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Meilleure résistance et rétablissement des buttes de sphaignes du secteur restauré

3. Volet 2 : Reprise de la couche muscinale après feu (Restauré vs Naturel)

3.4.1 Meilleure résistance et rétablissement des buttes de sphaignes du secteur restauré

Contrairement à l’hypothèse de départ, c’est la strate muscinale du secteur restauré qui montre la meilleure résistance et la meilleure récupération initiale à la fin de la première saison de croissance après l’incendie de 2014. En effet, si le secteur naturel a brûlé extensivement avec une perte presque complète de la végétation, le secteur restauré pour sa part contenait plusieurs parcelles de végétation intacte dont certaines jouxtaient les buttes de sphaignes étudiées. Il y avait également un couvert muscinal plus élevé et diversifié sur les buttes de sphaignes du secteur restauré que du secteur naturel ainsi que plus de tiges de sphaignes et de Polytrichum strictum dénombrées et de buttes contenant de nouvelles pousses de sphaignes. Dans le cas présent, c’est la différence dans la sévérité du feu qui semble expliquer le plus la réponse au feu plus favorable du secteur restauré ; le secteur naturel ayant brûlé beaucoup plus sévèrement que le secteur restauré. La sévérité du feu est connue pour influencer la résistance et le rétablissement de la végétation en tourbière (Benscoter et coll. 2005a, 2005b, Benscoter & Vitt 2008, Lukenbach et coll. 2016, Rowe et coll. 2017). Par exemple, lors d’un feu plus sévère, les processus de succession doivent reprendre de plus loin (Benscoter et coll. 2005a, Benscoter et coll. 2005b). Ou encore, une forte combustion peut endommager significativement la réserve de diaspores et de propagules et donc le rétablissement dépend alors d’un apport extérieur de ces éléments (Clarkson 1997, Johnstone & Kasischke 2005, Good et coll. 2010). Cette sévérité peut également affecter les conditions édaphiques et hydrologiques du site (Benscoter & Wieder 2003, Norton & De Lange 2003, Lukenbach et coll. 2016) ce qui influence indirectement la reprise végétale. Ainsi, il n’est pas surprenant que le site affichant la plus faible sévérité de feu, ici le site restauré, soit celui montrant la meilleure reprise muscinale. Qui plus est, les secteurs contenant des parcelles de sphaigne intactes, comme dans le cas du secteur restauré, récupéraient plus rapidement lors des feux de tourbières (Benscoter et coll. 2005b, Clarke et coll. 2015).

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Dans le cas de cette étude, les deux facteurs les plus susceptibles d’avoir influencé la sévérité du feu sont la qualité et la quantité du combustible ainsi que l’hydrologie du site. En effet le secteur naturel et le secteur restauré appartiennent tous deux à la même tourbière et il est question du même incendie. Donc, la disparité dans la sévérité du feu entre les secteurs ne peut être attribuée à la saison, la température de l’air, ou le climat qui sont pourtant des facteurs ayant une forte incidence sur la sévérité du feu en tourbière (Wotton & Flannigan 1993, Flannigan et coll. 2001, Turetsky et coll. 2004, Camill et coll. 2009). Concrètement, ce qui diffère le plus les deux secteurs sont la taille et l’âge des buttes de sphaignes et le recouvrement végétal les environnant. Comme la taille des buttes du secteur naturel n’a pas eu le rôle protecteur escompté, ce serait la composition végétale environnante qui aurait joué un rôle prédominant dans la plus faible résistance au feu en influençant l’hydrologie du site ainsi que le combustible présent lors d’un feu.

Le secteur naturel contient un haut recouvrement d’épinettes noires (Figure 12). Blauw et coll. (2017) ont démontré que les conifères augmentent l’intensité du feu et favorisent l’allumage du sol organique en raison de la grande inflammabilité de leurs feuilles. Cette inflammabilité et la forme de ces arbres faciliteraient également le transport du feu du sol vers les arbres et inversement (Blauw et coll. 2017). Les conifères produisent également beaucoup de combustible et de litière puisque leurs aiguilles et leur bois se décomposent lentement et s’accumulent sur le site (Pietsch et coll. 2014). L’accumulation de combustible augmente l’allumage et la propagation du feu dans de multiples écosystèmes tels les tourbières (p. ex. Schimmel & Granström 1997, Ashton et coll. 2007, Davies et coll. 2013). Qui plus est, l’épinette noire a vraisemblablement influencé l’hydrologie du site par la demande en évapotranspiration de la canopée, abaissant ainsi la profondeur de la nappe phréatique. En effet, puisque l’abattage d’arbres en tourbière augmente et stabilise la nappe phréatique (Dubé et coll. 1995, Roy et coll. 1997, Roy et coll. 2000, Jutras 2006), il est raisonnable de penser que la présence d’arbres en diminuerait au contraire la hauteur en raison de la demande en évapotranspiration. Ainsi, la présence d’épinette noire dans le site naturel a probablement contribué à la propagation et à la force de l’incendie sur ce site par son influence sur l’hydrologie et le combustible sur le site.

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Figure 12. Comparaison du secteur restauré avec le secteur naturel (photographies prises

avant l’élaboration du projet de recherche, mais après le feu).

Le secteur restauré contenait beaucoup de touradons d’Eriophorum vaginatum. Les touradons de cette espèce de linaigrette produisent beaucoup d’une litière sèche qui brûle facilement. Cependant, le cœur de leur touradon brûle plus difficilement (Bret-Harte et coll. 2013). C’est ce qui fut observé sur le site restauré dans lequel les pourtours des touradons ont brûlé, mais le centre moins, formant ainsi des formes de beignet autour des plants. Loboda et coll. (2013) ont aussi remarqué que ce sont les secteurs intertouradon qui brûlent le plus. Par ailleurs, ces touradons pourraient augmenter l’humidité relative à la surface de la tourbe et favoriser les mousses tourbicoles (Marcoux 2000, vu dans Lavoie et coll. 2005). Il est possible que cette caractéristique de la linaigrette ait aidé à maintenir la tourbe de surface humide et ainsi atténuer la sévérité du feu.

Secteur naturel

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Cela dit, la nappe phréatique n’a pas été mesurée dans les secteurs à l’étude ni au moment du passage du feu ni après. Il est donc difficile de savoir avec certitude si la différence de la sévérité du feu peut aussi être attribuée à la hauteur de la nappe phréatique. Cependant, des indices suggèrent fortement que la nappe phréatique ait été plus élevée dans le secteur restauré que dans le secteur naturel lors du passage du feu (Figure 12). En effet, la linaigrette à large gaine est favorisée par une haute nappe phréatique et par les aménagements hydrologiques faits lors de la restauration de tourbière (Lavoie et coll. 2005). Une présence forte et relativement uniforme de cette espèce, comme c’est le cas pour le secteur restauré, pourrait indiquer une nappe phréatique plus élevée. De plus, ce secteur avait une nappe phréatique affleurante par endroits, à l’exception des mois les plus chauds de l’été lors desquels, il suffisait d’appuyer fermement sur le sol pour faire monter l’eau à la surface. S’il est possible que cette haute nappe phréatique soit le résultat de l’affaissement du sol causé par la combustion partielle de la tourbe, la composition végétale préalable au feu (plantes brûlées) des zones inondées indique que la nappe phréatique était déjà près de la surface du sol avant l’incendie (voir le volet 1 de ce mémoire pour la composition végétale complète du site). Le secteur naturel avait pour sa part un sol sec pendant tout l’été et la première moitié de l’automne. Cela s’accorde aussi avec l’idée que le secteur restauré ayant subi de l’extraction de tourbe le laissant dans une cuvette serait généralement plus humide. Comme l’incendie de 2014 s’est déclenché à la fin de l’été, il est raisonnable de croire que le secteur naturel avait alors un sol sec, du moins en surface.