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Les marais salants, les marécages et les troupeaux du valle alto

Chapitre I Histoires de va-et-vient : les gens, les animaux, les biens rituels

B. Les marais salants, les marécages et les troupeaux du valle alto

Le valle alto est étroitement lié à la région de Qhoari puisqu’il marque le point de départ pour y accéder à partir des terres hautes aymara et de la vallée centrale de Cochabamba. Aujourd’hui encore, le va-et-vient des habitants entre Qhoari et les villes de Punata et Arani dans le valle alto, est incessant. On échange des produits, des alliés, des amitiés, des lieux de résidence, et les habitants des hautes terres ont aussi l’habitude de descendre y boire ce qui est considérée comme la meilleure chicha de Bolivie... Ces échanges existent depuis les temps précolombiens. C’est pourquoi, il me semble important de commencer par décrire ce que fut la vallée aux temps préhispaniques. Je reviendrai ensuite sur le rôle économique plus récent du

70 Les tambos (quechua : tampu) consistaient en une structure inka construite à des fins administratives et militaires. Situés tous les 20 ou 30 kilomètres le long des routes, dans un lieu stratégique, aéré et jouissant d’une bonne visibilité, proche de sources d’eau pour les voyageurs et leurs animaux. Ils permettaient de loger et d’alimenter les dignitaires itinérants et l’Inka quand il parcourait leur territoire d’un bout à l’autre et servaient également de dépôts (qullqa) pour stocker des aliments, de la laine, du bois et autres matériaux. De grands enclos en pierre permettaient aux lamas de se reposer. En époque de pénuries, les tambos permettaient de redistribuer des produits aux villages alentours. Apparemment, les gens du commun n’y avaient pas accès.

71 Les Charka, Qaraqara, Sora, Quillaka et Caranga recevaient de surcroît de riches terres à maïs dans l’Est du valle bajo, ils

étaient libérés du tribut et des « services personnels » comme la mit’a, ils portaient des cumbi et des absca (habits cérémoniels ou destinés aux hauts dirigeants) et servaient dans les champs de l’État (cf. Larson 1998 : 27). Les témoignages exagèrent peut-être un peu ces marques d’indulgence se demande Larson mais ils montrent toutefois l’allégeance de certains chefs aymara face à la générosité Inka.



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73 Roseaux caractéristiques des Andes avec lesquels on construit notamment des embarcations au Lac Titicaca.

74 A Tocori, Horozco, la personne qui a effectué la Visita de Pocona (Visita 1970 : 291) a rencontré les « coches camayos », les éleveurs de porcs de Turumaya (il est tentant d’établir la relation chicha- chicharron. Le chicharron est un plat très apprécié dans la région : ce sont des morceaux de porc cuits pendant des heures dans leur propre graisse (il semblerait qu’il s’agisse d’un plat consommé depuis des centaines d’années). Probablement autour se trouvaient les salines travaillées par les indiens de Pocona (Schramm 1990 : 6).

75 Il reste encore un résidu de forêt le long de la route qui mène au Valle Alto depuis la ville de Cochabamba. 76 Arbre dont les fleurs d’un rouge-orangé peuvent être consommées en beignets.

77 Avant de récolter le sel, il fallait retirer les sunch’u dont on fabriquait probablement des médicaments anti-venin en les faisant cuire avec du vin. Schramm pense que ces médicaments étaient transportés vers les forteresses pour soigner les guerriers (cf. Schramm : 10).Ces plantes faisaient partie des produits qui circulaient sur différents étages écologiques. Photo 7 champ de maïs à Punata. 2008.

montagneuse du Tuti78 (voir photo 8). Là, ils arrivaient à pratiquer une agriculture à petite échelle, en tous cas suffisante pour les alimenter voire pour payer un tribut à l’Inka79. Des traces d’agriculture sont visibles dans la région de Tarata et les Indiens de Tiquipaya et d’El Paso, probablement des Turpa, cultivaient pour l’Inka80 des terrains situés dans la région de Paracaya.

A cet effet, l’administration incaïque fit construire des canaux d’irrigation depuis la rivière Punata et même, souligna Schramm, depuis les hauteurs de la montagne Tuti où les Inkas avaient trouvé plusieurs lacs dont les eaux irriguaient ces champs. Il ressort de ces témoignages que l’eau était déjà un bien rare dans ces régions de vallée81 et que de grands travaux furent entrepris pour y accéder.

L’intendant Francisco de Viedma (fin XVIIIe siècle) avait lui-même relevé pour la région de Cliza (valle alto) que l’eau n’était pas très abondante mais que l’on avait recours aux eaux du fleuve Punata pour irriguer, ainsi les terrains devenaient fertiles et particulièrement propices au pâturage (Viedma [1836] : paragraphe 176) : « l’herbe y est très bonne et propice à l’engraissage, particulièrement au centre de la vallée voire dans toute la vallée en raison des nombreux marais et marais salants. On y trouve beaucoup de bétail à laine, quelques têtes de bétail chevalin et bovin82 ».

Or, le contexte actuel n’a guère changé83. L’eau est indispensable en abondance pour cultiver le maïs, importante ressource de la région qui produit de grosses quantités de chicha ; ce besoin d’eau est à l’origine d’énormes conflits entre les populations des hautes terres d’où elle provient – dont Qhoari- et celles des vallées. Pour cette raison, les Qhoareños qui ont de l’eau84 ressentent une sorte de complexe de supériorité par rapport aux gens de la vallée de Punata à qui

78 Ce qui est intéressant pour mon travail car nous verrons plus loin que cette montagne est, selon la mythologie qhoareña, l’ancienne amoureuse de leur montagne tutélaire, le Machu Qhoari

79 On devine des débuts d’agriculture vers Tarata, Mamata et Paracaya (Schramm : 13).

80 Dans le rapport de 1584 par rapport à l’irrigation de ces terres, ces fameux indiens ont déclaré se souvenir que leurs pères travaillaient encore ces fermes en faveur de l’Inka, sous la modalité de la mit’a (témoin Andrés Condori del Paso, cité in Schramm 1990 : 12-13).

81 Viedma raconte quand même que Cliza et Punata souffraient toutes deux régulièrement des débordements du fleuve Punata en période de pluies.

82 Traduction personnelle. “Los pastos son muy buenos y de mucho engorde, principalmente en el medio del valle, y aun en todo él por los muchos bañados y salitrales. Mantiene un crecido número de ganado lanar, algún caballar y vacuno”.

83 Voir par exemple : http://www.lostiempos.com/diario/actualidad/local/20100821/punata-y-san-benito-en-

emergencia-por-sequia_86071_164497.html ou encore

http://www.lostiempos.com/diario/actualidad/local/20101117/arani-y-vacas-se-secan-y-las-lluvias-no- llegan_99465_193023.html

84 Derrière la montagne de Qhoari, se trouvent diverses lagunes, telles que Qomerqhocha (lagune verte) ou Yanaqhocha

(lagune noire). Dans cette dernière, les personnes affiliées à l’association des regantes et avec l’aide d’institutions de développement ont construit un barrage afin de canaliser et de contrôler les eaux en provenance de la montagne. De la sorte, les Qhoareños assurent leur propre accès à l’eau avant de l’envoyer vers le Valle Alto. Dans les hauteurs de Tiraque, il existe également de nombreuses lagunes qui ont permis la construction de barrages situés à 4000m d’altitude et qui alimentent l’irrigation aussi bien des terres de Tiraque que de Punata et d’Arani.

ils envoient de l’eau grâce à un canal d’irrigation. Le syndicat des regantes (groupe de personnes qui ont accès à l’eau d’irrigation) de Punata a d’ailleurs pour Siège la communauté de Qhoari.

Le conflit ne s’arrête pas là : bien que les Qhoareños envoient de l’eau « crue », à l’état sauvage, les Punateños considèrent qu’ils la leur retournent sous la forme d’un produit transformé, signe de l’intervention humaine : la chicha. Malgré cela, les habitants de Qhoari font étalage de leur supériorité sur les populations des vallées, comme ils l’expriment dans leurs mythes sur les montagnes. Ils savent que de leur eau dépendent les récoltes de maïs et autres produits du valle alto et malgré le mépris que leur témoignent les vallunos car ils habitent la

puna – ils sont perçus comme des Indiens, donc des êtres inférieurs85 -, eux sont absolument convaincus de leur force physique et de leur supériorité dans le travail et dans leurs valeurs. À cet égard, Gilles Rivière releva que chez les Aymara de Carangas, l’espace est structuré de façon quadripartite : la moitié haute est considéré à droite et masculine et de hiérarchie plus importante alors que la partie du bas est celle de gauche et féminine (1983 : 50). Ce qu’attestent les recherches de Thérèse Bouysse-Cassagne qui montrent, également chez les Aymara, qu’urco – montagne - est associé à la virilité et à la violence alors que uma – vallées chaudes ou tempérées86 - représente plutôt les valeurs féminines et est subordonné à urco87. Du reste, Bouysse-Cassagne mit en valeur que les récoltes peuvent être perdues de nombreuses années d’affilée (jusqu’à sept ans) et que, dès lors, c’est la possession de troupeaux de lamas et d’alpagas qui habitent les hautes terres qui assurent la richesse (cf. Bouysse-Cassagne 1978 : 1060).

85 Cependant, Ernesto Albarado nuance ce jugement en montrant que le contact permanent entre vallées et hautes terres a eu un effet atténuant dans les jugements discriminatoires ; de plus, la Loi de Participation Populaire qui a favorisé un déplacement des centres de pouvoir vers le rural a permis de revaloriser et de changer la façon de percevoir les paysans ; les élites disparaissent et les paysans gagnent de l’importance. De même, le canal d’irrigation permet à la communauté de jouer un rôle de poids. Un grand projet vient d’être mis sur pied pour envoyer de l’eau vers le Valle Alto.

86 En quechua, ura serait ce qui se trouve en bas, ce qui est irrigué, au pied de la montagne ou associé à une source. 87 Nous y reviendrons mais je voudrais faire remarquer ici qu’en termes autochtones, lors de la description des paysages, certaines montagnes sont phiña, elles sont méchantes, énervées et réclament des sacrifices.

On pourrait ainsi imaginer que les terres hautes comme celles de Qhoari où paissaient et transitaient les troupeaux impériaux étaient considérées comme des zones potentiellement riches.

C. Chemins inka, caravanes de lamas, maïs et coca