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Les manières d’habiter une ville lointaine : autonomie et temporalité dans l’expérience

Introduction

La définition des migrants japonais à Paris comme objet de recherche nous a conduit à formuler un questionnement sur les spatialités individuelles comme prise en charge des déclinaisons pratiques, affectives et culturelles de la distance avec le Japon. Le chapitre 2 vise à préciser ce questionnement en l’inscrivant au croisement de plusieurs cadres théoriques et conceptuels. Tout d’abord, il s’agit de passer d’une distance décrite en termes d’écarts spatiaux et sociaux entre lieux successifs de résidence à une distance comme expérience individuelle en situation de migration, conformément à un mouvement de la recherche sur les migrations internationales, rappelé en introduction, clairement marqué par une évolution de l’analyse des facteurs structurels des migrations vers l’analyse des stratégies et compétences déployées par les acteurs individuels.

Le travail de clarification concerne également l’idée d’une prise en charge de la distance par les spatialités individuelles. Nous avons souligné l’intérêt d’une acception large de celles-ci, en les définissant comme la dimension spatiale des actions d’un individu, incluant la localisation et les agencements spatiaux de ses activités, mais aussi les compétences et ressources impliquées par leur mise en œuvre, ainsi que les caractéristiques idéelles (valeurs, significations) attribuées aux lieux (Lussault, 2003 : 866-868).

Nous tâcherons dans ce chapitre de saisir cette prise en charge non pas uniquement comme une réponse à, mais aussi comme une action sur la distance par les spatialités individuelles. A cette fin nous proposons de mobiliser la notion d’habiter, telle qu’elle est utilisée dans des travaux sur les spatialités d’individus en mobilité.

Analyser des expériences migratoires individuelles en termes d’agencements spatiaux des pratiques et d’attribution de significations aux lieux va implicitement de pair avec une lecture dynamique des spatialités dans le temps même du séjour1, puisque les premiers peuvent être réorganisés, et les secondes, redéfinies. La tension entre une migration « fluide » et une migration comme confrontation à la distance peut être éclairée en considérant a priori que le temps du séjour est un temps « plein », qui peut voir se redéfinir la distance vécue comme les positions socioprofessionnelles, y compris dans des types de mobilités internationales où dominent les séjours temporaires. Nous souhaitons identifier les outils conceptuels permettant d’aborder la gestion de la distance par les spatialités comme un processus. Le chapitre vise donc à préciser la définition de notions telles que « projet » ou « temporalité », décisives dans notre perspective de recherche. Enfin, la lecture de spatialités individuelles inscrites dans une temporalité des séjours migratoires est susceptible de mettre en question les « jeux » entre l’individuel et le collectif en situation de

1 Nous utilisons généralement le terme de « séjour » pour désigner le temps et le motif de la présence à Paris de l’individu

considéré. Le terme, bien que connotant une pratique touristique ou du moins une présence brève dans un lieu, nous paraît pertinent car très englobant et assez neutre du point de vue des projets des individus.

44 Première partie migration, conformément au « point de vue de l’autonomie » (Ma Mung, 2009) qui sous-tend en partie la définition de notre problématique de recherche.

2.1.

Le centrage sur l’expérience d’une confrontation à la distance

Notion-clé de la géographie, « la distance se trouve au centre de toute analyse de l’espace » (Lévy, 2003 : 268). On peut ainsi considérer que « l’espace en tant que construit humain et la spatialité (c’est-à-dire l’ensemble des relations pratiques des individus et des groupes à l’espace) naissent donc de l’existence pour les sociétés du problème fondamental de la distance » (Lussault, 2004 : 111). Bien qu’il s’agisse d’une notion rudimentaire de la géographie, sa mobilisation n’est pas une régression dans la construction théorique de notre objet de recherche ; au contraire, le « détour » par la distance est une étape indispensable pour bâtir l’analyse sur des bases solides, et engager la réflexion à partir de la « prise de distance » comme expérience fondamentale des migrants internationaux. Selon cette lecture initiale, les migrants japonais résidant à Paris sont d’abord des individus situés « à distance » de leur pays de naissance1.

Plusieurs arguments font de la distance une notion pertinente pour la construction du sujet. Tout d’abord, en identifiant une caractéristique fondamentale et objective de la population étudiée, on peut intégrer à l’analyse d’autres caractéristiques qui, assurément, jouent un rôle décisif dans les pratiques de ces individus, mais sans les hiérarchiser a priori. Les pratiques des migrants japonais à Paris s’expliquent-elles d’abord par le fait qu’ils sont japonais ? L’écueil d’une telle option est celui du culturalisme. S’expliquent-elles par le fait qu’ils sont des élites migrantes ? Il serait alors attribué aux catégories socioprofessionnelles une valeur explicative centrale, alors que précisément nous avons montré la nécessité de questionner ces découpages. Une possible homogénéité élitaire peut au contraire être déduite en observant les capacités individuelles et les ressources mobilisables pour « faire avec » cette distance. J. Lévy considère ainsi la gestion de la distance comme la clé du rapport des sociétés à l’espace : « Pour les sociétés, le problème de l’espace peut être vu comme la gestion des contradictions engendrées par la distance, qui empêche l’interaction : entre les bornes de l’enclavement (distance infinie) et de l’ubiquité (distance vaincue), les situations intermédiaires peuvent être traitées selon trois modalités : la coprésence (distance annulée par la co-localisation), la

mobilité (déplacement matériel pour établir un lien entre deux réalités distantes), la télé-communication (transfert immatériel) » (Lévy, ibid.). Les migrants internationaux constituent un cas « exemplaire » où la confrontation à la distance et la gestion de celle-ci sont susceptibles de structurer les pratiques individuelles et les rapports aux lieux.

La notion de distance permet également d’articuler les dimensions individuelles et collectives de l’expérience migratoire. En effet la distance comprend d’abord un sens spatial, et renvoie à une quantité de surface terrestre entre les points que sont Paris et Tokyo2. Celle-ci se traduit par d’évidentes contraintes temporelles et financières à la circulation d’un lieu à l’autre. Cette distance spatiale se double également d’une distance d’ordre plus cognitive et symbolique qui décrit les

1 Rappelons que les données statistiques issues du RGP 1999 de l’INSE dont les traitements seront analysés dans la

deuxième partie ont été extraites en fonction du pays de naissance (et pas de la nationalité, par exemple), ce qui constitue un choix cohérent par rapport à la problématique.

2 Nous considérons ici Paris et Tokyo comme les deux pôles du champ migratoire des Japonais en France. Il s’agit pour

partie d’une commodité d’écriture, visant à ne pas mettre sur le même plan des espaces d’échelles différentes (Paris et le Japon), mais que nous nous autorisons à partir du constat que la quasi-totalité des Japonais résidant à Paris sont originaires d’une grande agglomération faisant partie de la mégalopole japonaise.

différences entre les deux contextes urbains du point de vue du citadin. Nous considérons en effet que la « quantité » d’espace entre deux lieux et les différences entre les caractéristiques de ces lieux peuvent être appréhendées dans une même problématique, suivant en cela J. Lévy lorsqu’il souligne que « les distances immatérielles, symboliques, imaginaires sont aussi concrètes que les distances matérielles » et que dans les deux cas « il s’agit bien d’un fait de distance « spatiale » » (Lévy, 2003 : 269). Ces distances sont partagées par l’ensemble des migrants japonais à Paris, et l’on peut faire l’hypothèse que cette confrontation partagée à la distance induit des stratégies et des dispositifs institutionnels communs pour y faire face. Mais la distance revêt également une signification d’ordre subjectif, qui renvoie à la manière dont chaque individu « vit » la distance. Autrement dit, la distance vécue est éminemment dépendante de l’expérience migratoire individuelle, des traditions familiales, des réseaux sociaux et professionnels, etc. Enfin la « gestion de la distance », pour reprendre l’expression de J. Lévy, implique des compétences individuelles à l’adaptation, ou encore à la mobilité.

La polysémie du terme de distance permet en outre d’articuler la migration comme déplacement géographique de grande ampleur (la « prise de distance », le fait de résider « loin », etc.) et la migration comme séjour dans un lieu dont on se sent « distant » (selon des modalités et des temporalités qui restent à explorer). Par conséquent, cette notion permet bien d’articuler une entrée par une population de migrants avec l’analyse d’un contexte spatial spécifique. Dans le cas d’élites migrantes, cette double lecture est d’autant plus nécessaire que ce type de migrants, on l’a vu, nourrit un discours sur une forme d’annulation des distances pratiquées et vécues chez des individus appartenant à certaines catégories. Du point de vue des individus ce discours fait référence à l’idéal cosmopolite d’une familiarité avec l’international (Wagner, 1998 ; 2007), très structurant dans le cas des élites migrantes. Pour ce qui concerne les lieux, ce discours se fonde sur l’émergence de lieux mondialisés dans leurs formes comme dans leurs fonctions (les hôtels appartenant à des chaînes internationales, les aéroports, etc.). Certains travaux abordent ainsi la question du lien entre la montée en puissance d’« un ethos globalisé et transnational [et] la formation d’un espace spécifique, autonome des attributs nationaux, […] totalement décontextualisé » (Goldblum et Charmes, 2004 : 24). Aussi l’investigation scientifique sur des élites migrantes dans une métropole internationale, articulant l’expérience subjective de la distance avec des composantes plus objectives d’une distance contextuelle, peut-elle permettre d’interroger de manière critique la réalité de ce phénomène.

Enfin, le fait que la notion de distance soit héritée de la géométrie lui confère une certaine neutralité qui la rend particulièrement opératoire dans un champ scientifique des migrations internationales où les notions voisines sont souvent chargées de significations axiologiques ou idéologiques. Trois propriétés sémantiques de la notion de distance peuvent être soulignées pour leur intérêt dans notre recherche. D’abord, la distance désigne une certaine quantité d’espace (ou, d’un point, de vue symbolique, un certain écart entre des normes) sans préjuger de la nature du mouvement qui la parcourt. Autrement dit, celui-ci peut être pensé comme réversible, ou comme circulaire, et non forcément comme impliquant un renoncement d’un point pour l’autre. Cette notion permet donc d’intégrer certains acquis des travaux sur les migrations internationales qui soulignent le fait que l’éloignement géographique entre lieux de référence n’implique pas mécaniquement de rupture (Zelinsky, 1971 ; Simon, 1989 ; Brun, 1993), dépassant ainsi des approches1 de la migration

1 Les travaux sur les migrations en Afrique notamment (Amselle et alii, 1978) ont été précurseurs d’une approche non

segmentée de la mobilité, en prenant en compte des phénomènes de circulations multiples entre lieux reliés par la migration. En France, le tournant théorique qu’ont pris les travaux sur les migrations internationales dans les années

46 Première partie internationale tendant à décrire des situations d’ « absence » (Sayad, 1991), ou à figer ces mobilités dans un schéma de départ (l’émigration) et d’arrivée (l’immigration, l’intégration). De plus, la notion de distance permet de ne désigner que l’écart spatial ou symbolique entre deux contextes de la vie de l’individu, sans préjuger du contenu axiologique ou existentiel que celui-ci lui attribue. Si l’on postule que l’expérience d’une distance n’est jamais neutre ni sans incidence sur les pratiques mises en œuvre, en revanche celle-ci peut revêtir d’autres valeurs que celle d’une contrainte. Il s’agit là d’un point de désaccord avec la présentation par J. Lévy de la notion de distance, qui apparaît toujours comme un obstacle à surmonter (ibid.). Nous proposons de l’aborder de manière moins restrictive, comme l’expression d’une certaine configuration spatiale avec laquelle l’individu doit « faire », sans préjuger de la valeur qui lui est associée : une distance peut être vécue comme protectrice, libératoire, valorisante dans la présentation d’une histoire personnelle, ou encore mise à profit pour découvrir et expérimenter des modes de vie inédits1. Enfin la distance ne désigne pas une entité intangible ou figée. L’étendue spatiale peut être parcourue ou surmontée, et l’écart symbolique entre normes peut être comblé. Ce dernier point engage une réflexion incontournable sur la familiarisation et l’apprentissage, autrement dit sur les processus qui redéfinissent la distance vécue par l’individu. En ce sens la distance n’est pas seulement la cause des pratiques, mais aussi leur objet, dans la mesure où les individus peuvent la « gérer » ou « se jouer » d’elle.

Plusieurs axes de réflexion guident l’ensemble de ce travail : l’expérience individuelle de la distance, c’est-à-dire la confrontation d’un individu ayant à la fois une histoire et un projet, et d’un contexte urbain dans ses dimensions spatiales, sociales et symboliques ; les pratiques individuelles qui répondent à cette distance, en s’y adaptant ou en agissant sur elle ; le jeu des appartenances collectives et des stratégies individuelles sous-tendant le choix et la mise en œuvre de ces pratiques.

2.2.

Une entrée par l’habiter

Nous situons ici notre observation à un niveau individuel, tout en ménageant des articulations avec les appartenances collectives, et visons à dépasser la simple description de la distance (dans ses dimensions spatiales et sociales) pour saisir la manière dont elle est vécue, mais aussi à aller au-delà d’une observation d’ordre psychologique2 pour analyser des rapports aux lieux et des pratiques qui en découlent.

1990 s’explique en partie par l’analyse de connaissances empiriques de plus en plus étoffées, mais en partie aussi par les changements qui ont affecté les migrations internationales elles-mêmes, marquées par la diminution des migrations « définitives » de travail (très structurantes dans les années 1960 par exemple) au profit de formes plus temporaires de migrations, soit saisonnières soit ponctuelles et de courtes durées. A cela s’ajoute certaines évolutions majeures telles que la diminution du prix du transport aérien ou la généralisation des technologies de communication à distance, par Internet notamment. Il convient de souligner que les migrants japonais dans les pays du Nord sont particulièrement représentatifs de ces évolutions, avec une majorité de séjour brefs (de deux à cinq ans) et un usage largement répandu des technologies de communication à distance (Suketomo, 2004 ; Ito et Okabe, 2004).

1 Le cas des migrants japonais, en tant qu’élites migrantes, implique tout particulièrement que l’on n’associe pas a priori la

distance avec la contrainte. On sait en effet que dans les migrations entre pays du Nord, les motifs « existentiels » de la migration (Goldblum et Charmes, 2004), tels que l’expérience du dépaysement et la confrontation avec le lointain, s’observent en proportion significative. Pour les individus revendiquant ce type de projet migratoire, la distance peut apparaître comme l’un des objectifs justifiant le départ et le lieu d’installation, et non comme le simple corrélat d’une décision fondée sur d’autres critères.

2 Ce projet ne sous-entend évidemment aucune hiérarchisation entre disciplines scientifiques, mais prend simplement

acte du fait que les travaux des psychologues sur la confrontation avec la distance (c’est-à-dire l’inédit, l’inconnu, etc.) mobilisent des compétences particulières et répondent à des questionnements spécifiques (les processus cognitifs de familiarisation par exemple). Néanmoins certaines sous-branches de la discipline, qui abordent plus particulièrement des

2.2.1. De l’habitat au rapport individuel aux lieux : la notion d’habiter

La notion d’habiter est ancienne en géographie. Elle désigne dans le sens commun le fait d’occuper une habitation, de l’aménager et d’y déployer des activités. En France, elle fait l’objet d’un regain d’intérêt de la part de géographes, mais aussi d’anthropologues et d’architectes, qui y voient un outil conceptuel approprié pour adosser à la description d’un registre particulier de pratiques (le choix et les usages de leurs logements par les individus) une réflexion plus large sur les relations concrètes et pratiques, mais aussi idéelles et symboliques, des individus à l’espace qui les environne (Paquot et alii, 2007). L’évolution récente de la notion procède d’un double déplacement du regard. Premièrement, le terme (qui, notons-le, est un verbe substantivé) renvoie aux représentations, aux décisions et aux actions d’individus sur et en réponse à leur environnement. Il faut d’ailleurs rappeler que « l’attrait renouvelé pour la notion [d’habiter] coïncide avec un contexte disciplinaire et épistémologique qui replace l’individu au cœur des préoccupations » (Giroud, 20071 : 58). Deuxièmement, l’habiter s’émancipe du strict champ de la résidence pour désigner beaucoup plus largement les rapports des habitants à l’espace2. Or, nous avons montré qu’une partie des lacunes dans la connaissance des élites migrantes est liée à la focalisation de la majorité des travaux sur des analyses globales, fondées sur le traitement de données agrégées et articulant les configurations spatiales des flux et de l’insertion urbaine des migrants avec des données caractérisant du point de vue fonctionnel et économique les espaces concernés. Dans la perspective de notre recherche, nous faisons nôtre la manière dont P. Bonnin justifie la notion d’ « habiter » comme complément nécessaire à des « approches « massives » [...] souvent aveugles sur l’échelle modeste, sur le mode mineur de la réalité dans lequel citoyens, habitants et usagers appréhendent quotidiennement l’espace qui est le leur » (Bonnin, 2002 : 7). En outre, le questionnement sur les stratégies individuelles pour « faire avec » la distance suppose de dépasser les facteurs structurels (tels que les catégories socioprofessionnelles) pour expliquer des comportements, en les articulant à des expériences et à des aspirations, autrement dit à des facteurs plus existentiels des rapports entre les individus et le contexte spatial de leurs activités. Or les travaux actuels sur l’habiter s’efforcent précisément de « placer l’espace et ses acteurs à égal niveau ontologique, sur le même plan de légitimité épistémologique » (Lévy et Lussault, 2003 : 442), notamment en intégrant des réflexions philosophiques (Heidegger, [1954] 19583) et anthropologiques (Radkowski, [1963-68] 2002). L’enrichissement de la notion par les travaux de géographes humanistes en France (Dardel, [1952] 1990) et aux Etats-Unis (Tuan, 1977) a conduit à ce qu’elle désigne aujourd’hui « le rapport aux lieux en tant que ceux-ci constituent le référent concret et symbolique des pratiques humaines [qui] se fonde sur la signification des lieux en fonction de l’intentionnalité qui anime les pratiques effectuées » (Stock, 2004 : 4).

Ainsi, si l’habiter désigne un rapport individuel aux lieux, celui-ci s’exprime et se construit par un ensemble de pratiques, et la notion vise à saisir les interactions entre une certaine manière qu’a une

questions spatiales (la psychologie environnementale notamment), pourront éclairer fort utilement notre réflexion géographique.

1 Pour une synthèse de l’évolution de la notion d’habiter et une présentation des principaux enjeux scientifiques

contemporains qu’elle soulève, voir Giroud (2007), notamment la section « Retour de l’habitant, détour par l’habiter », pp. 58-68, et Stock (2004).

2 L’utilisation du terme d’habiter au-delà du champ résidentiel est notamment liée à la lecture géographique des travaux

de M. Heidegger, qui « établit une séparation radicale entre l’habiter (mise en rapport « poétique » avec le Monde) et le fait de se loger (simple acte fonctionnel) » (Lévy et Lussault, 2003 : 441).

3 M. Heidegger, et notamment ses textes « Dichterisch wohnt der Mensch » (« l’Homme habite en poète ») et « bauen, wohnen,

denken » (« bâtir, habiter, penser »), constituent la référence incontournable des approches phénoménologiques de l’habiter. Sur les enjeux phénoménologiques de la notion d’habiter, voir Hoyaux (2002).

48 Première partie conscience individuelle d’ « être là » (pour reprendre les termes de la phénoménologie heideggérienne) et les actions1 concrètes que met en œuvre cet individu pour s’approprier, organiser ou transformer l’espace qui l’environne. Autrement dit, « l’habiter est donc le rapport à l’espace exprimé par les pratiques des individus » (Stock, 2004 : 4).

Dès lors que l’habiter individuel se saisit par les pratiques, l’espace dans lesquelles celles-ci s’opèrent n’est pas réductible à un simple contexte (c’est-à-dire un ensemble de ressources et de contraintes) mais peut être pensé comme un environnement avec lequel les pratiques individuelles sont en interaction. Par conséquent, l’habiter permet de saisir les effets des pratiques individuelles sur les lieux, dès lors que l’on considère que « l’habitant d’une ville en est toujours d’une façon ou d’une autre aussi l’acteur, même si au coin d’une terrasse, sirotant un verre, il affectionne d’en être le spectateur » (Kleinschmager, 2006 : 137). Si l’on admet généralement que les acteurs de la ville ne sont pas réductibles aux décideurs politiques ou aux professionnels de l’aménagement, la question reste ouverte et débattue des « façons » dont « les « gens » ordinaires des sociétés urbaines d’aujourd’hui » peuvent être « pensés parmi les « acteurs » de la ville » (Pinson, 2000 : 233). Un premier levier de participation à la construction de la ville consiste en la mobilisation collective d’habitants conquérant une légitimité et une audience suffisante pour être partie prenante du débat

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