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CEREALES AUTRES QUE BLE,MAIS

9. Les modalités d’action économique et politique

9.3. Action sur la demande en eau agricole

9.3.2. Les mesures économiques

Elles comportent à la fois des aspects de régulation quantitatifs ou tarifaires et incluent le renoncement à des mesures incitant les agriculteurs à la consommation de ressource. L’accès à l’eau a été historiquement favorisé en France pour des raisons de compétitivité agricole et de maintien d’exploitations rentables. La réforme de la PAC de 1992 a figé cette situation en instaurant des différentiels de primes entre cultures en sec et cultures irriguées. L’absence de tarification de l’eau pour les irrigants individuels, hors périmètre de concession d’une SAR ou d’une ASA, a également contribué à l’expansion de l’irrigation. Dans le contexte d’une ressource devenue plus rare, la question est donc posée d’une régulation par des outils économiques de l’utilisation agricole de l’eau.

. Le découplage des aides agricoles

Le choix fait par la France après la réforme de la PAC de 1992 d'accorder une aide majorée aux cultures irriguées vis-à-vis des cultures en sec dans bon nombre de départements a certainement contribué à la poursuite de l’accroissement de l’irrigation constaté entre 1994 et 2000. Mais ce n’est certes pas le seul facteur explicatif. La réforme s’est également accompagnée d'une quasi-suppression des aides aux oléo-protéagineux, entraînant un transfert de l’irrigation de ces cultures vers celles du maïs : la surface en maïs déclarée irriguée PAC est passée de 757 000 ha en 1994 à 917 000 en 2000 (source ONIC).

Le "découplage" des aides à 75%, entré en vigueur au 1er janvier 2006, a déjà probablement contribué à la nou- velle baisse, d’environ 7%, des surfaces de maïs irrigué observée en 2006. Même si la référence historique dans l’attribution des aides a été favorable aux irrigants et que le découplage n’est pas total en France, la logique même du découplage devrait conduire à faire disparaître toute incitation à irriguer par l’intermédiaire des mécanismes de la PAC à brève échéance.

. La tarification de l’eau

De très nombreuses études économiques internationales ont plaidé pour le recours aux outils tarifaires pour réguler la demande agricole en eau. La mise en place de ces outils est contrainte par la quantité d’information qu’elle nécessite : mesurer les consommations, si possible à l’échelle individuelle et plusieurs fois dans l’année, connaître les aléas techniques et agronomiques pouvant affecter les consommations, et doit être socialement acceptable par les agriculteurs. Selon l’étendue de ces contraintes, l’analyse économique distingue deux types d’horizons d’efficience. S’il est possible de dimensionner le tarif au plus près de l’objectif de demande recherché, on parle d’outils de "premier rang", au sens où il permettent d’atteindre l’efficacité économique collective de l’usage de l’eau. Si l’information nécessaire fait défaut ou que le tarif se heurte à des problèmes d’acceptation par la profession, on parle d’outils de "second rang", au sens où ils ne sont susceptibles que de limiter au mieux les pertes d’efficacité économique par rapport à l’idéal du premier rang. Dans la pratique, on rencontre surtout des outils de "second rang". Le tableau suivant résume les caractéristiques des outils économiques les plus usuels pour réguler l’usage agricole de l’eau.

Les différents modes de tarification de l'eau (Johansson 2002)

Type de tarification Mise en place

Efficience potentielle (horizon de l’efficience) Contrôle de la demande Proportionnel à la surface

irriguée facile aucune Via des restrictions sur cultures (zonage) ou sur extension des périmètres irrigués Tarif proportionnel à la

production (ou à un intrant)

moins compliquée que les options

suivantes

second rang (court terme)

Suppose une efficience technique élevée dans l’usage de l’eau. L’action sur le prix des produits (taxes) doit entraîner une diminution de la demande. en eau. A des effets ambigus à moyen terme (sous investissement).

Volumétrique : taux uniforme ou par tranche (taux croissants) compliquée (pose et relevé des compteurs) premier rang (court terme)

Permet d’adapter le tarif aux effets de seuils sur les prélèvements (impacts négatifs sur l’environnement plus que proportionnels aux prélèvements). Le système par tranche taxe davantage les gros utilisateurs que les petits.

Tarif binôme (charge fixe

+ au volume consommé) assez compliquée

premier rang (long terme)

Type de tarif volumétrique avec charge fixe couvrant les coûts fixes de fonctionnement des infrastructures. La modulation des charges fixes permet d’améliorer l’équité sans détériorer l’efficacité du dispositif. Marchés de l’eau : quotas concédés échangeables, "banques" de l’eau difficile (coûts de transaction élevés, distorsions de concurrence) premier rang (court et long terme)

Suppose un système de droits prédéfinis. Suppose aussi des instances juridiques, soit ad hoc : "Tribunal de l’eau", soit appuyées par un droit de l’eau opérationnel. Les banques de l’eau permettent de gérer les fluctuations des demandes d’une année à l’autre en retirant du marché les droits non utilisés une année humide. Les banques peuvent aussi faire de l’assurance sécheresse (encore à l’étude). En France, les outils tarifaires sont surtout mobilisés par les SAR, en complément des approches plus classiques par attribution de quotas ou de débits souscrits. L’ensemble des irrigants est par ailleurs soumis à la redevance "prélèvement" des Agences de l’Eau, qui est un tarif monôme de type proportionnel. Ce tarif est généralement considéré comme "faible" et partant, insuffisant pour modifier de façon significative le comportement des irrigants, alors que l’une des fonctions d’un tarif est de servir de "signal" sur la rareté de la ressource. Cette dernière fluctuant fortement au gré des années et même à l’intérieur de l’année, le tarif devrait refléter ces évolutions, ce qui est difficilement réalisable en pratique. Pour cette raison, le tarif est surtout vu comme un outil de long terme, agissant pour discipliner les comportements, éviter le sur-investissement dans l’irrigation ou des spécialisations trop fortes dans des cultures très consommatrices d’eau dans des régions où la ressource disponible est insuffisante ou trop aléatoire. Pour les mêmes raisons, le tarif doit être modulé dans l’espace pour prendre en compte les raretés locales ; celles-ci peuvent être difficiles à apprécier du fait de la circulation de la ressource dans un bassin versant.

Le tarif binôme offre l’avantage de permettre la récupération des coûts fixes d’infrastructure (amortissement et maintenance) pour les ouvrages de retenues, les canaux ou les réseaux collectifs d’irrigation. Dans la mesure où l’obstacle qui restreint bien souvent l’usage de tels tarifs, l’absence de système de comptage individuel, n’existe pas en France, la mise en place de tarifs binômes, gérés par les SAR sur leurs périmètres de concessions ou les Agences en irrigation individuelle, est une option intéressante à considérer. Il faut noter que cela requiert un cadre légal ad hoc, les redevances des Agences n’ayant pas à l’heure actuelle de dimension réellement tarifaire, étant par nature des instruments fiscaux.

Si les tarifs sont modifiés périodiquement (en fonction du remplissage des nappes par exemple en fin d’hiver) les règles tarifaires doivent être établies suffisamment tôt avant la campagne pour que les irrigants puissent les prendre en compte dans leurs choix d’assolement. De tels systèmes ne seront acceptables pour les agriculteurs que dans le cadre d’une négociation concertée avec la profession.

Les instruments tarifaires peuvent être conçus à l’échelle locale. Mais ne serait ce que pour des raisons d’équité entre les agriculteurs, les tarifs ne doivent pas conduire à des distorsions de compétitivité trop importantes entre les exploitants de différentes régions. Pour cette raison, la mise en place d’instruments économiques de régulation de la demande agricole en eau devrait s’insérer dans les orientations de politique nationale, même si leurs déclinaisons concrètes doivent être ensuite adaptées aux spécificités des contextes locaux. Il n’en est pas de même pour les outils de gestion concertée que l’on aborde plus loin. Résultant d’initiatives locales des usagers, ils peuvent aboutir à des modes de partage de la ressource très spécifiques au territoire concerné. Les publications scientifiques sur l’impact de la tarification de l’eau en agriculture sont relativement peu nombreuses dans le cas de la France, et concernent majoritairement les grandes cultures. Des travaux de l’INRA et du Cemagref fournissent cependant des premiers résultats conduisant à une sensibilité modérée voire très faible des prélèvements par rapport au tarif de l’eau pour irrigation. Un rapport du Cemagref pour le Plan Bleu compare les situations de différents pays méditerranéens dont la France, en termes de mode de tarification et d’expériences de gestion de la ressource.

L’expérience étrangère récente montre également un fort développement de systèmes de marchés de droits

d’eau (quotas transférables), aux Etats-Unis, en Australie et au Chili en particulier. Ces échanges peuvent être

restreints à une même catégorie d’usagers, les pouvoirs publics gardant la maîtrise du partage de la ressource entre les grandes catégories d’usagers (municipalités, agriculteurs, industriels). Ils peuvent également s’opérer entre usagers (achats d’eau des municipalités aux irrigants). Le bilan de ces expériences est assez contrasté, mais il est indéniable qu’elles ont permis une amélioration significative de la situation dans certains contextes locaux, caractérisés historiquement par des conflits d’usage forts assortis de blocages politiques. De telles expériences semblent aujourd’hui peu transposables à notre pays, de tradition juridique et politique très différente. Mais il est clair qu’à défaut d’une approche concertée de la gestion de l’eau, sur fond de conflits d’usage forts et d’affrontements politiques, elles pourraient inspirer des réformes profondes de la gouvernance de l’eau en France.