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Chapitre 2 – Méthodologie

2.2 Mesures

Deux sources de données ont été utilisées dans le cadre de ce projet de recherche, à savoir des entrevues semi-structurées et des fiches signalétiques.

2.2.1 Entrevues semi-structurées

Des entrevues semi-structurées variant entre quarante minutes et une heure vingt minutes ont été menées avec les participants de la recherche. Le but de ces entrevues était d’identifier les facteurs et processus associés à l’abandon du traitement (d’un programme correctionnel pour délinquants sexuels) chez les délinquants sexuels. Nous souhaitions également cibler les différences et les similitudes entre les récits des délinquants ayant à la fois mis fin à un programme pour délinquants sexuels en cours de route, mais complété un programme pour délinquants sexuels ou un autre type de programme (par ex. : toxicomanie ou violence) distinct à un moment différent.

Nous avons choisi d’avoir recours à des entrevues semi-structurées puisque celles-ci offrent l’avantage de traiter un sujet en profondeur (Lamoureux, 1992). Elles comportent typiquement des questions ouvertes qui permettent de bien cerner les opinions et perceptions de l’interviewé. Dans ce contexte, le chercheur se dote d’un plan au sein duquel il intègre des thèmes et sous- thèmes à aborder, et demande à son interlocuteur d’aborder ces thèmes pour comprendre le phénomène étudié (Fortin, 2010).

Ainsi, bien que notre démarche se soit voulue inductive et itérative (aucune hypothèse formulée dès le départ), différents thèmes généraux, basés sur le Multifactor Offender Readiness Model (Ward et al., 2004) et le modèle de l’auto-détermination (Ryan et Deci, 2000), ont été abordés avec les participants lors des entrevues. Ainsi, nous avons demandé aux participants rencontrés de nous parler de thèmes tels que le contexte ayant entouré le début de leur participation au programme, leurs expériences et perceptions en lien avec les différents éléments constitutifs du programme, l’environnement dans lequel celui-ci était dispensé, leur motivation et leur engagement à l’égard du programme et du changement, de même que leur décision de mettre fin à leur participation au programme. Nos propositions de thèmes étaient ouvertes et générales (par ex. : « J’aimerais d’abord que vous me décriviez le contexte et les circonstances ayant entouré le début de votre participation au programme »; « J’aimerais que vous me parliez de votre motivation et de votre engagement tout au long du programme »). Lorsque nous considérions les propos des participants incomplets ou insuffisamment précis, ou alors que nous ne voyions pas les liens entre ceux-ci et le thème discuté, des relances et demandes de clarification étaient faites.

Notons que les participants qui ont à la fois abandonné un programme et complété un autre programme ont été amenés à comparer leurs deux expériences. Les consignes de départ (énoncés visant à amorcer l’entrevue) variaient donc en fonction du profil des participants. La version finale de la grille d’entretien, qui inclut les deux consignes de départ différentes, se trouve à l’Annexe I.

2.2.2 Fiches signalétiques

Au moment de l’entrevue, les participants ont rempli une fiche signalétique (Annexe II) pour nous permettre de recueillir des informations de base (âge, scolarité, état civil, informations sur la

sentence, antécédents criminels, programmes complétés ou abandonnés), ce qui nous a permis de dresser leur portrait sociodémographique.

2.3 Procédure

Le recrutement des participants de cette recherche s’est effectué par l'intermédiaire du Service Correctionnel du Canada. Les critères d’inclusion ont été transmis aux gestionnaires des programmes correctionnels en établissement ainsi qu’à l’Administratrice régionale, Évaluation et Intervention de la région du Québec, qui se sont ensuite référés au Système de gestion des délinquants (SGD) ou à leurs employés pour repérer des participants potentiels. Ces personnes nous ont ensuite communiqué le nom des délinquants sélectionnés.

Lorsqu’un participant incarcéré nous était référé, nous convenions d’une date avec le gestionnaire des programmes du pénitencier ciblé pour nous rendre en établissement et rencontrer le détenu en question. Le gestionnaire des programmes se chargeait d’émettre un laissez-passer (permis de circuler) au détenu, correspondant à la date et à l’heure convenues, et celui-ci se présentait au département des programmes correctionnels de l’établissement où nous venions à sa rencontre. Il est à noter que ces détenus ne recevaient aucune information concernant notre recherche avant ladite rencontre, pour éviter entre autres qu’ils ne consultent d’autres détenus à ce sujet avant notre entrevue, ce qui aurait potentiellement eu pour effet de biaiser leur discours.

La prise de contact avec les participants non-incarcérés s’est effectuée de manière quelque peu différente. En effet, nous contactions d’abord via messagerie électronique les agents de libération conditionnelle (ALC) des participants qui nous avaient été référés par l’Administration régionale du Québec (ARQ) en leur présentant notre recherche et en leur demandant de remettre aux individus ciblés le document d’information préparé à cette fin (voir Annexe IV). Il est à noter que nous avons procédé de cette manière pour les participants en collectivité pour qu’ils puissent notamment planifier du temps dans leur horaire et prévoir leur transport en fonction de la durée des entrevues que nous souhaitions mener avec eux. Une fois que les ALC nous confirmaient l’intérêt des participants, nous communiquions avec ces derniers par voie téléphonique pour

correctionnel communautaire (CCC). Nous nous assurions par la suite de confirmer le tout avec les ALC, afin de prévoir la disponibilité des locaux.

Dans des locaux privés et sécuritaires préalablement prévus à cet effet, nous avons donc rencontré chacun des participants individuellement afin de leur expliquer : les objectifs de la recherche; les implications de leur participation; le déroulement de l'heure à venir (entrevue); les principes liés à la confidentialité des données; les exceptions prévues par la loi à cette confidentialité; le fait que leur participation devait être libre et volontaire et qu'ils pouvaient se retirer de la recherche à tout moment; les avantages et les inconvénients liées à la participation à la recherche; l'utilisation ultérieure des données; et la question de l'indemnisation (aucune compensation n’est prévue conformément aux règlements et politiques du SCC). Après avoir eu l’occasion de demander des clarifications et de poser des questions, les participants intéressés signaient le formulaire de consentement rassemblant toutes ces informations (Annexe III). Les fiches signalétiques étaient remplies, et les entrevues pouvaient alors débuter.

Notons que les entrevues ont eu lieu entre le 22 décembre 2018 et le 20 septembre 2019. Dans tous les cas, nous avons débuté avec la consigne de départ et demandé aux participants s’ils avaient des questions avant de débuter. Nous demandions ensuite aux participants d’aborder les différents thèmes présentés précédemment, concernant le programme pour délinquants sexuels abandonné. Nous abordions par le suite, dans certains cas, les thèmes concernant les programmes pour délinquants sexuels (ou autres) réussis. Une prise de notes sommaires durant les entrevues aidait à consigner des idées importantes ou des sujets sur lesquels nous souhaitions revenir plus tard durant l’entrevue. Lorsque tous les thèmes avaient été abordés et qu’aucun élément nouveau ne se retrouvait dans le discours du participant, nous demandions à ces derniers si d’autres éléments ou facteurs que ceux discutés avaient joué un rôle dans leurs expériences d’abandon et/ou de réussite. Dans la négative, nous remercions les participants de leur collaboration, et mettions fin aux entrevues.

Mentionnons que dans tous les cas, nonobstant des différences au niveau de la prise de contact avec les participants en fonction du lieu où nous les avons rencontrés, les entrevues ont été enregistrées pour préserver l’intégrité des informations fournies par les participants. Les

participants ont été identifiés sur l’enregistrement seulement par un code. Une liste des noms des participants et de leurs codes a été créée et est conservée sur un support sécurisé séparément des données de recherche, et sans mention du fait qu’il s’agit de délinquants condamnés pour des infractions sexuelles ou de toute autre information confidentielle ou sensible.

Le magnétophone a été fourni par la chercheure, avec l’autorisation du SCC. Les enregistrements ont tous été transcrits intégralement. Une fois transcrits, les enregistrements ont été supprimés. Seuls les verbatim ont été conservés à des fins d’analyse. Pour préserver l’anonymat des participants et pour éviter l’identification de tout membre du personnel, tous les prénoms et noms ont été retirés des verbatim.

2.4 Stratégie analytique

La présente étude se voulait exploratoire. La stratégie analytique employée fût celle de la théorisation ancrée. Tel que le précisent Strauss et Corbin (1998) et tel que le rapporte Creswell (2007), la théorisation ancrée vise à générer une théorie, une explication générale ou, en d’autres mots, le schéma analytique d’un processus, d’une action ou d’une interaction. Cette théorie doit être élaborée à partir du discours des participants ayant vécu ou expérimenté le phénomène étudié. Ainsi, la stratégie analytique basée sur la théorisation ancrée exige que le chercheur se distancie de toute notion théorique afin de se concentrer sur la manière dont les participants expérimentent un processus et décrivent celui-ci (Creswell, 2007).

Puisque l’objectif principal de notre étude consiste à l’élaboration d’un modèle de l’abandon du traitement chez les délinquants sexuels, cette tradition méthodologique inductive s’avérait tout à fait appropriée pour l’analyse de nos données puisque, comme le soulignait Laperrière (1997), la théorisation ancrée ne vise pas tant la description d’un phénomène que l’élaboration d’une théorie pertinente à partir de celui-ci.

Il importe de mentionner que l’une des caractéristiques principales, sinon centrales, de l’analyse par théorisation ancrée, voire même de la recherche qualitative en général (Deslauriers et Kérisit, 1997), réside dans la simultanéité de la collecte et de l’analyse (Paillé, 1994), en ce sens que

cadre du recrutement, nous avons pu nous conformer à cette pratique qui, notamment, implique que les grilles d’entrevue, toujours provisoires, soient ajustées en cours de route, témoignant ainsi de la progression de l’analyse (Mucchielli, 1996). Nous avons par exemple, suite à chaque journée d’entrevues, ajouté des sous-thèmes potentiels à explorer, et graduellement accordé moins d’importance à certains concepts qui nous semblaient initialement très importants, mais qui, au fil des entretiens, se sont avérés secondaires à la compréhension du phénomène étudié. Par exemple, la majorité des participants avaient souvent peu à dire sur la façon dont sont perçus les programmes correctionnels en établissement de manière générale. De plus, lorsqu’ils convenaient, par exemple, que ceux-ci étaient perçus négativement, ils ne traçaient pas de liens entre ce constat et leur expérience d’abandon. Nous avons donc moins insisté sur ce thème au fil des entrevues.

En dépit de l’existence d’autres méthodes de codification et d’analyse associées à la théorisation ancrée, par exemple celle de proposée par Laperrière (1997) qui comporte trois étapes non- linéaires (codification ouverte, codification axiale et codification sélective), nous avons fait le choix de nous inspirer des travaux de Paillé (1994) afin d’analyser nos données selon six étapes permettant une analyse progressive, à savoir : 1) la codification ; 2) la catégorisation ; 3) la mise en relation ; 4) l’intégration ; 5) la modélisation ; et 6) la théorisation. Nous avons choisi cette méthode d’analyse puisqu’elle nous semblait un peu plus exhaustive. D’ailleurs, il est possible de constater que les principes centraux de la démarche à laquelle fait référence Paillé (1994) recoupent ceux qui composent la méthode décrite par Laperrière (1997).

En résumé, les étapes proposées par Paillé (1994) consistent d’abord à qualifier les divers éléments du discours des participants par des mots ou des expressions (codification). À cette étape, les retranscriptions sont analysées ligne par ligne afin que les codes appropriés soient attribués à chaque extrait. Ces codes étaient, dans notre cas, inspirés de nos lectures préalables au sujet de l’abandon du traitement et des thèmes inclus dans notre grille d’entrevue.

Vient ensuite l’étape de la catégorisation, qui consiste à faire passer l’analyse à un niveau supérieur, celui de la compréhension d’un comportement ou d’un phénomène, au moyen de catégories plus riches et plus évocatrices. Il s’agit, tel que l’évoque Paillé (1994), de tenter de

nommer le phénomène plus large auquel renvoie le témoignage, ou, en d’autres mots, de placer la codification initiale dans un contexte explicatif plus large. Les catégories ont donc été créées, modifiées ou retranchées au fil des entrevues, le but étant de nous assurer que chacune d’entre elles pouvait regrouper les informations contenues dans chaque nouvelle entrevue. Ce processus a donc pris place jusqu’à la fin de la collecte de données, et même au-delà. C’est ainsi que par exemple, les codes initiaux Facteurs internes : motivation : début et Facteurs internes : dispositions affectives : début ont éventuellement été regroupées sous les catégories Dispositions affectives et cognitives favorables ou Dispositions affectives et cognitives défavorables, selon le contenu des extraits.

S’en suit la mise en relation de ces différentes catégories, où débute la réelle explication du phénomène étudié. Notons que les liens qui unissent les différentes catégories sont susceptibles de prendre plusieurs formes et se révéler plutôt complexes (Paillé, 1994). C’est pourquoi l’utilisation de schémas s’avère intéressante, puisqu’elle permet la comparaison de ces différentes catégories. C’est donc à cette étape que nous avons constaté que deux voies différentes semblaient mener à l’abandon du traitement et que, de plus, plusieurs facteurs contributifs à la réussite existaient. Nous avons ainsi élaboré nos différents schémas et modèles, en l’occurrence la Voie #1 – Avant le programme, la Voie #1 – Pendant le programme, la Voie #2 - Avant le programme et la Voie #2 - Pendant le programme. Dans chacun de ces schémas, les différentes catégories s’enchaînent et mènent soit à l’entrée en programme ou alors à l’abandon du programme. Un cinquième schéma, celui des Facteurs contributifs à la réussite, a été créé pour bien représenter la diversité de ces facteurs.

S’impose ensuite l’étape de l’intégration, lors de laquelle le chercheur doit prendre le recul nécessaire pour interroger le matériel et les données obtenues afin d’avoir une vue d’ensemble du phénomène étudié (Paillé, 1994). Dans notre cas, cette étape a permis de mettre en exergue le rôle joué par les conflits survenus avant ou pendant le programme abandonné dans la compréhension du phénomène de l’abandon du traitement chez les délinquants sexuels. Elle a parallèlement permis de comprendre la réussite des programmes sous l’angle des perceptions positives, notamment.

La cinquième étape, celle de la modélisation, consiste à cerner les principales caractéristiques (propriétés, conditions d’existence, évolution, etc.) du phénomène avant de décomposer le modèle conçu sous formes d’énoncés divers, puis de vérifier si ceux-ci peuvent être confirmés par les données (théorisation). Des énoncés tels que « toute expérience d’abandon est précédée par un conflit » et « dans la Voie #2 – Abandon tardif, des pensées d’abandon émergent suite à l’élément déclencheur (conflit) » ont été formulés, puis vérifiés.

Notons que l’un des principes clés de la recherche qualitative est celui de la saturation empirique des données, qui indique au chercheur à quel moment il peut cesser la collecte de données, en plus de permettre la généralisation des résultats à l’ensemble du groupe auquel les participants analysés appartiennent (Pirès, 1997). Bien que nous aurions évidemment souhaité procéder aux entrevues jusqu’à l’atteinte d’une saturation empirique des données, nous avons dû nous satisfaire du nombre de participants qui ont pu être recrutés par le SCC (n=7). La saturation n’a donc pas été atteinte dans le cadre de notre recherche, puisque nos dernières entrevues nous ont permis de recueillir suffisamment d’informations nouvelles pour justifier la poursuite de la collecte de données, si celle-ci avait été possible. Malgré tout, nous croyons avoir réussi à extraire de nos données des résultats représentatifs de la population étudiée, qui s’est avérée assez diversifiée en termes d’âge, d’historique délictuel et d’expériences de traitement, notamment. Ainsi, le principe de la diversification interne du groupe étudiée, tel que décrit, encore une fois, par Pirès (1997), a été atteint, bien que de manière plutôt fortuite, le recrutement ayant été effectué en totale dépendance envers le SCC.

Pour conclure ce chapitre, mentionnons que bien que la stratégie analytique privilégiée dans cette recherche fût celle de la théorisation ancrée, nous convenons que le recours à celle-ci s’est probablement avéré trop ambitieux, voire non-optimal, considérant la taille de l’échantillon obtenu. Il est d’ailleurs à noter que puisque le recrutement s’est effectué de manière graduelle, nous ne pouvions pas savoir, au départ, que nous n’aurions accès qu’à sept (7) participants. Tel que mentionné précédemment, nous comptions initialement recruter une vingtaine de candidats. Or, puisque nous avions débuté la recherche en suivant les étapes propres à la théorisation ancrée et que nous désirions nous prêter à cet exercice analytique rigoureux malgré la petite taille de notre échantillon, nous avons fait le choix de conserver cette stratégie jusqu’à

la fin. Nous comprenons toutefois que cette stratégie se serait avérée beaucoup plus adéquate avec un plus échantillon plus important, lequel aurait d’ailleurs permis l’élaboration d’un modèle de l’abandon du traitement chez les délinquants sexuels plus complet et plus solide.

Chapitre 3 – Résultats

La stratégie analytique privilégiée a permis l’élaboration d’un modèle de l’abandon du traitement (programmes correctionnels) chez les délinquants sexuels. Ce modèle comporte deux voies différentes, qui mènent toutes deux à l’abandon volontaire du traitement, mais qui se distinguent à plusieurs niveaux. La première voie s’intitule « Voie #1 – Abandon rapide », tandis que l’appellation « Voie #2 – Abandon tardif » a été attribué à la seconde voie. Chacune de ces deux voies comporte deux phases, en l’occurrence la phase « Avant le début du programme », qui fait référence à tous les événements et circonstances qui se déroulent ou prennent place avant la première rencontre individuelle avec l’intervenant(e) ou les intervenant(e)s, et ne comporte aucune limite au niveau du délai écoulé entre lesdits événements et la première rencontre, puis la phase « Durant le programme », qui fait référence à la période se situant entre la première rencontre individuelle avec les intervenant(e)s et le moment de l’abandon.

De plus, puisque les participants rencontrés ont également été invités à discuter des traitements complétés (réussis), l’analyse de leurs discours à ce sujet a permis l’élaboration d’un modèle représentant les facteurs contributifs à la réussite d’un traitement chez les délinquants sexuels. Ces résultats seront présentés dans ce chapitre.

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