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IV. Métamémoire, mémoire et maladie d'Alzheimer

1. La maladie d'Alzheimer

a) Epidémiologie

La maladie d'Alzheimer est la pathologie neurodégénérative la plus fréquente. En effet, elle touche 2 à 4% de la population générale de plus de 65 ans et 15% de la population à partir de 80 ans. En France, 900 000 personnes en sont atteintes à l'heure actuelle. La maladie devrait toucher près d'1,3 millions de français en 20204.

b) Historique de la maladie

En 1906, Alois Alzheimer, neurologue, psychiatre et neuropathologiste, suit depuis 4 ans Auguste Deter, une femme de 51 ans qui présente des troubles cognitifs. Ces difficultés cognitives se manifestaient par des troubles de mémoire, du langage et d'autres troubles psychologiques comme la désorientation temporo-spatiale. A l'époque, un diagnostic de démence présénile avait été posé, du fait des symptômes et du jeune âge de la patiente (les démences étant diagnostiquées à un âge plus tardif). Lors du décès d'Auguste Deter, Alois Alzheimer pratiqua une autopsie post-mortem de son cerveau qui permit d'identifier une atrophie et des lésions corticales. Alois Alzheimer compris que cette patiente présentait une 'maladie particulière du cortex cérébral'. C'est en 1910 qu'Emil Kraepelin, professeur de psychiatrie, donna le nom de maladie d'Alzheimer à cette pathologie. Après le décès d'Alois Alzheimer en 1915, de nombreuses recherches ont émergées afin de tenter de mieux comprendre et de mieux diagnostiquer cette célèbre pathologie.

c) Les critères diagnostiques de la maladie

La maladie d'Alzheimer est une pathologie neurodégénérative touchant généralement les personnes à partir de 65 ans. Les premiers critères diagnostiques de la maladie d'Alzheimer ont été établis par le 'National Institute of Neurological and Communicative Disease and Stroke/Alzheimer's Disease and Related Disorders Association' (NINCDS/ADRDA, McKhann et al., 1984 : critères détaillés en annexe). Ils sont aujourd'hui encore très utilisés dans la littérature. Les critères du NINCDS/ADRDA (McKhann et al., 1984) permettent surtout d'établir un diagnostic 'probable' de maladie d'Alzheimer. En effet, la maladie peut être diagnostiquée avec certitude seulement sur la base d'une preuve histologique, ce qui a l'époque, était le plus souvent possible en post-mortem (Dubois, 2012). Ainsi, le diagnostic reposait uniquement sur des arguments cliniques, ce qui avait pour conséquence un diagnostic tardif, c'est-à-dire lorsque le patient présentait déjà des symptômes et donc, était déjà à un stade évolué de la maladie (stade de démence). Le diagnostic de maladie d'Alzheimer 'probable' était fait grâce à deux critères principaux du NINCDS-ADRDA : (1) 'la caractérisation du syndrome démentiel par la mise en évidence d'un déficit d'au moins deux secteurs cognitifs avec un impact significatif sur les activités de la vie quotidienne', et (2) 'l'exclusion de toute autre étiologie de syndrome démentiel par les examens complémentaires' (Dubois, 2012). Ainsi, le diagnostic de la maladie était établi par élimination (Dubois, 2012). Les critères du NINCDS/ADRDA ont été par la suite critiqués dans des études qui ont montré que seuls 70% des patients diagnostiqués avec cette maladie de leur vivant présentaient les critères histologiques spécifiques de la maladie d'Alzheimer lors de l'autopsie post-mortem. Avec ces critères, la maladie pouvait être confondue avec d'autres pathologies neurodégénératives (Varma et al., 1999). Etant donné que la maladie était diagnostiquée seulement à un stade démentiel, Petersen et al. (1999) ont ouvert le champ de recherche sur le concept du 'Mild Cognitive Impairment' ('MCI' en anglais, traduit par 'Troubles Cognitifs Légers' en français), pour désigner les personnes présentant des troubles cognitifs modérés qui n'ont pas encore de retentissement sur le fonctionnement de la vie quotidienne.

Grâce aux différentes recherches et à la découverte des biomarqueurs caractéristiques de la maladie, ces premiers critères ont aujourd'hui évolué. De nos jours, de nouveaux critères diagnostiques ont été développés lors de 'l'International Working Group' (IWG) for New Research Criteria for the Diagnosis of Alzheimer's Disease (Dubois et al., 2007, 2014). Ces critères, appelés 'critères de Dubois', ont été définis principalement à des fins de recherche et pour pouvoir diagnostiquer la maladie de manière plus précoce (stade prodromal), c'est-à-dire au moment où les symptômes n'impactent pas encore l'autonomie du patient dans la vie quotidienne (Dubois et al., 2007). Ce diagnostic plus précoce est possible car ces critères incluent à présent la prise en compte et la détection de biomarqueurs typiques de la maladie, détectables désormais du vivant de la personne. Grâce à l'évolution de la neuroimagerie et des analyses en laboratoire, il est donc désormais possible aujourd'hui de détecter ces biomarqueurs du vivant du patient, dès le stade prodromal de la maladie (pour plus de détails, voir l'article de Dubois, 2012). Il existe deux sortes de biomarqueurs à différencier dans la maladie : les marqueurs diagnostiques et les marqueurs de progression (Dubois et al., 2010). Les marqueurs diagnostiques sont en réalité des marqueurs pathophysiologiques, permettant de déterminer le processus pathologique (Dubois, 2012). Le premier marqueur pathophysiologique est 'un marquage direct, in vivo des lésions amyloïdes' (Clark et al., 2012 ; Dubois, 2012). Ici, c'est donc l'amyloïdose qui est responsable d'une 'fixation anormale du ligand amyloïde en PET dans le cerveau' (Dubois, 2012). Le deuxième marqueur pathophysiologique concerne les modifications du liquide céphalo- rachidien, montrant une 'diminution des concentrations du peptide β amyloïde et une augmentation de celles des protéines Tau, totales ou phosphorylées' (Blennow, Hampel, Weiner, & Zetterberg, 2010 ; Dubois, 2012). C'est ce qu'on appelle la tauopathie (Dubois, 2012).

La deuxième catégorie concerne les marqueurs de progression, correspondant à des marqueurs topographiques. Ces biomarqueurs permettent de voir les conséquences de la pathologie d'Alzheimer. Les premiers sont des 'marqueurs d'imagerie fonctionnelle montrant des modifications dans les régions temporo-pariétales et cingulaire postérieure, qu'il s'agisse d'une

hypoperfusion en tomographie d'émission monophotonique (SPECT) ou d'un hypométabolisme de ces mêmes aires dans des études en tomographie par émission de positons au fluorodéoxyglucose (PET-FDG)' (Dubois, 2012 ; Patwardhan, McCrory, Matchar, Samsa, Rutschmann, 2004). Autrement dit, il s'agit d'une 'réduction du métabolisme glucidique dans les régions pariéto-temporales en PET-FDG' (Dubois, 2012). Le deuxième marqueur topographique est celui retrouvé 'en IRM volumique montrant que le volume de l'hippocampe est significativement diminué chez des patients atteints de maladie d'Alzheimer au stade léger avec un score moyen au Mini Mental State Evaluation (MMSE - Folstein, Folstein, & McHugh, 1975) de 24' (Dubois, 2012 ; Lehericy et al., 1994). En d'autres termes, il s'agit d'une atrophie médiane incluant notamment l'hippocampe.

Ces biomarqueurs, véritables signatures biologiques de la maladie, peuvent donc être mis en évidence grâce à une ponction lombaire du liquide-céphalo-rachidien (Perret-Liaudet et al., 2012) ou par un PET-Scan, imagerie fonctionnelle qui mesure le dysfonctionnement métabolique du cerveau (appelé aussi 'TEP'). L'analyse du liquide-céphalo-rachidien permet de quantifier les protéines amyloïdes et Tau, tandis que le Pet-Scan permet de voir les plaques amyloïdes présentes dans le cerveau. Des études montrent d'ailleurs que les changements liés à l'accumulation des protéines Tau dans le liquide céphalo-rachidien surviennent environ 15 ans avant le début de la maladie (Bateman et al., 2012 ; Fagan et al., 2014), ce qui souligne l'importance de la découverte de ces biomarqueurs. De plus aujourd'hui, il est également possible de mettre en évidence et de tracer efficacement les protéines Tau grâce aux PET-Tau (James, Doraiswamy, & Borges-Neto, 2015 : Figure 12 ; Saint-Aubert et al., 2017). L'avancée de la neuroimagerie et la découverte de ces biomarqueurs permettent donc de diagnostiquer la maladie du vivant de la personne et plus précocement.

Figure 12. PET-Tau issu de l'étude de James et al. 2015. Les imageries 'A' montrent le PET-Tau d'une personnes âgée ne présentant aucune pathologie (MMSE à 30). Les imageries 'B' montrent le PET-Tau d'une personne présentant une maladie d'Alzheimer à un stade léger (MMSE à 22).

En plus de la présence de ces biomarqueurs, les patients doivent également présenter des symptômes cliniques afin de pouvoir véritablement parler de maladie d'Alzheimer. Ainsi, les 'critères de Dubois' (et al., 2007) requièrent que les patients présentent : (1) 'un changement graduel et progressif de la fonction mnésique signalé par les patients et /ou proches ou les amis sur une période de six mois', (2) des 'signes objectifs d'une atteinte significative de la mémoire épisodique lors de tests, comme le test de rappel, dont les résultats ne s'améliorent pas significativement avec le rappel indicé ou lors de tests de reconnaissance', et (3) une atteinte de la mémoire épisodique, isolée ou associée à d'autres anomalies cognitives'. Enfin, en plus de ces trois critères cliniques, des critères d'appoint ont été établis et sont rendus possibles grâce à des épreuves en laboratoire (ponction lombaire, Pet-Scan). Ces critères concernent les biomarqueurs typiques de la maladie. Ainsi, afin d'établir un diagnostic de maladie d'Alzheimer, il est nécessaire que les patients présentent au moins l'une des anomalies suivantes : (1) une 'atrophie médio-temporale à l'IRM', (2) des 'taux faibles de CSF Aβ42', (3) des 'taux élevés de protéine tau ou phospho-tau', (4) une 'imagerie fonctionnelle révélant un ralentissement du métabolisme du glucose dans les régions temporopariétales bilatérales (TEP au 18F-FDG) ou captage accru de la

protéine amyloïde à l'aide de ligands amyloïdes, comme le composé B (TEP-PIB)', ou enfin (5) une 'mutation autosomique dominante de la maladie d'Alzheimer (préséniline ou précurseur de la protéine amyloïde [PPA]) confirmée dans la famille immédiate' (sommaire des critères de Dubois et al., 2007).

Suite à l'établissement de ces critères par l'IWG (Dubois et al., 2007, 2014), différents stades de la maladie ont été définis. Ainsi, des stades précliniques (aucune atteinte cognitive) et cliniques (atteinte cognitive) sont explicités. Dans le stade préclinique, on trouve :

- (1) des personnes 'asymptomatiques à risque de développer une maladie d'Alzheimer'. Ces personnes correspondent à 'des individus cognitivement normaux avec une positivité des marqueurs physiopathologiques témoins de la présence d'une pathologie d'Alzheimer sous-jacente' (Dubois, 2012). En d'autres termes, il s'agit de personnes présentant un des marqueurs pathophysiologiques de la maladie.

- (2) des 'personnes présentant une maladie d'Alzheimer présymptomatique'. Ce sont donc des individus 'cognitivement normaux chez lesquelles la preuve d'une mutation autosomale dominante a été établie' (Dubois, 2012). Cela concerne donc les personnes présentant une 'mutation autosomique dominante ou tout autre gêne causal' (Molin & Rockwood, 2016).

Ensuite, il existe deux sortes de stades cliniques (selon les critères de l'IWG : Dubois et al., 2007) : la maladie d'Alzheimer typique ou atypique.

- (1) Dans la forme typique, les patients présentent un 'phénotype clinique classique de la maladie, caractérisé par un déficit de mémoire épisodique de type hippocampique, précoce et progressif' (Dubois, 2012).

- (2) Dans la forme atypique, on retrouve des 'phénotypes cliniques moins fréquents mais tout aussi spécifiques qui s'accompagnent souvent d'une pathologie de type Alzheimer

lors des examens post-mortem : aphasie logopénique, atrophie corticale postérieure, variant frontal de la maladie. Le diagnostic de maladie d'Alzheimer impose, dans ces cas, la mise en évidence in vivo des marqueurs physiopathologiques' (Dubois, 2012).

Les nouveaux critères de Dubois et al. (2007, 2014) permettent donc de poser un diagnostic plus précoce et plus spécifique de la maladie (Dubois, 2012). Cependant, à l'heure actuelle, ces critères sont utilisés uniquement à des fins de recherche et requièrent encore d'être validés par différentes études en cours afin d'être utilisés également à des fins cliniques (Gauhier & Leuzy, 2010). En attendant cette validation, d'autres critères diagnostiques sont utilisés par les cliniciens afin de pouvoir établir un diagnostic. Les critères de diagnostics cliniques les plus utilisés aujourd'hui sont ceux de la dernière version du 'Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders-5' (American Psychiatric Association, 2013), dans lequel la maladie d'Alzheimer est désormais classée dans les 'Troubles NeuroCognitifs' (TNC). Ainsi, les TNC peuvent être séparés en deux catégories : les TNC majeurs (anciennement appelé 'démence' dans le DSM-IV, 2000) et les TNC légers (présentation des principaux critères avec les principales différences entre TNC léger ou majeur. Différences soulignées dans la présentation - pour plus de détails, se référer au DSM-V, 2013). Parmi les TNC (majeurs ou légers), on retrouve par exemple les TNC dus à une maladie vasculaire, à une maladie de Parkinson, ou bien entendu à la maladie d'Alzheimer.

Un TNC est caractérisé de léger lorsque la personne présente les 'preuves d'un déclin cognitif modeste par rapport à un niveau antérieur de fonctionnement dans un ou plusieurs domaines cognitifs' (e.g., fonctions exécutives, cognition sociale, mémoire). Ce déclin doit reposer sur : (1) 'une préoccupation du sujet, d'un informant fiable ou du clinicien concernant un léger déclin du fonctionnement cognitif' et (2) 'une altération modeste des performances cognitives, idéalement documentée par un bilan neuropsychologique standardisé ou, à défaut, par une évaluation clinique quantifiée'. Les personnes présentant un TNC léger montrent donc des

difficultés plus importantes que lors d'un vieillissement normal, sans pour autant que cela n'affecte leur autonomie. Avoir un TNC léger ne signifie pas que la personne évoluera forcément vers un TNC majeur par la suite. Ainsi, les deux évolutions possibles du TNC léger sont : (1) soit l'aggravation vers un TNC majeur, (2) soit une amélioration des performances qui aura pour conséquence un retour vers un vieillissement normal.

La définition du TNC majeur du DSM-5 est similaire à celle des TNC mineurs, à l'exception que la personne doit présenter les 'preuves d'un déclin cognitif significatif par rapport à un niveau antérieur de fonctionnement dans un ou plusieurs domaines cognitifs', et que ce déclin doit reposer sur : (1) 'une préoccupation du sujet, d'un informant fiable ou du clinicien concernant un déclin significatif du fonctionnement cognitif' et (2) 'une altération importante des performances cognitives, idéalement documentée par un bilan neuropsychologique standardisé ou, à défaut, par une évaluation clinique quantifiée'.

Comme décrit précédemment, un TNC léger ou majeur peut être dû à différentes pathologies (e.g., Parkinson, démence à corps de Lewy, Alzheimer). Dans ce travail de recherche, ce sont les individus présentant un TNC léger ou majeur dû à la maladie d'Alzheimer qui seront inclus dans les études. Les critères principaux du DSM-5 sur les TNC dus à une maladie d'Alzheimer sont les suivants (cf., DSM-5 pour plus de détails) : (1) 'les critères d'un TNC majeur ou léger sont remplis', (2) 'début insidieux' et 'progression graduelle' 'dans un ou plusieurs domaines cognitifs', et 'les critères de maladie d'Alzheimer soit probable, soit possible sont remplis' (détails de ces critères en annexe). De plus, les patients présentant un TNC léger seront classés en fonction du trouble cognitif prédominant, à savoir 'amnésique' (trouble de la mémoire), 'exécutif' (trouble des fonctions exécutives) ou encore 'visuo-spatial' (trouble visuo- spatial).