte sur l’ensemble de la fourniture. Le fusil lui-même ne représente que 25 % du chiffre d’affaires total de l’opération, contre plus de 50 % pour l’optique de précision. Il est tout-à-fait possible, pour des PME, de s’associer pour faire une offre. C’est ce qu’a fait la société que vous évoquez, à en croire la presse…

M. Ladislas Poniatowski. – Pour autant, l’idée d’un chiffre d’affaires minimal n’a aucun sens. Je ne lâcherai pas là-dessus.

M. Joël Barre. – Quel autre critère ? Il faut bien respecter les règles en vigueur et fixer des critères objectifs. Il se peut que la fixation d’un seuil à 50 millions d’euros ne soit pas le critère le plus intelligent. Mais nous devons nous assurer que les candidats aient la capacité de répondre à l’appel d’offre dans la durée – c’est d’ailleurs aussi dans l’intérêt des PME concernées.

M. Gilbert Roger. – Nous savons bien, pour avoir été maires, qu’il faut se méfier des grosses sociétés notamment dans le bâtiment, qui promettent monts et merveilles…

M. Jean-Marie Bockel. – Comparaison n’est pas raison !

M. Cédric Perrin. – Pourquoi l’offre des entreprises françaises est-elle systématiquement évincée, au point de disparaître finalement ? Pour les élus que nous sommes, c’est un vrai problème. Je pense en particulier au remplacement des P4. Pourtant, il est possible d’anticiper et de préparer un appel d’offres pour que tel ne soit pas le cas. Il faut, pour cela, avoir une conscience nationale.

M. Joël Barre. – Nous l’avons.

M. Ladislas Poniatowski. – De la liberté, de grâce ! Laissez les PME candidater ! Verney-Carron vend depuis longtemps des armes équipées de lunettes Zeiss. Pourquoi ce plancher de 50 millions d’euros ? Ce n’est pas un critère intelligent.

M. Joël Barre. – Nous devons annoncer dans nos appels d’offre des critères de choix transparents et objectifs. Sinon, nous nous exposons à des contentieux. Le critère de 50 millions d’euros n’est peut-être pas le plus intelligent, mais il en faut un. Nous allons nous interroger sur son amélioration. Cela dit, la presse indique que la société que vous évoquez semble s’être portée candidate.

La question de savoir si la France doit conserver la capacité de fabriquer toutes ses armes est différente. Nous en avons déjà débattu lors de la revue stratégique en 2017.

Nous avions fait un tableau distinguant les capacités que nous devions conserver intégralement – dissuasion, renseignement – de celles dans lesquelles nous pouvions coopérer avec mutuelle dépendance, de celles pour lesquelles nous pouvions coopérer tout en conservant la capacité au cas où la coopération ne progressait pas, et de celles pour lesquelles nous pouvions acheter sur étagère. C’est au pouvoir politique de trancher.

M. Cédric Perrin. – Oui, et je ne pense pas que nous devions tout conserver en propre. Mais nous avons abandonné plusieurs pans, déjà. Nous réclamons que la rédaction des appels d’offre soit adaptée. Les Allemands, par exemple, ne font pas rouler leurs policiers en Peugeot ou en Renault. Pourtant, si le prix était le critère, ce serait le cas. Les maires connaissent bien ces enjeux. Allons au bout des solutions juridiquement disponibles. Surtout, une meilleure prospective aiderait les industriels français à mieux se préparer aux futurs appels d’offre. Sans être d’extrême-gauche, je crois aux vertus du Plan.

M. Joël Barre. – La vision prospective relève du politique. Nous avons fait une revue stratégique, et nous la mettons en œuvre dans la LPM. Le Fusil de Précision Semi-Automatique (FPSA) ne relève pas de la règlementation applicable à la souveraineté. Nous appliquons donc la réglementation européenne.

M. Christian Cambon, président. – Ce débat est important, car il comporte une dimension d’animation économique des territoires – et les filières industrielles résultent généralement d’une décision politique. Retenons-en le fait que notre commission souhaite que nos PME – qui créent 90 % des emplois – participent autant que possible à vos appels d’offre.

Certes, les règles des marchés publics sont très strictes, mais il est dommage que des entreprises françaises reconnues à l’étranger soient évincées de nos propres commandes, d’autant que nous savons que ce n’est pas le cas chez nos voisins. Aux politiques, aussi, d’insuffler avec assez d’avance des orientations prospectives !

M. Joël Barre. – Sur le MCO, enfin, le contrat Tigre de standard 3 intègre des exigences de disponibilité.

M. Christian Cambon, président. – Merci pour toutes ces précisions.