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Magdeburg et Séville : deux exemples de « vulnérabilité infrastructurelle »

Introduction : les degrés de la vulnérabilité infrastructurelle

Cette crise infrastructurelle n’est pas uniforme. Elle a des niveaux d’intensité et des modalités d’expression qui varient selon les contextes locaux. Comme le rappelle Abraham de Swaan (1988), il faut veiller, pour la déchiffrer correctement, à bien insérer la production de biens collectifs dans son contexte historique, géographique et institutionnel. C’est dans cet esprit que nous avons construit ce chapitre, qui fonctionne comme un diptyque, composé de deux panneaux à la fois individuels et complémentaires. L’ensemble permet d’affiner la présentation de la vulnérabilité infrastructurelle telle qu’elle s’exprime tant à Magdeburg qu’à Séville, tout en précisant chacun des contextes locaux. Le premier pan est consacré au cas de la vulnérabilité la plus aiguë, détaillant la situation de Magdeburg et de son opérateur multi-services, le Stadtwerk (SWM) (I). Le second retrace les étapes de la crise infrastructurelle touchant l’opérateur d’eau et d’assainissement de l’agglomération sévillane, la EMASESA (II).

Ces deux volets permettent de préciser la notion de vulnérabilité infrastructurelle. Nous proposons d’en distinguer plusieurs degrés, en fonction de trois indicateurs :

- le facteur temporel : il traduit l’ancienneté et la pérennité de la crise infrastructurelle, - l’intensité de la crise : elle reflète l’ampleur de la diminution de consommation et ses

effets variés,

- l’extension sectorielle de la crise : elle décrit la diffusion des processus de crise infrastructurelle dans les différents grands réseaux techniques.

Cette première matrice de la vulnérabilité infrastructurelle sera enrichie par la suite. Elle concerne ici le volet de la crise infrastructurelle, et sera augmentée en fonction des solutions adoptées pour diminuer les effets de cette vulnérabilité74. A partir de ces indicateurs, on peut ainsi distinguer des degrés de vulnérabilité infrastructurelle. Nous distinguons trois types génériques, qui peuvent parfaitement faire l’objet de nuances et de variations (graphique 5) :

- une vulnérabilité extrême ou aiguë, où le fonctionnement même du système sociotechnique est remis en cause.

80 - une vulnérabilité en expansion, où les effets adverses se multiplient et mettent à mal le

fonctionnement technique et économique du réseau.

- une vulnérabilité limitée, où ces processus, et en particulier le changement de régime de demande, dont la diminution de consommation est la partie la plus visible, sont soit inexistants, soit négligeables.

Graphique 5 : Les degrés de la vulnérabilité infrastructurelle – Types génériques

[pour chaque indicateur, variation de 0, degré moindre, à 1, degré le plus élevé] Source : élaboration personnelle

I/ Du côté de chez SWM

Longtemps, la ville de Magdeburg (carte 2) fut approvisionnée en services urbains essentiels par des entreprises d’Etat, séparées selon les secteurs. La WAB Magdeburg (Wasserversorgung und Abwasserbehandlung) était en charge de l’eau et de l’assainissement, et le Energiekombinat West des réseaux d’énergie à une échelle régionale75. Depuis la réunification allemande, les

contextes institutionnel et socio-économique ont été radicalement transformés, faisant de Magdeburg une ville en déclin ordinaire (A), dont le système d’approvisionnement a été réorganisé à l’échelon municipal autour d’un opérateur multi-services, le Stadtwerk (B), qui

75 A partir de 1964, on compte 15 WAB pour l’ensemble de l’Allemagne de l’Est, soit une par Bezirk. Chacune

reprend les directives données par la Vereinigung Volkseigener Betriebe WAB (l’union des entreprises du peuple WAB), d’où émanent les grands plans d’infrastructures dessinés par le ministère de l’environnement et de l’eau (van der Wall et Krämer, 1991)

0 0,2 0,4 0,6 0,8 1Temps Intensité Extension

Les degrés de la vulnérabilité infrastructurelle

81 connaît une situation de vulnérabilité infrastructurelle extrême, touchant l’ensemble des réseaux techniques urbains (C).

Carte 2 : Carte de situation de Magdeburg en Allemagne

(en bleu, à titre purement indicatif, la population en 1997, permettant de voir les hiérarchies urbaines)

82 A/ Magdeburg, ville de l’Est, ville en déclin ?

1/ Magdeburg, une ville en déclin ordinaire ?

Loin des promesses d’une convergence des économies et des systèmes urbains, la transition post-socialiste a souvent été congruente à une crise multiforme où se sont mélangées difficultés socio-économiques, saignée démographique et crise urbaine (Golubchikov et al., 2014 ; Sykora et Bouzarovski, 2012). La description qu’en font Golubchikov et al. va même plus loin, puisqu’ils considèrent que le développement économique de cette nouvelle ère capitaliste s’est révélé beaucoup plus inégal qu’à l’époque socialiste, en se traduisant par une plus grande atomisation sociale et par des processus plus importants de marginalisation et de déclin de la société (2014).

Cette transformation a souvent été vécue, dans la plupart des pays de l’ancien bloc socialiste, comme une « thérapie de choc » (Bontje, 2004 ; Bafoil, 1999 et 2006 ; Glock et Häussermann, 2004). Elle s’est traduite par une bifurcation des trajectoires urbaines de la plupart des villes de ces régions (Baron et al., 2010), qu’on a regroupé derrière la formule de villes en déclin ou villes décroissantes (Miot, 2012). Ce déclin pérenne a fait l’objet de nombreuses synthèses sur les cas européens (Florentin et al., 2008 ; Fol et Cunningham-Sabot, 2010 ; Oswalt, 2006 ; Gatzweiler et al., 2003), américains ou japonais (Beauregard, 2003 et 2006 ; Ducom 2008a et 2008b ; Pallagst et al., 2009, Uemura, 2014). Il se caractérise par de multiples facteurs agissant conjointement sur le long terme et s’auto-entretenant : déclin démographique, déclin économique, vacance urbaine et finances locales souvent exsangues (graphique 6). Spatialement, il recouvre ce mélange inédit de désindustrialisation et de périurbanisation (Gillette, 2006 et Beauregard, 2003) d’où émergent des formes urbaines jusque-là inédites, comme celle de la « ville perforée » (Florentin, 2008 ; Lütke-Daldrup, 2003), où l’étalement urbain n’est pas entièrement le dérivé de la croissance urbaine (Siedentop et Fina, 2010).

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Graphique 6 : Les spirales du déclin. Un processus pérenne

Source : élaboration personnelle

Ce processus a été particulièrement sévère dans les régions de l’ancienne Allemagne de l’Est (Glock et Häussermann, 2004) (carte 3), au point que certains auteurs ont pu forger un terme certes peu élégant mais très parlant pour décrire cette déréliction multiforme, celui d’une « déséconomisation » (Hannemann, 2003, Deökonomisierung en allemand). Dans la plupart des villes de l’Est de l’Allemagne, entre 80 et 90% des emplois industriels ont ainsi été supprimés dans les trois premières années de la décennie 1990 (Bafoil, 1999 et 2006 ; Bontje, 2004), et les mouvements migratoires, vers le périurbain ou vers les villes de l’Ouest, ont contribué au dépeuplement des villes-centres et à la transformation des paysages urbains (BBR, 2011 ; Bernt et Kabisch, 2002 ; Bernt, 2005 et 2009).

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Carte 3 : Les effets de la transition post-socialiste. Croissance et déclin des villes allemandes (2002-2007) [en rouge, villes en croissance ; en bleu, villes en déclin]

85 Magdeburg ne fait pas exception, et on y retrouve certains de ces processus de déclin urbain. La ville reflète de ce point de vue les évolutions de son Land, qui fut le plus durement touché par la saignée démographique ayant suivi la chute du Mur de Berlin76 (Knabe et Warner, 2010 ; Roth, 2003). Des 290 000 habitants qui peuplaient la ville en 1990, il n’en reste qu’un peu plus de 230 000 en 2012, soit une diminution de plus de 20%. Comme ailleurs à l’Est de l’Allemagne, une partie non négligeable de ces diminutions s’explique par des mouvements de périurbanisation, dont on retrouve la trace dans les évolutions de population à l’échelle des

Gemeinde, équivalent de l’arrondissement français (carte 4).

Carte 4 : Evolution de la population dans le Land de Saxe-Anhalt (1991-2007) [plus le bleu est intense, plus la diminution de population est forte]

Source : Knabe et Warner, 2010

76 La ville a d’ailleurs connu des crises régulières au cours de l’histoire, puisqu’elle fut détruite à plusieurs reprises,

dont deux fois quasi totalement : lors de la guerre de Trente Ans, par les troupes catholiques de Tilly, et pendant la Seconde Guerre mondiale, à l’issue de laquelle la ville était en ruines à plus de 80%.

86 Pour autant, ces pertes démographiques ne se sont pas exprimées avec autant d’amplitude dans tous les quartiers de la ville. Comme dans toutes les schrumpfende Städte, on note ainsi deux processus : la coexistence de quartiers en déprise, en stagnation et en croissance démographique d’un côté, et la concentration progressive de ces processus de déclin dans un certain nombre de zones, et en particulier certains quartiers relativement périphériques de grands ensembles (Plattenbauten)77, en l’occurrence les quartiers de Neu-Olvenstedt, de Kannenstieg et de Reform78 (respectivement quartiers 22, 10 et 38 sur la carte 5). Tout comme ce fut le cas dans d’autres villes comme Halle, Leipzig ou Dresde, ces quartiers de grands ensembles, à la différence des quartiers centraux anciens, ne furent pas les plus touchés par ces processus de déclin urbain immédiatement après la chute du Mur fin 1989, mais avec un décalage de quelques années. Ce retard s’explique notamment par un transfert de ces processus de déclin du centre vers les quartiers plus périphériques, dû aux réhabilitations importantes des quartiers centraux anciens dans les différentes villes au début des années 1990 (Kil, 2003 ; Florentin, 2011).

77 L’expression est toujours sujette à caution, puisqu’elle est connotée négativement (Florentin, 2011). 78 Ces trois quartiers ont connu une baisse de population respective de 67, 41 et 33%

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Carte 5 : Les quartiers de Magdeburg

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Carte 6 : Evolution relative de la population à Magdeburg (1991-2012)

89 La structure socio-économique et urbaine de la ville fait écho à ces évolutions démographiques. La ville était spécialisée dans l’industrie lourde à l’époque socialiste, et on y trouvait de nombreux groupes industriels fabriquant des machines-outils et des machines agricoles (Schwermaschinenbau), dont seuls restent quelques éléments symboliques du mobilier urbain (photo 6). De façon identique à ce qui a pu se passer dans d’autres villes de l’Est de l’Allemagne, les entreprises industrielles ont fermé en moins de deux ans, et les usines de SKET et Dimitrof (80 000 emplois), les deux géants des machines-outils, ont fermé dès 1991, laissant de vastes terrains industriels en friche (photos 7, 8 et 9) et une large partie de la population sans emploi. Si le taux de chômage a fortement baissé comme partout en Allemagne entre 2006 et 2012, le nombre de bénéficiaires des minima sociaux n’a cessé d’augmenter et représente entre un quart et un tiers de la population active (Stadt Magdeburg, 2006, 2009 et 2012), ce qui est nettement plus élevé que pour la plupart des villes de même rang en Allemagne.

Photo 6 : Magdeburg, ancienne cité de l’industrie lourde des machines-outils

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Photo 7 : La désindustrialisation en acte : les locaux de Dimitrof

Source : photo personnelle

Photo 8 : La désindustrialisation en acte : SKET dans Buckau. Les effets sur le paysage de la désindustrialisation : deux grandes friches urbaines et industrielles

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Photo 9 : La désindustrialisation en acte : SKET dans Buckau. Les effets sur le paysage de la désindustrialisation.

Source : photo personnelle

2/ La chance d’être capitale : un déclin à nuancer

Depuis 2006, on note toutefois une stabilisation de la population doublée d’une amélioration relative de la situation de l’emploi. Trois facteurs viennent expliquer ce retournement relatif :

- la chance d’être une capitale : Magdeburg fut choisie comme capitale du Land en 1991 par les différents responsables politiques locaux, au détriment de sa concurrente Halle79. Cela a permis à Magdeburg de concentrer les fonctions administratives liées au gouvernement régional, et de limiter ainsi les effets négatifs de la trop grande proximité d’un pôle métropolitain plus important, Berlin. C’est notamment ce statut de capitale et la volonté politique du gouvernement régional de créer un pôle dynamique à Magdeburg qui a permis l’installation depuis cinq ans de nombreux instituts de recherche dans la ville, l’antenne du Fraunhofer Institut étant la tête de pont dont on espère qu’elle attirera

79 La population de Halle dépassait légèrement les 310 000 habitants en 1990, étant ainsi un peu plus grande que

Magdeburg. On lui prédisait la désignation comme capitale régionale, mais c’est finalement Magdeburg qui a remporté la mise, en raison notamment du vote en sa faveur des responsables de la ville de Dessau. Désormais, Halle, dont les deux principaux groupes industriels (Buna et Leuna) ont perdu 35 000 emplois depuis 1990, compte un peu plus de 230 000 habitants.

92 d’autres installations liées à l’économie du savoir. Pour autant, le frémissement est encore très léger (photos 10 et 11) : les bureaux non pourvus sont encore importantes et le nombre d’emplois générés demeure assez limité. Les rares industries présentes sont de petites structures du secteur du bâtiment ou des concessionnaires automobiles.

Photos 10 et 11 : Le Wissenschaftshafen, cluster putatif80 de l’économie de la connaissance

Source : photos personnelles

- la fonction d’îlot de stabilité : certains chercheurs ont formalisé et modélisé l’évolution démographique de l’Est de l’Allemagne (Herfert, 2002 ; BBR, 2011). Selon Herfert, le tournant démographique devrait se poursuivre, mais la baisse démographique devrait être moindre dans les grandes villes, qui constitueraient autant d’îlots de stabilité dans un océan de déclin des villes moyennes et petites ainsi que des zones rurales. On assisterait ainsi à une concentration métropolitaine sur fond de rétraction démographique, où les grandes villes bénéficieraient d’un effet de taille pour capter la majeure partie des ressources métropolitaines, aux dépens des villes plus petites81. L’hypothèse semblerait se vérifier pour Magdeburg.

- la politique des annexions et des réorganisations administratives. Comme toutes les villes de l’Est en proie aux difficultés de la transformation post-socialiste, la ville de Magdeburg a été le lieu de nombreuses annexions et réorganisations territoriales, qui

80 Sur la photo 10, on observe le peu d’entreprises qui se sont implantées, au vu du grand nombre de trous sur le

panneau décrivant les entreprises présentes sur le site.

81 Les travaux d’Herfert trouvent des échos dans des contextes autres que le contexte allemand, notamment dans

les études sur les systèmes urbains mettant en évidence, parmi les effets de la métropolisation, les possibles « court- circuitages » des petites villes (Bretagnolle, 2003)

93 ont vu la superficie de la ville croître de façon importante. Elles ont pour but principal d’atteindre un niveau de population suffisant ouvrant le droit à un niveau de subvention fédérale, mais créent du même coup des villes très étendues et peu denses. Magdeburg s’étend ainsi sur 200km², soit deux fois la superficie de Paris intra-muros, pour une population dix fois moindre, soit un rapport de un à vingt ! Cet élément de contexte permet de nuancer fortement tous les discours publics annonçant la fin de la périurbanisation dans les villes allemandes (évoquée notamment par Herfert, 2002 ou Haase, 2006) : elle est souvent davantage internalisée via les annexions que véritablement endiguée ou connaissant un quelconque reflux.

En dépit de cette stabilisation démographique, la situation demeure celle d’une ville en déclin : la reprise économique y est encore balbutiante, la précarité sociale y est fortement marquée82, et les finances publiques sont sous tutelle depuis dix ans83, limitant fortement les capacités de la mairie à investir dans des grands projets urbains. La vacance urbaine dépasse encore largement les 15% du parc immobilier de la ville, témoignant de la fragilité continue de la situation de la ville depuis la réunification. C’est pour gérer ce contexte particulier de transformation institutionnelle et de crise multiforme qu’a été fondée une entreprise communale multi-services, les Städtische Werke Magdeburg (SWM).

B/ Un système original, le Stadtwerk

La mise en place d’un Stadtwerk à Magdeburg a correspondu à l’adoption du modèle germanique traditionnel de fourniture des services urbains (Barraqué, 1995 ; Krämer, 1993 ; Lorrain, 2002a), qu’on retrouve aussi bien en Allemagne qu’en Autriche ou en Suisse. Ce modèle particulier repose sur la logique d’opérateur multi-services (1) ; il est cependant soumis depuis vingt ans à des remises en question importantes qui n’ont pas épargné les SWM (2) ; il connaît enfin quelques adaptations locales, issues de structures héritées, notamment pour l’eau, dans le cas de Magdeburg (3).

82 Les chiffres récoltés varient selon les sources, mais on dénombre entre un quart et un tiers des habitants

bénéficiant des minima sociaux.

83 Comme dans l’ensemble des villes de l’Est, à l’exception de Dresde, qui s’est désendettée en vendant son

94 1/ Le modèle du Stadtwerk : l’entreprise municipale multi-services

Le modèle du Stadtwerk est la traduction institutionnelle la plus classique de l’autonomie municipale et de la présence des collectivités dans la fourniture de services urbains dans les contextes allemands (Krämer, 1993). Comme des travaux aussi bien français qu’allemands l’ont souligné, on dénombre généralement trois grands modèles84 de gestion des services urbains en

Europe (Krämer, 1993 ; Barraqué, 1995 ; Lorrain, 2002a). Le modèle anglo-saxon repose sur une séparation forte entre usager, Etat et opérateur, créant des asymétries d’informations dont peut pâtir l’Etat par rapport aux opérateurs. Le modèle français est caractérisé par le système de la concession, devant réduire cette asymétrie. Enfin, le modèle allemand voit les pouvoirs publics être au cœur de la production de services urbains via les Stadtwerke. Cette typologie est soumise à de fortes variations locales et ne présume en rien des arrangements locaux (Lorrain, 2002b) : elle ne dégage que la tendance majoritaire.

Pour le cas allemand, le modèle, appelé parfois « public local fort » (Lorrain, 2002a, p.205), doit en fait beaucoup aux réformes de Freiherr von und zum Stein, qui fut le refondateur de l’autonomie municipale en 1808 (encadré 4). C’est sous son autorité que les biens communs ont été considérés comme relevant de la compétence des collectivités locales (Krämer, 1993). Ce principe érigé aux prémices du 19ème siècle fut conservé par la suite dans la constitution de 194985 (Zeller, 2006 ; Kluge et Scheele, 2008), faisant des communes les garantes du

Daseinsvorsorge (traduit imparfaitement par l’intérêt général, et qui signifie littéralement la

fourniture de moyens d’existence). Il permet ainsi aux communes de continuer à jouer leur rôle d’entrepreneur (Ambrosius, 1984), dans un cadre régi par trois principes : une finalité publique (öffentlicher Zweck), le principe de subsidiarité (Subsidiaritätsklausel) et une capacité à fournir le service (Leistungsfähigkeit) (Kluge et Scheele, 2008).

Encadré 4 : Il était une fois un Stadtwerk : quelques jalons historiques

Les Stadtwerke n’ont pas une date de naissance arrêtée et indiscutable. C’est un objet institutionnel plus souple, fruit de coopérations plus ou moins formelles. Si certains auteurs associent le Stadtwerk à l’ordonnance sur les régies de 1938, la Eigenbetriebverordnung (Gottschalk, 1995), leur émergence est déjà sensible dès les années 1850 avec le

84 La notion de modèle étant comprise ici, en suivant Lorrain (2003) en associant une architecture institutionnelle

et un principe d’action à une culture politique et à des mentalités collectives.

85 Le droit à la libre administration des collectivités est inscrit dans l’article 28 (paragraphe 2,1) de la loi

95 développement de coopération informelle entre les branches eau et gaz des services municipaux (Braun et Jacobi, 1990).

Pour Braun et Jacobi (1990), on peut d’ailleurs distinguer quatre époques d’évolution du Stadtwerk. Cette première phase des années 1850, qui reprenait l’adage « eau et gaz à tous les étages », fut suivie d’une deuxième phase, dans les années 1890, où s’est rajoutée la branche (Sparte) électricité. La troisième phase, au tournant du siècle, a vu l’adjonction des transports en commun aux Stadtwerke. La dernière phase, à partir des années 1990, a correspondu à l’intégration progressive des branches déchets et assainissement. Tous les Stadtwerke ne présentent pas la gamme complète des services urbains, mais leur incorporation progressive a donc suivi ce schéma : gaz-eau / électricité / transports en commun / déchets et assainissement.

En 2009, sur les 1 369 Stadtwerke recensés par l’association nationale des entreprises communales (la VKU), 350 possédaient 4 branches ou plus, 220 avaient 3 branches, 145 seulement 2 branches, et 654 (soit 47,7%) des Stadtwerke n’avaient qu’une seule branche, souvent l’eau (Ambrosius, 2012).

Les SWM correspondent à la première catégorie, puisqu’ils regroupent les services d’eau, de gaz, de chauffage urbain, d’électricité et d’assainissement. Le nombre d’abonnés à l’électricité étant supérieur à 100 000, l’entreprise a dû en filialiser la branche, comme le veut la réglementation du secteur. L’assainissement propose également une figure étonnante et un montage complexe dont personne n’a pu nous expliquer la structure. Il est en théorie assuré par une filiale des SWM ne comprenant qu’une seule personne (AGM), alors même qu’un service entier du Stadtwerk est en charge de l’assainissement et s’occupe de la gestion quotidienne.

Les Stadtwerke sont caractérisés par une intégration transversale des différents réseaux et un système de subventions croisées entre branches, regroupé sous le terme de Querverbund (Krämer, 1993 ; Fender et Poupeau, 2007). L’utilisation même du terme est devenue un tabou au sein des mondes professionnels. La pratique des subventions croisées est en effet contraire

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