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A Marseille comme à Montréal, des quartiers qui se distinguent grâce au street art

Partie 3. Une légitimité accrue du street art qui influe sur sa distribution spatiale et qui participe à la

2. Une distribution spatiale requalifiante et qui génère une nouvelle identité pour certains

2.1. A Marseille comme à Montréal, des quartiers qui se distinguent grâce au street art

Ici, il s’agira de démontrer qu’une concentration d’œuvres urbaines peut être porteuse de dynamisme pour un quartier. Le street art peut rendre un territoire identifiable et donc plus attrayant aux yeux des acteurs privés (habitants, commerçants, visiteurs etc.). Il peut de même être un levier pour l’économie locale du quartier, qu’il redynamise à sa façon. Dans cette partie, mes sources émanent de mes lectures et des entretiens réalisés avec les artistes et les services publics et semi-publics des villes de Marseille et Montréal.

2.1.1. Un mouvement artistique qui rend les territoires identifiables par les acteurs locaux…

Les habitants sont les premiers acteurs à être impliqués et touchés par la présence du street art dans leur quartier. Ce sont leurs murs et leurs portes qui sont recouvertes par les graffitis et les fresques murales que réalisent les artistes. Lorsque ce phénomène est géré et que les autorisations sont demandées, la cohabitation entre habitants et artistes se passent bien. C’est ce que nous ressentons par exemple lorsque nous nous promenons dans le quartier du Panier avec l’artiste Asha et que la plupart des habitants le saluent amicalement, connaissant le bienfait que ses actions ont sur le quartier89. Comme l’écrit Claude Rouot dans son article « Cultures, villes et dynamiques sociales » : « Les sentiments d’appartenance, les solidarités collectives voire les

utopies qui accompagnent ces effervescences artistiques témoignent de l’existence d’une relation entre art et cohésion sociale ». Le street art et plus largement l’art créent un véritable sentiment d’appartenance des

habitants et des commerçants à leur quartier. L’art urbain améliore l’image qu’ils se font de leur territoire habité et plus largement de leur cadre de vie. Ils ont alors l’impression d’habiter un quartier unique, singulier et qu’il leur est propre. Lorsque l’on recherche la définition du terme « identité », une des définitions que l’on retrouve est la suivante : « Caractère permanent et fondamental de quelqu'un, d'un groupe, qui fait son individualité, sa

singularité »90. D’une certaine manière, le street art, en permettant à un individu ou à un groupe d’individu de se sentir singulier participe à la création d’une nouvelle identité.

La requalification urbaine réussie d’un territoire se mesure à la puissance de son identité, ici offerte grâce au street art. Plus ce quartier est identifiable comme étant un haut lieu du street art, plus nous pouvons dire que le projet de requalification urbaine est réussi. J’ai posé au Bureau d’Art Public et au Syndicat des commerçants

89 Visite guidée du quartier du Panier par l’artiste Asha 90 Source : dictionnaire Larousse

P a g e 61 | 77 du Boulevard Saint-Laurent la question suivante : « Lorsque j’évoque ce phénomène, vous vient-il en tête des

espaces particuliers dans la ville de Montréal où se développe l’art urbain ? ». De manière unanime, les deux

acteurs ont répondu « Le Boulevard Saint-Laurent »91. Grâce aux actions de requalification menées à la fois par la ville, les artistes et les acteurs locaux, le Boulevard Saint-Laurent bénéficie aujourd’hui d’une identité forte qui lui est propre.

De ce sentiment d’appartenance au quartier, découle un sentiment de fierté de la part des habitants et des commerçants qui y vivent. En parlant avec l’artiste marseillais Asha, nous avons vraiment eu l’impression qu’aujourd’hui les habitants étaient satisfaits de l’image que renvoyait leur quartier et qu’ils ne voudraient rien n’y changer. L’artiste confie même « Nos voisins, amis et familles qui partagent les mêmes rues nous font

confiance et admirent nos travaux, ils en sont même très fiers »92. Pour eux, le street art est ce qui les distingue des autres quartiers et des autres habitants, c’est une caractéristique qu’ils revendiquent. Certains habitants même se mettent à créer leurs propres œuvres urbaines...

Toutefois, certains acteurs mettent en garde contre les dangers et l’utilisation abusive de cette notion d’identité par l’art. Pour les associations « En Mouvement » et « Juxtapoz » par exemple, la mise en valeur du quartier doit se faire avant tout en prenant en compte l’histoire et les attentes des habitants. Le projet de requalification doit se faire en cohérence avec le contexte local. Autrement, cela risque de créer des étiquettes que les

91 Cf Annexes 1 et 3

92 Cf Annexe 4 - Entretien avec l’artiste marseillais Arnaud aka Asha

Photo 40 - Un habitant qui écrit sur un des murs de son quartier, Quartier du Panier à Marseille

P a g e 62 | 77 habitants ne souhaiteraient pas porter. A ma question : « Pensez-vous que l'art urbain peut être un véritable

outil pour valoriser un quartier et lui donner une identité ? » Nora Kerkour, fondatrice de l‘association « En

Mouvement » confie « Quand à savoir si cela donne une identité, je dirais une image oui mais une identité... Je

crois que les gens des quartiers souhaitent éviter les étiquettes autant que possible et dans le climat actuel, il faut faire très attention à l'instrumentalisation de l'art »93. A cette même question, l’association « Juxtapoz » répond « Oui [...] il faut quand même faire attention à ce que l'on fait et ne pas tout accepter, il faut qu'il y ait

un propos, que ça raconte une histoire, et qu'on travaille avec les habitants des quartiers »94.

Alors oui, la requalification urbaine d’un quartier grâce à l’art urbain est possible et peut être valorisante pour ceux qui le fréquentent au quotidien. Toutefois, elle doit être contrôlée et construite en osmose avec les acteurs locaux afin que ces derniers ne pâtissent pas d’une image qu’ils n’auraient pas souhaitée. Si l’art urbain permet d’apporter une plus-value aux habitants de par l’amélioration de leur cadre de vie, il peut aussi permettre d’influer sur l’économie locale.

2.1.2. … mais aussi internationaux, avec l’émergence d’une nouvelle forme d’économie locale qui dynamise le territoire

L’identité qu’offre l’art urbain à un quartier s’apprécie par les impacts que ce dernier a sur les acteurs locaux. Toutefois, d’autres acteurs peuvent confirmer la création d’une réelle identité pour un quartier : ce sont les passants et plus largement les touristes. En effet, si l’attrait est local et qu’il concerne essentiellement les habitants d’une seule ville, alors la création d’identité est à nuancer. Toutefois, si le quartier intrigue et attire à une échelle plus large : nationale, voire internationale, alors nous pouvons parler d’une réelle identité, créatrice de dynamisme. Comme nous le confie Guillaume Rho-Lafortune, salarié au Syndicat des commerçants du Boulevard Saint-Laurent, à Montréal : « Une forte concentration de murales dans un secteur en fait une

destination touristique et un attrait pour les résidents de notre ville ».

Un simple quartier peut alors gagner en attractivité et en visibilité grâce à quelques œuvres murales de qualité. De plus, un argument est important à rappeler, c’est que la visite et la découverte des graffitis sont gratuites, se trouvant à même la rue. Etant accessible à tous, elle ne rebute personne par son prix d’entrée et permet de toucher le plus grand nombre. Guillaume nous dit « L'art urbain

transforme le banal du quotidien en expérience étonnante. Les murs gris de la ville se transforment en immenses œuvres que tout le monde peut apprécier gratuitement ».

Si le facteur économique joue sur l’attractivité des touristes, il joue aussi sur le fonctionnement des commerces dans ces quartiers. En effet, la venue de visiteurs et vacanciers, attirés par les murales, profite à tout le quartier et principalement aux commerces qui y sont implantés. Les bénéfices engendrés par la consommation

93 Cf Annexe 7 - Entretien avec Nora Kerkour de l’association « En Mouvement » 94 Cf Annexe 8 - Entretien avec Karine Terlizzi de l’association « Juxtapoz »

Photo 41 - Des visiteurs prenant les œuvres murales en photo dans le quartier du Cours Julien à Marseille

P a g e 63 | 77 des touristes peuvent être importants pour les commerçants. J’ai moi-même été surprise, lors de mes visites de terrain, de voir le nombre de visiteurs qui prenaient en photo ou se prenaient en photo avec les œuvres murales.

Si la création de cette nouvelle forme de tourisme s’est faite en partie naturellement, avec la découverte progressive des œuvres par les touristes et le bouche à oreilles, la ville a permis elle aussi l’attrait progressif des visiteurs pour ces quartiers à l’identité bien particulière.

A Montréal, nous l’avons vu, le service de la culture organise, en partenariat avec des artistes et des associations, le Festival MURAL. Défini comme le plus grand rassemblement autour du street art en Amérique du Nord, ce dernier attire plus d’un million de visiteurs par an, de Montréal comme du monde entier. C’est un évènement que soutient la ville et qui a un impact notoire sur la vision et l’image que l’on se fait du quartier. A Marseille aussi deux évènements sont organisés : un par l’office du tourisme de la ville, l’autre par un artiste marseillais, toutefois soutenu par la ville et l’arrondissement en question. Le premier concerne une visite guidée « Art Visit Provence », organisée par Alexandra Blanc Vea, guide interprète régionale, dans le quartier du Cours Julien. Cet évènement a été mis en place par l’office du tourisme de Marseille. Alexandra présente chaque mois les œuvres, les artistes et les galeries d’art qui récupèrent ce phénomène, particulièrement sur le Cours Julien95. Les commerçants du quartier m’ont confié, lors des entretiens, la voir souvent traverser et présenter aux visiteurs les différentes rues recouvertes d’œuvres murales. L’un d’entre eux m’a dit : « Il y a même des visites

guidées avec une femme et son groupe que l'on voit souvent passer dans la rue. Le street art crée du travail ici, c’est vrai »96. L’autre acteur qui joue un rôle important sur la reconnaissance du street art à Marseille, et particulièrement dans le quartier du Panier, c’est Asha. Arnaud, artiste marseillais depuis plusieurs dizaines d’années, organise deux week-ends par mois des visites de son quartier. Il nous présente sa passion à travers le regard d’un artiste engagé. J’ai pu participer à une de ses visites, vraiment passionnantes, et qui, nous l’avons vu, attire à tout âge. Nous étions sept cet après-midi-là, ayant de 15 à 60 ans. Ces visites, il nous l’assure, attirent des locaux mais aussi des visiteurs et vacanciers. Le fait est qu’il publie et partage cet évènement sur l’ensemble du réseau des agences touristiques, cela lui procure une certaine visibilité. Ce jour-là, trois visiteurs venus du nord de la France nous accompagnent lors de la balade urbaine.

95 FIORDELLI Justine, Art Visit Provence : un concept novateur imaginé par Alexandra Blanc Véa !, 2013, article publié sur le site loccitane.com

96 Cf Annexe 9 - Entretiens avec cinq commerçants marseillais, dans le quartier du Cours Julien Photo 42 - Animations autour d’une production durant le Festival

MURAL

Source : Tourisme Montréal, 2016

Photo 43 - Le Festival MURAL sur le Boulevard Saint-Laurent

P a g e 64 | 77 Le street art permet ainsi d’être une plus-value et d’apporter de la visibilité à des quartiers initialement moins attrayants. Comme le dit Astrid Fedel dans son article : « Le street art devient donc un moyen d’apporter un

certain « capital culturel » dans des quartiers qui en sont dénués »97. Toutefois, ce phénomène connaît certaines limites. Parmi elles, le fait que ces opérations de requalifications soient plutôt rares et très localisées ainsi que la légitimation progressive de la pratique artistique aille, pour certains artistes, à l’encontre de ces codes initiaux.

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