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3. La taxonomie bactérienne

3.3. Méthodes génétiques

Développées à partir de la moitié du 20ème siècle grâce à une meilleure connaissance

moléculaire, les méthodes génétiques dominent la taxonomie moderne car elles reflètent surtout les relations entre individus directement inscrites au niveau de leur patrimoine génétique.

a. Détermination du pourcentage en G+C

La première technique utilisée se basant sur des acides nucléiques a été la détermination du G+C% (153). La structure en double brin de l’ADN d’un organisme implique une complémentarité de ces bases : G-C et A-T. La teneur relative en base [G+C] / [A+T] peut varier d’un génome à l’autre, mais il reste constant pour les individus d’une même espèce. Le contenu en base d’un ADN est exprimé par la détermination du G+C%, dont la formule est la suivante :

G+C = [G+C] / [A+T+C+G] × 100

Chez les bactéries, le contenu en G+C varie entre 25% et 75% (186) et les organismes sont d’autant plus distants que la différence entre leur G+C% est importante. Actuellement, des bactéries dont le G+C% diffèrent de plus de 5% sont considérées comme n’appartenant pas à la même espèce. Toutefois, la détermination de la teneur en bases ne reflète pas nécessairement la filiation entre les organismes, car celle-ci dépend surtout de la disposition des bases au sein de la molécule d’ADN.

b. Similarités ADN/ADN (hybridation ADN/ADN)

L’ADN d’une bactérie donnée est caractérisé par la longueur de la molécule, sa composition en bases, et sa séquence nucléotidique. Les hybridations d’acides nucléiques ont été possibles suite à la découverte de leurs propriétés de dénaturation et renaturation (106). Ainsi, les brins complémentaires d’un ADN en solution se séparent lorsque celle-ci est portée

à ébullition (69). Cette dénaturation est caractérisée par le Tm (thermal denaturation

midpoint, température de demi dénaturation de l’hybride) qui augmente en fonction du contenu en G+C% du génome considéré. La renaturation des deux brins d’ADN se produit suite à un refroidissement lent. Par contre, si la solution d’ADN est refroidie brutalement, les deux brins restent sous forme monocaténaire.

Reposant sur ces différentes propriétés de la molécule d’ADN, les hybridations ADN/ADN sont effectuées à partir d’un mélange de deux ADN dénaturés provenant de deux génomes bactériens différents. Il existe plusieurs méthodologies pour mesurer la similarité ADN/ADN qui utilisent toutes le même principe (Figure 14):

Figure 14 : principe de base de l’hybridation ADN/ADN (153)

Les méthodes les plus courantes sont : • la méthode de renaturation optique (41), • la méthode à l’hydroxyapatite (26), • la méthode de la nucléase S1 (37, 69, 70).

Les hybridations par la méthode optique s’effectuent en mesurant au spectrophotomètre la renaturation des fragments d’ADN. L’avantage principal de cette méthode est qu’elle ne nécessite pas de marquage de l’ADN. De ce fait, elle ne permet pas la détermination du ∆Tm. De plus, cette méthode n’est pas taxonomiquement significative pour des valeurs de réassociations en dessous de 30% (69). Pour les autres techniques l’un des ADN à tester est marqué, en général radioactivement.

Par la technique à l’hydroxyapatite, les ADN simples brins et doubles brins sont adsorbés à l’hydroxyapatite dans un tampon phosphate à 0,10 M. L’adsorption de l’ADN à l’hydroxyapatite dépend de la molarité : lorsqu’elle est de 0,12 M à 0,14 M, les ADN simples brins sont élués ; lorsqu’elle atteint 0,4 M, tous les ADN sont alors élués. Ainsi, la radioactivité des différentes fractions (simples et doubles brins) peut être mesurée, permettant le calcul du pourcentage de réassociation. Les résultats sont alors normalisés et standardisés en fonction de la réassociation d’un ADN de contrôle et d’une réaction homologue (69).

Il existe deux méthodes à la nucléase S1 : la première par une collecte des ADN doubles brins par précipitation à l’acide trichloroacétique (TCA) (37), l’autre par adsorption sur DEAE-cellulose (129). Pour la méthode que nous avons choisie (nucléase S1 et précipitation au TCA), la nucléase permet la digestion des ADN monocaténaires après la réaction d’hybridation. Seuls les hybrides homologues et hétérologues sont conservés, et précipités au TCA, puis filtrés avant comptage de la radioactivité. Le bruit de fond dû aux réactions non spécifiques est estimé en hybridant de l’ADN de hareng avec l’ADN

radiomarqué. Ce bruit de fond est décompté de la radioactivité totale pour chaque hybride (Figure 15).

Les méthodes à l’hydroxyapatite et à la nucléase S1 analysent de l’ADN en solution libre, ce qui leur confère le grand avantage de pouvoir étudier la stabilité thermique de l’ADN réassocié ou ∆Tm. Le ∆Tm ou divergence correspond à la différence entre les Tm de la réaction homologue et le Tm de la réaction hétérologue (Figure 16) (25). Cette mesure permet d’évaluer la solidité et donc la spécificité des hybrides formés. La méthode hydroxyapatite et les deux méthodes à la nucléase S1 ont été comparées par Grimont et al. (69). Les principaux résultats issus de cette étude comparative montrent que ces méthodes donnent des valeurs de réassociation différentes, mais des valeurs de ∆Tm similaires. Ainsi, les valeurs de réassociation obtenues avec la méthode à la nucléase S1 sont plus faibles pour des génomes taxonomiquement distants. En effet, par la méthode hydroxyapatite il peut subsister des fragments monobrins qui normalement, avec la technique de la nucléase S1, sont automatiquement digérés. Ces fragments d’ADN simple brin pourraient être à l’origine d’une surestimation des valeurs de réassociation alors que le nombre d’hétéroduplexes diminue (69). La stringence de la réaction d’hybridation fait aussi partie des paramètres à prendre en compte. En effet, augmenter la température d’hybridation et/ou diminuer la concentration en sels du mélange d’hybridation permet d’augmenter la stringence de formation des hétéroduplexes. Elle est aussi liée au contenu en G+C des ADN à hybrider. Dans des conditions standard d’hybridation ADN/ADN, il est courant d’utiliser une température optimale de renaturation autour de Tm -20°C à Tm -30°C, afin d’éviter une trop grande stringence de réaction (186).

Les deux comités de taxonomie (172, 192) recommandent l’utilisation des hybridations ADN/ADN afin de définir une espèce bactérienne ou encore « genomospecies ». A l’heure actuelle, cette technique est la seule technique de référence utilisée pour la définition de l’espèce bactérienne. Cependant cette technique reste assez lourde et longue à mettre en œuvre, demandant de très grandes quantités d’ADN, ce qui paraît difficile à obtenir pour des souches difficilement cultivables. Cette lourdeur opérationnelle interdit les comparaisons d’un grand nombre de souches deux à deux, ce qui ne permet pas de prendre en compte la diversité d’un groupe lors de son positionnement taxonomique.

Une approche plus polyphasique de la définition de l’espèce par l’utilisation croisée de différentes techniques de typage, et le développement de techniques visant à compléter et

à terme à remplacer les hybridations ADN/ADN sont largement encouragés par le comité de taxonomie de 2002 (172).

Figure 15 : schéma de l’hybridation ADN/ADN par la méthode de la nucléase S1 (157) DÉNATURATION 100°C, 4 mn HYBRIDATION 70°C, 16 h

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TRAITEMENT à la nucléase S1 digérant tout l’ADN monocaténaire

Renaturation (bruit de fond)

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Hétéroduplex Hétéroduplex PRÉCIPITATION

de l’ADN bicaténaire par de l’acide trichloracétique, FILTRATION

COMPTAGE de la radioactivité

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