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1. LA MÉMOIRE AUTOBIOGRAPHIQUE DES ADOLESCENTES AYANT VÉCU UNE

1.2. La manière de se remémorer et de raconter le récit de vie 107

Pour le second objectif, la méthodologie qualitative permettait difficilement une comparaison avec les études recensées qui utilisaient en majorité des mesures quantitatives ou encore, étudiaient peu les caractéristiques sélectionnées. Toutefois, pour certains aspects, les résultats semblaient concordants avec la documentation scientifique.

Pour ce qui est de l’aspect de la spécificité de la mémoire autobiographique, dans l’échantillon actuel, seulement la moitié des adolescentes présentaient un souvenir spécifique. De Decker et al. (2003), ont démontré des liens entre la sévérité

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des traumas et la diminution de la spécificité de la mémoire, ce qui peut expliquer le manque de spécificité des souvenirs dans notre échantillon ayant vécu une AS sévère. Selon Stokes et al. (2004), le manque de spécificité dans les souvenirs est associé au fait d’avoir vécu un trauma à l’enfance et non à l’âge adulte. Les résultats actuels s’inscrivent donc dans le même sens. Toutefois, les résultats de la présente étude vont à l’encontre de ceux obtenus par Bunnell et Greenhoot, (2012a); Hauer et al. (2008); Peace et al., (2008); Stokes et al., (2008) et Welton-Mitchell et al., (2013) qui eux, démontraient une association positive entre une AS et la spécificité des souvenirs ou encore davantage de détails dans le discours. Il est possible que l’âge au moment de l’étude ait pu influencer les résultats que ce soit sur le rétablissement des participantes. En effet, tous les participants des cinq études précédemment mentionnées étant d’âge adulte et pourraient avoir entamé une remémoration davantage précise. De plus, des cinq études mentionnées, seulement trois incluent une AS à l’enfance spécifiquement. Hauer et ses collègues (2008) utilisent comme variable indépendante une AS à l’enfance alors que Bunnell et Greenhoot (2012a) incluent n’importe quel trauma à l’enfance ou actuel et que Stokes et ses collègues (2008) rassemblent tout type de trauma à l’enfance. Il est donc fort probable que de par le caractère singulier d’une AS sévère à l’enfance, les huit adolescentes diffèrent sur le plan des résultats quant au manque de spécificité dans leur récit.

Lorsque l’on observe l’utilisation de repères spatio-temporels, toutes les adolescentes sont en mesure d’utiliser des repères d’espace et de temps. Dans l’étude de Welton-Mitchell et al. (2013), toutes les participantes ou presque (99%) étaient en mesure d’inclure des détails contextuels dans leur récit ce qui confirme que cet aspect semble assez répandu. Il est toutefois intéressant de remarquer l’écart quant à la quantité de l’utilisation de ces repères. L’étendue du nombre de repères spatiaux est de 72 puis l’étendue du nombre de repères temporels est de 109. Pour l’adolescente (316) présentant seulement quatre repères temporels, il peut être intéressant de nuancer qu’elle est celle ayant l’entrevue la plus courte du lot (27 minutes). Cette dernière présente toutefois presque autant de repères spatiaux dans son entrevue (24

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repères) que trois autres adolescentes, ce qui nous indique qu’on ne peut pas juger uniquement sur la durée de l’entrevue pour expliquer ce résultat. En effet l’adolescente 301 utilise 23 repères dans son entrevue de 45,4 minutes, l’adolescente 311 utilise 24 repères dans son entrevue de 42 minutes, puis l’adolescente 310 utilise 26 repères dans son entrevue de 54,2 minutes.

Pour la dimension des trous de mémoire, cinq adolescentes présentent des trous de mémoire dans leur récit de vie et ceux-ci sont généralement reliés à l’AS ou encore à une situation familiale. Les adolescentes rapportant des trous de mémoire sont aussi victime d’AS intrafamiliale ce qui concorde avec les résultats d’Edwards et ses collègues (2001) qui concluaient à davantage d’épisodes d’amnésie rapportés en fonction de la sévérité de l’AS, de sa fréquence ainsi que du lien avec l’auteur (inceste). Ce constat illustre aussi que leur autorité de remémoration au moment de l’entrevue présentait des problèmes selon le modèle du trauma complexe développé par Herman (1992). Toutefois, il est possible que davantage d’adolescentes présentent des trous de mémoire, mais qu’ils n’aient tout simplement pas été investigués. En effet, une question de la part de l’intervieweuse permettait la plupart du temps de pouvoir identifier et coder un trou de mémoire. Or, si l’intervieweuse n’a pas posé de question précise sur certains détails ou événements, il est possible que des trous de mémoire n’aient pas pu être identifiés.

Lorsqu’on observe la dimension des souvenirs intrusifs de type « flashback », la moitié de l’échantillon, soit quatre adolescentes, évoque dans leur entrevue ce type d’intrusion. Dans l’étude de Peace et al. (2008), une association était faite entre davantage d’intrusion et d’évitement lorsque les participantes étaient des victimes d’AS plutôt que d’un trauma non sexuel, ce qui peut expliquer en partie les résultats obtenus.

En ce qui a trait à l’organisation du récit de vie, les adolescentes utilisent dans leurs discours la structure de chapitre telle que définie par Thomsen (2009).

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Bien que certains souvenirs se rapportent au passé (chapitres) ou au présent (vécu actuel), les adolescentes utilisent en moyenne sept souvenirs (de plus de 24h) pour raconter leur vie. Cette dimension était peu étudiée dans les études recensées ce qui permet difficilement de discuter les cas étudiés en regard des connaissances scientifiques.

La majorité de l’échantillon offre un discours chronologique ce qui est en concordance avec les informations rapportées par Barsalou (1988). Les résultats sont toutefois à l’opposé de Peace et al. (2008) qui démontraient qu’une AS subie à l’enfance était associée à des récits de vie moins cohérents. Toutefois, l’écart entre les résultats peut en partie être expliqué par l’échantillon adulte utilisé par Peace et al. (2008), pour lequel un rappel d’une AS à l’enfance implique une remémoration sur une plus grande période de temps. Ce rappel différé peut conduire à davantage d’incohérence chronologique (Foster et Hagedorn, 2014).

Finalement, pour ce qui est de raconter une histoire complète de sa vie, cette dimension fait aussi partie de celles peu observées dans les études recensées. Bien que certaines adolescentes aient une couverture de leur vie bien répartie par leurs souvenirs (n=3), la majorité (n=5) ont passé sous silence plusieurs années de leur vie. Parfois la petite enfance n’est pas couverte (n=2) ce qui semblait plus probable, car, tel que mentionné par Loftus (1993) les premiers souvenirs apparaissent vers 3-4 ans. Il est néanmoins pertinent de se questionner sur les raisons pour lesquelles les adolescentes ont préféré aborder des souvenirs situés dans différentes périodes, et à savoir si elles ont des souvenirs dans toutes les périodes ou si le choix des souvenirs est simplement le fruit d’une plus grande pertinence selon leur jugement.

1.3 Comparer les adolescentes entre elles en tenant compte de la présence ou non