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Pline cite ses sources occasionnellement dans le texte, mais il a surtout fourni une liste d’auctores avec chacun des livres de son encyclopédie. Les sources de Pline ont depuis longtemps attiré l’attention des philologues, en particulier pour la quantité d’ouvrages aujourd’hui disparus que l’Histoire naturelle permet de connaître. Les index permettent de constater la consultation par Pline de différents types d’auteurs : de nombreux médecins, dont des sages-femmes (Olympias de Thèbes, Salpê), des philosophes, plutôt « physiologues » ici (Aristote, Théophraste, Démocrite, Chrysippe), des poètes (Homère, Hésiode, Orphée), des savants romains (Cicéron, Nigidius, Varron, Celse), des rois étrangers (Attale, Juba). Les seuls auteurs qui aient été utilisés pour chacun des quatre livres de l’inventaire sont Démocrite, Aristote, Sextius Niger et Licinius Macer, mais ce sont des médecins qui forment la majorité des sources identifiées. Les poètes Homère, Orphée, Nicandre, et les encyclopédistes latins Varron et Celse sont présents dans trois livres successifs, ce qui traduit la valeur d’autorité de ces deux grands prédécesseurs de Pline et des œuvres poétiques et religieuses les plus sacrées de Grèce. Nicandre, à la fois poète et médecin, est un maître incontesté de la iologie477. Toutefois, c’est sans doute à Xénocrate d’Aphrodise, auteur d’un

Peri tês apo tou anthrôpou kai tôn zôôn ôpheleias (« Sur les choses utiles que l’on tire de l’homme et des animaux ») de mauvaise réputation, que Pline doit de nombreux remèdes de caractère douteux478. Mais Pline ne nomme pas l’auteur dans le cours de l’inventaire, seulement dans l’index, et encore uniquement pour les livres 29 et 30 – c’est-à-dire sa deuxième partie de l’inventaire des remèdes animaux. On peut être surpris que Pline ne l’ait pas utilisé pour les remèdes tirés de l’homme qui figurent au premier plan du livre 28. Or, c’est ici que Pline cite tout particulièrement Osthanès, le mage par excellence, dont le nom ne figure pas dans les index, partagés entre auteurs latins et auteurs étrangers (essentiellement grecs). Si Osthanès ne figure pas dans les index, c’est peut-être parce qu’il est lu indirectement, probablement à travers Démocrite, que Pline dit être son disciple.

La compilation de données textuelles opérée sous le contrôle de Pline révèle une sorte de bibliothèque sur les rayons de laquelle ont notamment figuré des ouvrages dont Pline

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J.-M. JACQUES, « Nicandre de Colophon, poète et médecin », Ktèma 5 (1979), p. 133-149, et A. TOUWAIDE, « Nicandre : de la science à la poésie. Contribution à l’exégèse de la poésie médicale grecque », Aevum 55 (1991), p. 65-101.

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Actif au Ier siècle de notre ère, J. SCARBOROUGH, « Pharmacy in Pliny’s Natural History: some observations on substances and sources », R. FRENCH, F. GREENAWAY(éd.), Science in the Early Roman Empire: Pliny the Elder, his Sources and Influence, Londres – New York, 1986, p. 59-85, en particulier p. 67-69) ; A. TOUWAIDE, « Xenokrates von Aphrodisias », Der Neue Pauly 12.2 (2002), p. 624. Cf. GALIEN, Les médicaments simples [KÜHN, 12, p. 248-249].

qualifie les auteurs de « magi ». L’emploi du terme générique, « les mages » – parallèle à l’emploi plus rare de medici, « les médecins » – regroupe un collectif qui démultiplie certaines figures citées ponctuellement, comme Osthanès ou Démocrite. L’emploi de ce terme, propre à Pline, tient en toute logique à la formation du concept de « magie » comme pratique barbare, essentiellement d’origine orientale, et merveilleuse. La question que je me pose alors est de savoir si ces magi sont véritablement des magiciens, auteurs de prescriptions rituelles, et dans quelle mesure le merveilleux chez ces auteurs peut autoriser à les traiter comme tels. Je vais rappeler quelques points d’historiographie sur cette question et mener ensuite l’analyse sur quelques auteurs en particulier. La procédure est la suivante : essayer de voir si, indépendamment de l’appellation « mage », ces auteurs peuvent être lus autrement que comme des sources de « magie ». Le nom d’Apion, égyptien, permet de relever que toutes les sources critiquées ne sont pas « perses » et, par la comparaison avec Pamphyle, un auteur de pharmacopée que par ailleurs Galien classe dans les sources de « magie », montrer comment une même structure du savoir inscrit ces auteurs aussi bien dans des démarches de paradoxographes. Enfin, en me concentrant sur le Pseudo-Démocrite tant cité par Pline, j’analyserai son bestiaire avec la même idée en tête, afin d’observer la démarche de « bestiarisation » au sein de l’écriture d’une pharmacopée du merveilleux.

I – Le genre des « mages » : « une espèce particulièrement fallacieuse »

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I.1. Une littérature « magique » ?

I.1.a. Historiographie

Dans le scénario historiographique des « religions orientales », Franz Cumont attribuait un rôle particulier au judaïsme et au mazdéisme, influençant le cœur des « mystères » et des pratiques orientales480. La « magie » constitue un chapitre à part entière des Religions orientales481. Selon ce paradigme, une fusion aurait été opérée au Moyen-Orient entre la religion zoroastrienne et les savoirs des Chaldéens, c’est-à-dire les Babyloniens ; le résultat se serait ensuite exporté, le contenu naturaliste d’abord par l’intermédiaire de Grecs comme Démocrite, puis les aspects plus occultes par l’intermédiaire de la diaspora juive, et

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PLINE L’ANCIEN, HN, 28, 85 : magorum artes, generis uanissimi, « les arts des mages, une espèce particulièrement fallacieuse » (tr. personnelle).

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C. BONNET, « Introduction historiographique », dans F. CUMONT, Les religions orientales dans le paganisme romain, éd. C. BONNET, F. VAN HAEPEREN, Turin, 2006 (Paris, 19294), p. xviii et xix.

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enfin, dans le monde romain, sous l’influence de Perses encore fidèles à leurs traditions en Asie mineure, appelés « maguséens ». Avec Joseph Bidez, Franz Cumont a précisé cette histoire en avançant que des mages d’une sorte de diaspora perse installée tout spécialement en Asie mineure et au Levant auraient fait progresser le corps de savoirs théoriques et pratiques appelé « magie » d’est en ouest en s’imprégnant d’abord des savoirs mésopotamiens, puis des savoirs grecs et notamment stoïciens – d’où l’expression de « mages hellénisés » choisie pour titre482. Ce schéma a fait son temps, même si la documentation rassemblée par Joseph Bidez et Franz Cumont est toujours extrêmement utile et passionnante483. L’orientation historiographique et le traitement des sources doit beaucoup cependant à l’encyclopédie de Pline l’Ancien, tout en perpétuant ses propres concepts. De fait, le modèle concorde avec la trame de l’histoire de la magie exposée au début du livre 30. Selon Pline, les mages ne sont autres que des héritiers de la doctrine – ce corps de savoirs médicaux/naturalistes et de principes ritualistes – issue de Zoroastre et Osthanès. Le passage de Xerxès en Grèce lors des Guerres médiques se serait ainsi accompagné d’un transfert de connaissances à certains Grecs, en particulier ce physiologue par ailleurs très renommé qu’était Démocrite, que Pline installe en poste avancé de la magie en hellénisme au moment même où Hippocrate fonde la médecine grecque spéculative. L’idée sous-jacente est que les

uanitates des mages étrangers se sont frayé un chemin jusque dans la culture commune de « l’empire gréco-romain », pour aboutir à une influence directe du « mage » arménien Tiridate sur Néron, empereur nécromancien484. La « magie » est ainsi l’image d’un péril subversif au sein de la population lettrée de l’empire, dangereux sur le plan « civilisationnel » dans la mesure où elle est issue d’un Orient ennemi – l’adversaire parthe – et contrevient à la raison, solidaire de la Nature.

La perspective évolutionniste des Mages hellénisés n’est pas tout à fait identique, dans la mesure où Joseph Bidez et Franz Cumont ont eu d’autres préoccupations – que Pline ne pouvait avoir –, comme celle d’expliquer la christianisation. Il a pourtant fallu dépasser l’idée d’une influence directe des mages perses pour comprendre que la littérature pseudépigraphique que Pline rassemble sous le nom de magi est un ensemble hétéroclite

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J. BIDEZ, F. CUMONT, Les mages hellénisés, 2 vol., Paris, 1938.

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En particulier le second volume de J. BIDEZ, F. CUMONT, Les mages hellénisés.

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B. ROCHETTE, « Néron et la magie », Latomus 62.4 (2003), p. 835-843 ne doute pas que Néron ait pratiqué ou fait pratiquer la nécromancie. Mais il faut pourtant distinguer les possibles consultations oraculaires des défunts à la cour impériale et les relations diplomatiques entretenues avec un souverain étranger, qui n’a pu avoir de « magique » qu’un cérémoniel protocolaire orientalisant (J. GAGE, « Basiléia ». Les Césars, les rois d’Orient et les « mages », Paris, 1968, p. 96-107).

quant à l’identité de ses auteurs485. S’il existe un point commun dans cette littérature, c’est le rôle important joué par le merveilleux et l’orientalisme. Aujourd’hui, le traitement des textes à caractère magique présente deux versants : un aspect rituel qu’illustrent tout particulièrement les papyrus de magie, et un ensemble d’affirmations relatives à une science naturelle proprement « magique » dont Pline demeure le point de départ. C’est dans ce second domaine que sont prises en considération les antipathies et sympathies, par exemple. Cette partition remonte en partie à Joseph Bidez et Franz Cumont, selon qui la « magie » aurait eu deux volets, l’un religieux – la « science des choses divines » et le « pouvoir [de] se faire exaucer des dieux » –, l’autre naturaliste, un raisonnement sur « l’origine et les lois de l’univers, sur les propriétés de la nature et la constitution de l’homme »486. Les mages de Pline étaient ainsi consacrés prêtres et physiologues. La première fonction apportait des rites nouveaux, en particulier les éléments pour construire un culte de Mithra dans le monde romain487 ; la seconde, influençant la pensée philosophique et corrompant le « génie » grec d’un point de vue scientifique, ménageait la pensée cosmologique et théologique pour une religion du salut à venir. De fait, le père André-Jean Festugière avait suivi la théorie des deux savants belges et adapté son exégèse de l’hermétisme à leur paradigme. La « magie » fait fonctionner ensemble des pseudo-sciences et des conceptions religieuses venues d’Orient488. C’est cette partie qui a été ensuite plus ou moins identifiée comme un versant « technique » de l’hermétisme égyptien, celui de la pratique, auquel sont intégrées les Cyranides, entre autres489. La magie, avec ses principes de sympathie et d’antipathie qui concurrençaient la physiologie aristotélicienne, constituait l’un des pôles des « sciences occultes » et de l’ésotérisme d’époque impériale, avec l’astrologie et l’alchimie. C’est peut-être dans la

Naturphilosophie du XIXe siècle que l’on reconnaît le plus aisément le praticien qu’André- Jean Festugière a décrit en ces termes : « à la fois astrologue, alchimiste, médecin et mage ; il connaît tous les secrets de la nature, il sait le moyen de les faire agir : c’est un émule du

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A. MOMIGLIANO, Alien Wisdom. The Limits of Hellenization, Cambridge, 1975, p. 7-8 (« No Greek read the Upanishads, the Gathas and the Egyptian wisdom books »). Opinion suivie par M. W. DICKIE, Magic and Magicians in the Greco-Roman World, Londres – New York, 2001, p. 118.

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J. BIDEZ, F. CUMONT, Les mages hellénisés, vol. I, Paris, 1938, p. vii.

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L’idée sous-jacente est que ces « mages » seraient liés au développement du culte de Mithra, à partir de l’Anatolie (Mithridate Evergète) : A. MASTROCINQUE, Des Mystères de Mithra aux Mystères de Jésus, Stuttgart, 2009 ; ID., Studi sul Mitraismo. Il Mitraismo e la magia, Rome, 1998, plus affirmatif alors sur ce point. La venue à Rome du souverain mazdéen Tiridate a au moins été l’occasion de faire dialoguer des cultures dans un cérémoniel symbolique, juste avant que ne fleurisse le mithraisme sous les Flaviens en tant que culte de création romaine (J. GAGE, « Basiléia », p. 111-115).

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A. MASTROCINQUE, « Culti orientali e magia : alcune riflessioni », dans C. BONNET, V. PIRENNE-DELFORGE, D. PRAET (éd.), Les religions orientales dans le monde grec et romain : cent ans après Cumont, p. 81-87, proposait de lire les mentions de « magie » dans les PGM comme chez Pline dans le sens de la tradition des mages hellénisés du Proche-Orient.

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Dr. Faust »490. Cette « science » s’occupe des trois règnes de la nature : animaux, végétaux, minéraux, mais avec une méthode d’enquête (d’historia) originale, une problématique différente de celle d’Aristote, à savoir un intérêt privilégié pour le merveilleux structuré en sympathies et antipathies qui unissent ou opposent les êtres, conçues comme « vertus » (dunameis) de ceux-ci. Au lieu de chercher les principes universels, cette pseudo-science cherche les principes particuliers (ἰδιότες) des choses et les rassemble dès l’époque hellénistique dans des collections de mirabilia.

Ce souci du particulier, on l’a vu, a été récemment réaffirmé par Richard Gordon. Toutefois, ce dernier a pris acte de la nouvelle approche concernant l’identité de ces « mages », dont les ouvrages généralement pseudépigraphes relèvent d’une compilation de textes mésopotamiens, sélectionnés et traduits en grec à l’époque hellénistique. Le concept de « learned magician » a été exprimé par Matthew Dickie et fait autorité dès lors que l’on se penche sur les textes qui associent « magie » et utilisation de propriétés naturelles491. Il s’agit d’auteurs appelés « mages » qui véhiculent un savoir pratique à caractère « naturaliste », de type magique dans la mesure où il serait fondé sur des lois naturelles comme les sympathies ou les antipathies. Certains de ces learned magicians se trouvent être, comme P. Nigidius Figulus à Rome, des néopythagoriciens péjorativement qualifiés de « mages »492. Toutefois, les learned magicians, qui ne sont pas nécessairement praticiens eux-mêmes, ne sont qu’une partie du monde des « magiciens », une poignée d’auteurs ou de copistes perdus dans la masse des praticiens anonymes, proportion inverse à celle qu’a prise leur littérature dans l’établissement d’un « savoir magique ». En fait, il semble que ce soit l’Histoire naturelle qui conduise à appeler ces auteurs des « mages », sur la seule foi d’une construction historiographique qui a voulu assez tôt tracer une continuité entre mages zoroastriens et successeurs grecs semi-légendaires, comme Pythagore et Démocrite. Des différents auteurs concernés, cachés ou non sous les pseudonymes, on ne sait pratiquement rien, et toute lecture en est guidée par Pline.

490

A.-J. FESTUGIERE, La révélation d’Hermès Trismégiste, p. 205 (vol. I, p. 189). Il parle bien, entre autres, des auteurs des PGM.

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Matthew Dickie ne cite jamais Franz Cumont ou André-Jean Festugière dans M. W. DICKIE, Magic and Magicians in the Graeco-Roman World.

492

Id., p. 169-172 ; M. MAYER I OLIVE, « Publius Nigidius Figulus pythagoricus et magus », dans Contesti magici, p. 237-245 a montré que P. Nigidius Figulus doit d’avoir été qualifié de magus non tant à cause de ses écrits que pour orienter sa réputation.

I.1.b. Le « genre des mages »

C’est pourquoi l’article de James Rives dans lequel il retrace l’histoire du terme magus

en latin est intéressant493. Il montre bien que le terme, hérité du grec comme on le sait, véhicule d’abord la notion de ritualiste zoroastrien. Avant les écrits d’Apulée, on ne connaît en latin que le nom magus et l’adjectif magicus, a, um. Magia apparaît chez Apulée494. James Rives a en revanche comptabilisé 19 emplois de l’adjectif magicus et 79 du nom magus dans l’Histoire Naturelle où, comme je l’ai dit, Pline traite d’un art relevant d’un type de personnes, les « mages ». Chez les poètes, Virgile en tête, l’expression artes magicae

recouvrait un ensemble de « stereotyped wonders », d’actions sur-humaines perpétrées au moyen d’incantations ou de ueneficia/pharmaka. Pline utilise donc le sens ethnographique en lui adjoignant les développements poétiques du stéréotype. C’est avec lui que la notion intègre l’idée de philosophes grecs élèves des mages, véhiculant des connaissances particulières sur les plantes, substances animales et pierres. Par la suite, les auteurs latins en prose appliquent le vocabulaire non plus seulement aux mages perses, mais à deux domaines associés : divination et nécromancie. Au sein de l’inventaire de Pline, il convient de distinguer l’ars magice, composée de médecine, de rituel et d’astrologie (les externa sacra), du genre littéraire des magi, dont la principale caractéristique est d’affabuler. Quelle est la part d’orientalisme ou de culture « barbare » dans le traitement littéraire et rituel des animaux employés en magie ? La religion des papyrus de magie intègre-t-elle les éléments du bestiaire des « mages » ? D’où le « genre des mages » tire-t-il son bestiaire et que construit ce dernier ?

I.2. Apion, « grammairien » et Égyptien

En un endroit de son inventaire, Pline fait référence à l’étiologie religieuse en évoquant la place d’un animal en particulier dans la pratique, le scarabée495. Or, c’est à une religion barbare que cette étiologie appartient, celle des Égyptiens qui considèrent le scarabée comme une divinité solaire. Pline se réfère au grammairien Apion, dont il a déjà parlé au début du livre 30, où il disait ceci :

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J. B.RIVES, « Magus and its cognates in Classical Latin », dans R. GORDON, F. MARCO SIMÓN (éd.), Magical Practice in the Latin West, Leyde – Boston, 2010, p. 53-77.

494

APULEE, Apologie, 25, 9.

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Quaerat aliquis quae sint mentiti ueteres Magi, cum adulescentibus nobis uisus Apion grammaticae artis prodiderit cynocephalian herbam, quae in Aegypto uocaretur osiritis, diuinam et contra omnia ueneficia, sed si tota erueretur, statim eum qui eruisset mori, seque euocasse umbras ad percunctandum Homerum quanam patria quibusque parentibus genitus esset, non tamen ausus profiteri quid sibi respondisse diceret.

Qu’on imagine ce que furent les mensonges des anciens mages, quand le grammairien Apion, que nous avons vu lors de notre jeunesse, a écrit que la plante cynocéphalie, appelée en Égypte osiritis, est propre à la divination et combat tous les maléfices, mais que si quelqu’un l’arrache toute entière, celui-ci meurt sur le champ ; que lui-même ayant évoqué les ombres pour interroger Homère sur sa patrie et ses parents, dit ne pas oser déclarer ce qui lui fut répondu496.

Étant donné qu’ici Pline nous confie explicitement un modèle de « mensonge » des mages, Apion mérite qu’on lui accorde une attention en tant que tel. Pline montre que les « mages » s’identifient surtout à leur mode d’écriture. Derrière l’appellation de magi peuvent se trouver des auteurs qui ne sont pas nécessairement perses, et encore moins des « mages » de métier puisqu’ils peuvent être grammairiens. C’est le contenu du propos d’Apion qui fait exemple et, si Apion ne fait pas dans l’ars magicae, mais dans l’ars grammaticae, certaines caractéristiques de ses écrits relèvent d’un même genre des « mages ». Qu’est-ce qui dans les écrits de l’ars grammaticae peut être représentatif de l’ars magicae ? La réponse tient à l’excès de merveilleux, mais celui-ci est construit selon deux axes. Le premier que je vais détailler est l’application du terme « grammairien », dont Galien fournit un exemple similaire à propos de Pamphile (a) : s’il est dépréciatif par rapport au travail attendu d’un pharmacologue, il renvoie aussi à la place du mythe dans l’écriture des savoirs. Le second axe est celui de l’orientalisme (b), qui permet également à Pline de construire l’ars magicae dans la mesure où il en conforte le caractère barbare en même temps qu’irrationnel. Appuyé sur des fables orientales, ce savoir n’est « magique » qu’aux yeux de Pline et ces mêmes fables orientales, passées chez Apion à travers des Aegyptiaca, appartiennent à un autre mode d’écriture des savoirs, la paradoxographie (I.3).

I.2.a. « Grammairiens »

Lorsque Galien définit comme étrangers à l’art médical des ouvrages d’astrobotanique, il signale leur format « grammatical » en même temps que leur contenu magique, mythographique et astrologique :

Et si l’on a alors besoin aussi d’un livre, quel homme étant assez malheureux pour laisser de côté les ouvrages de Dioscoride, de Niger, d’Héraclide, de Crateuas et de mille autres qui ont vieilli dans l’art,

496Id.

pourrait supporter de lire, chez un homme qui écrit des livres de grammaire, des incantations, des métamorphoses et des plantes sacrées des décans et des démons497 ?

Galien exclut ainsi des auteurs médicaux le grammairien Pamphile498 et sa source, « l’un des livres attribués à Hermès l’égyptien contenant les trente-six plantes sacrées des horoscopes (= décans) qui manifestement sont toutes du bavardage et des fictions de l’auteur »499. En dissociant ainsi Pamphile du reste des auteurs de pharmacopée, Galien délimite explicitement l’art médical en tant que tel, comme une ars ou une technê à part

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