• Aucun résultat trouvé

PREMIÈRE PARTIE : THÉORIE ET CONCEPTS

Chapitre 2. L’analyse économique des paysages : réflexions sur les méthodes et les enjeu

2.3. Les outils de valorisation du paysage

2.3.2. Les méthodes directes

Cet ensemble regroupe des méthodes qui sont utilisées soit lorsqu’un marché qui pourrait permettre d’extraire des valeurs pour des aménités environnementales ou paysagères est inexistant ou lorsqu’on désire saisir et mesurer à la fois les bénéfices d’usage et de non- usage. Quand aucun comportement de consommateurs ne peut être analysé, les méthodes directes proposent de créer un marché simulé où se transigeraient des aménités naturelles et où les agents économiques pourraient exprimer leurs préférences. Ces techniques d’enquête consistent en l’échantillonnage d’une population et en la mesure du consentement à payer (ou recevoir) individuel pour une amélioration (ou dégradation) d’un ou de plusieurs biens et services naturels. Il est ensuite possible d’extrapoler les résultats moyens à l’ensemble de la population afin de connaître la valeur totale de l’élément ciblé. La technique la plus célèbre parmi ce groupe est la méthode d’évaluation contingente (MEC), que nous approfondirons tout comme une deuxième technique, plus récente, la méthode des choix multi-attributs (CMA).

2.3.2.1. La méthode d’évaluation contingente

Développée durant les années 1960, ce sont les travaux de Mitchell et Carson (1989) qui contribuèrent à l’institutionnalisation de cette méthode dans la première moitié des années 1990. Elle se base sur la présentation de scénarios futurs à un groupe de répondants qui évalueront monétairement la variation ex ante de leur bien-être en rapport à la nature de ces scénarios. Le répondant possède toujours le choix d’opter pour un scénario de statu quo qui traduit un état de satisfaction par rapport à la situation existante. Il est donc possible d’obtenir un regard sur les préférences des agents économiques face à l’impact d’une politique qui modifie, positivement ou négativement, des aménités environnementales ou paysagères non marchandes.

L’importance du design du questionnaire est grande dans cette démarche : il constitue l’outil central de l’évaluation (Bateman et al., 2002). Celui-ci peut être administré de différentes façons aux répondants, les plus populaires étant des enquêtes web, des questionnaires papier distribués par la poste ou en personne ou des enquêtes par téléphone. La définition de l’actif naturel à valoriser tout comme sa variation dans le temps, dépendamment des scénarios, est cruciale pour saisir le juste consentement à payer. La révélation du consentement à payer chez le répondant doit par la suite se faire au moyen d’une question et d’un support de paiement (compte de taxes, impôts, don à un organisme, etc.). La question peut quant à elle prendre des formes variées, elle peut être ouverte, fermée ou gradée selon des systèmes d’enchères ascendantes ou descendantes.

Le questionnaire doit également comporter des questions sur les caractéristiques socioéconomiques des répondants. L’âge, le revenu, le sexe ou l’éducation constituent des caractéristiques critiques lorsque vient le temps de tester la validité du modèle et des réponses

obtenues. Ces informations sont aussi nécessaires pour la transposition des résultats de l’échantillonnage à l’ensemble des ménages ou des individus de la zone cible.

Son utilisation pour mesurer la valeur des paysages agricoles ruraux est éprouvée, comme en témoigne une littérature foisonnante. Parmi celle-ci, citons Drake et al. (1992) et Pruckner (1995) qui mesurent par cette méthode la valeur de la conservation des milieux agricoles en Suède et en Autriche, Willis et al. (1995) qui estiment la valeur totale de ces milieux en Grande-Bretagne, Kask et al. (2002) sur la valeur de la préservation de milieux agricoles et de leur amélioration paysagère pour les touristes en Virginie et Schapfler et al. (2004) qui mesurent la valeur de la protection du paysage agricole dans la région de Zurich afin de conserver les ressources récréatives locales et l’héritage culturel.

Les résultats issus de cette méthode permettent de mesurer une valeur totale, intégratrice des valeurs d’usage direct, indirect, d’option et des valeurs de non-usage. Par contre, on y associe généralement de nombreux biais, la plupart relatifs à l’emploi d’un marché fictif dans lequel les comportements des agents diffèrent d’un marché réel. Le biais hypothétique, par exemple, réfère à la présentation de préférence déformée, les répondants diminuant leur consentement à payer ou exagérant leur consentement à recevoir pour des variations qualitatives des actifs naturels (ex.: qualité de l’eau) enquêtés. Le biais d’échantillonnage renvoie à un mauvais choix de population cible ou d’une stratification inopportune causée par les techniques d’échantillonnage. On se retrouve alors avec des questionnaires remplis par des individus qui ne sont pas pleinement concernés par les variations paysagères ou environnementales.

2.3.2.2. La méthode des choix multi-attributs

D’abord développée pour étudier les systèmes de transport dans les années 1980, cette méthode fut ensuite utilisée en marketing avant d’être appliquée au tournant des années 1990 à l’environnement. Ce n’est que tout récemment qu’on a noté son utilisation dans l’analyse économique des paysages. Son principe consiste à décomposer un actif en ses principaux attributs.

Voisine de la méthode d’évaluation contingente, par sa technique d’enquête par marché simulé où l’on propose des scénarios d’évolution dans le temps, la méthode des choix multi- attributs (MCMA) permet d’identifier non pas une valeur globale pour une collection d’aménités environnementales ou paysagères d’un bien, mais une mesure marginale de la valeur des changements des différentes caractéristiques le ou les constituant.

En ce sens, en proposant divers scénarios paysagers hypothétiques, Dachary-Bernard (2007) fait varier les niveaux qualitatifs de la lande, du bocage et de l’intégration du bâti afin de connaître les préférences des visiteurs et résidents en regard du paysage rural de la région des monts d’Arrée dans le Finistère français. À titre d’exemple de désagrégation des attributs, les landes sont divisées en trois niveaux où varie le niveau d’arborescence : le premier niveau équivalent à une lande non entretenue qui présente un fort pourcentage de boisés et à l’autre bout du spectre, une lande gérée et maintenue rase et non arborée. Au terme de l’étude, l’auteure trouve une préférence partagée pour les landes arborées et pour un espace agricole fortement bocager s’exprimant à travers des consentements à payer positifs variant de 17,7 à 43,4 €/ménage/an.

Dans les scénarios proposés aux répondants, encore ici opposés à une alternative de statu quo, les attributs varient de façon indépendante, permettant lors de l’analyse une

différenciation des préférences de l’agent pour l’un ou l’autre des constituants de l’actif. Afin de construire ces scénarios, les principaux attributs de l’actif (en général entre 4 et 6) doivent être identifiés et des niveaux de variation qualitatifs apposés à ceux-ci (Bateman et al., 2002). Ces attributs et niveaux varieront aléatoirement dans les propositions de scénarios et le répondant sera appelé à choisir celui qui maximiserait son bien-être futur selon la hiérarchie de ses préférences. Les valeurs monétaires proposées dans les résultats représentent le taux marginal de substitution pour obtenir un niveau de qualité supplémentaire pour chaque attribut.

Les biais associés à cette méthode résident dans la relative complexité générée par les propositions aléatoires de niveaux d’attributs dans les scénarios, ainsi qu’à l’obligation de se limiter à un nombre limité d’attributs et de niveaux pour éviter une trop grande complexité et un taux élevé de non-complétion des questionnaires. Dans une option où l’on considère le paysage comme une collection d’éléments se joignant pour former un tout uniforme, en permettant de valoriser plusieurs niveaux de différents attributs, la MCMA constitue une méthode intéressante pour évaluer l’objet paysager et l’arrimer aux politiques de gestion du territoire.

2.4. Conclusion

Nous avons vu au fil de ce chapitre que le paysage et ses aménités représentent des biens économiques dont la valeur est identifiable. Le défi de leur analyse est de saisir adéquatement les espaces sociaux où se déroulent les jeux d’offre et de demande. L’identification de ces espaces qui deviennent, en quelque sorte, des marchés alternatifs ou indirects, permet à des

méthodes de valorisation des biens non marchands de se déployer. Les méthodes les plus citées pour l’évaluation économique du paysage sont celles des prix hédonistes et de l’évaluation contingente. Cependant, dans les dernières années, on a remarqué une augmentation du recours aux techniques directes, notamment la MCMA.

Il est fréquent de rencontrer une attitude critique face à la valorisation de biens naturels non marchands. Des considérations éthiques et méthodologiques soulèvent dans une certaine mesure des remises en question du regard économique sur la nature, et le paysage le cas échéant (Maris et Revéret, 2010). Par exemple, dans des démarches d’évaluation par préférences exprimées, les répondants peuvent éprouver de la difficulté à se prononcer sur l’apposition d’une valeur économique à un actif qu’ils n’ont jamais vu avec un prix (Torre, 2011).

Face à cette position, il importe à la fois de considérer que la valeur trouvée pour l’actif évalué n’est pas une fin en soi, mais qu’il est une étape vers la création d’indicateurs nouveaux à inclure dans des processus décisionnels. Devant la demande grandissante pour les paysages, la responsabilité du pouvoir public est d’augmenter la boîte à outils lui permettant de prendre les décisions les plus éclairées possibles. Ce constat amène à croire que malgré les incertitudes des résultats économiques, le jeu de l’analyse économique des paysages, ou de l’environnement non marchand en général, est bénéfique dans sa capacité à inclure des éléments qui ne seraient pas pris en compte autrement dans des outils de prise de décision (ex. : les analyses coûts-avantages).

À l’heure actuelle, la question de la coordination des politiques publiques est au centre du problème de la gouvernance paysagère et des aménités associées. Dans ce cadre, la création de nouveaux indicateurs économiques et l’utilisation d’outils d’aide à la décision plus

appropriés sont essentielles. En ce sens, la valorisation économique des paysages et des services écologiques qui leur sont associés propose une approche prometteuse.

Documents relatifs