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Méthodes alternatives permettant de limiter le développement de micro-organismes

CHAPITRE I LES EMULSIONS : DE LEUR FORMULATION A LEUR STABILITE

I.3 Suivi et contrôle de la prolifération des micro-organismes en milieux complexes

I.3.2 Détecter et limiter la croissance des micro-organismes

I.3.2.2 Méthodes alternatives permettant de limiter le développement de micro-organismes

Comme mentionné précédemment, plusieurs conditions environnementales doivent être réunies pour permettre la viabilité et la prolifération des micro-organismes dans une émulsion cosmétique. Ces conditions diffèrent en fonction de la souche microbienne considérée. Ceci laisse à penser qu’en faisant varier « correctement » l’organisation intrinsèque et les propriétés physico-chimiques des formulations, il serait possible de limiter, ou mieux d’empêcher, le développement de ces micro-organismes. Et c’est sur cette

hypothèse que certains développements de formules se font pour réduire les éventuelles contaminations.

Par exemple, l’eau est le constituant majoritaire de la plupart des produits cosmétiques. Elle influence la structure, l’apparence, la conservation, etc., des cosmétiques, mais elle permet aussi aux bactéries de se développer et de dégrader les composants des produits. Il n’est donc pas étonnant que l’un des critères les plus importants pour contrer le développement bactérien soit la mesure de la quantité d’eau suffisante et disponible pour la croissance de micro-organismes, les réactions chimiques, biochimiques ou un changement d’état. Cette quantité d’eau nécessaire qualifiée d’« eau libre » ou « eau disponible » [76] est estimée par l’activité de l’eau 𝑎𝑤 (cf. paragraphe I.3.1). Ainsi, en termes de formulation, il est possible de réduire l’activité de l’eau en utilisant des molécules qui vont capter les molécules d’eau, soit en formant des liaisons hydrogènes avec l’eau (des humectants tels que le glycérol, le propylène glycol ou le sorbitol, etc.), soit en réduisant la mobilité de l’eau (des polymères tels que la gomme de xanthane, la gomme de guar, etc.) [71]. Le laboratoire Novexpert16 développe des produits sans conservateurs au moyen d’une production assurant la stérilité de leurs produits, associée à l’utilisation d’un gélifiant breveté mettant ainsi en évidence l’efficacité de mélanges de pentylène glycol et d’Acnacidol BG17 contre les pollutions microbiennes et ceci pour des faibles doses de 2 à 4%. Les effets désagréables (collant) des polyols sur la texture et la sensorialité sont donc limités ainsi que le coût du produit [77].

Il est également possible d’influer sur la prolifération microbienne en jouant avec les autres matières premières qui composent une émulsion. En effet, certains tensioactifs [78], [79], acides gras, esters (glyceryl caprate, glyceryl caprylate, glyceryl laurate)18 et chélatants (molécules utilisées en parfumeries) [80] ont des propriétés antimicrobiennes ou permettent de renforcer celles du conservateur. C’est ainsi le cas pour le polysorbate 8019 qui est une molécule tensioactive très largement utilisée dans les formulations cosmétiques mais également dans la préparation des aliments et des médicaments à des concentrations comprises généralement entre 0,1 et 5%. Il a été montré qu’à des concentrations dix fois plus

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http://www.novexpert-lab.fr

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Pentylène glycol (nom INCI) : 1,2-dihydroxypentane (nom chimique), numéro CAS : 5343-92-0 ; Acnacidol BG : butylene Glycol (and) 10-Hydroxydecanoic Acid (and) Sebacic Acid (and) 1,10-Decanediol.

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Glyceryl caprate (nom INCI), numéro CAS : 26402-22-2 ; glyceryl caprylate (nom INCI), numéro CAS : 26402-26-6 ; glyceryl laurate (nom INCI) : 2,3-dihydroxypropyl laurate (nom chimique), numéro CAS : 27215-38-4 / 142-18-7

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faibles, le polysorbate 80 était capable d’inhiber la formation de biofilm de Pseudomonas aeruginosa sur des surfaces solides. En revanche, le polysorbate 80 apparait être sans effet sur le mode de croissance planctonique des bactéries et ses propriétés anti biofilm n’ont pas été testées dans un fluide complexe tel qu’une émulsion [81], [82].

Outre le fait de vouloir éviter le développement des micro-organismes au cours de la fabrication d’un produit, il est possible de les éliminer après fabrication via des méthodes de stérilisations. Il en existe de nombreuses, mais la stérilisation à Ultra Haute Température (UHT) est la plus emblématique car elle est déjà utilisée depuis très longtemps en agroalimentaire notamment pour le conditionnement des produits lactés. Le procédé UHT a été breveté pour une utilisation cosmétique par les laboratoires Dermatherm en 2007 [83]. Cette méthode de stérilisation implique un passage rapide à haute température (135°C pendant 3 à 7 s), suivi d’un refroidissement immédiat du produit. Elle est effectuée directement après production, puis les produits sont conditionnés dans des packagings de type airless20 munis en plus d’un bouchon antimicrobien (contenant un antiseptique) [70]. Cependant, ce procédé n’est pas applicable à tous les types de produits cosmétiques, car il est réservé aux textures fluides capables d’être distribués par la pompe airless.

Depuis quelques années, la technique d’homogénéisation à haute pression (HHP) généralement utilisée pour la formation des nanoémulsions en cosmétique [17], [84], [85] ; représente une nouvelle alternative à la stérilisation des émulsions en agroalimentaire [85]– [87] et tend à s’étendre à l’industrie cosmétique. En agroalimentaire, c’est le traitement à haute pression hydrostatique ou pascalisation qui apparait comme alternative à la pasteurisation par UHT pour la conservation des aliments. Elle inactive rapidement les micro-organismes végétatifs et, comme elle peut être appliquée à basse température, les produits traités sous pression ont généralement une qualité nutritionnelle et sensorielle mieux préservée. Cependant, la mise en œuvre de cette technologie à ultra-haute pression est entravée par des coûts d’investissement élevés, dus aux pressions d’utilisation élevées (200-500 MPa) nécessaires pour une inactivation efficace des micro-organismes pathogènes. Par conséquent, la pascalisation n’est économiquement rentable que pour les produits ultra-frais tels que les jus de fruits, la charcuterie, les fruits de mer, des produits de luxe non pasteurisables [88].

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Procédé de distribution par lequel un produit cosmétique est pulvérisé sans air par une haute pression. Ce système est également très utilisé pour l’application de peinture.

En agroalimentaire le principe de la « hurdle technology » est très largement utilisé. Il consiste à créer un environnement hostile pour les micro-organismes grâce à une combinaison de méthodes de conservation différentes [89]. Par exemple, de nombreuses espèces bactériennes gram-positives sont intrinsèquement sensibles à certains peptides ou lysozymes, alors que les bactéries gram-négatives sont généralement protégées en raison de la présence de leur membrane externe imperméable. L’utilisation de la haute pression élargit alors la gamme antimicrobienne de ces composés en perméabilisant la membrane externe [90]. L’étude de l’action synergique de peptides et lysozymes modérément concentrés associée à la technique de stérilisation haute pression, semble être une approche prometteuse pour renforcer l’effet antimicrobien des produits à des pressions plus faibles donc moins coûteuses dans les aliments non acides [91]–[95]. Il s’agit de stopper la croissance microbienne par l’accumulation de diverses contraintes qui doivent chacune, l’une après l’autre, permettre de réduire leur population.

La stérilisation par autoclave quant à elle est largement utilisée pour les dispositifs médicaux, en laboratoire de microbiologie. Il s’agit d’une stérilisation par la vapeur d’eau. En revanche, son utilisation pour la stérilisation des émulsions est complexe car elle peut induire des phénomènes déstabilisant l’émulsion. L’autoclave nécessite donc le développement de formules spécifiques qui résistent aux 121°C sous une faible pression (2 bar, au regard de celle imposée par les stérilisations par haute pression) et pour une durée de 15 à 20 minutes imposées par cette méthode [96], [97].

Enfin, pour préserver la stérilité du produit cosmétique, le choix du contenant, autrement dit du packaging, est crucial. En effet, des packagings spécifiques ont été élaborés afin de limiter au maximum la pénétration des micro-organismes présents dans l’air ou introduits par le consommateur. Il s’agit de systèmes de fermeture (capuchons et embouts) qui protègent ainsi le produit avant et après ouverture en limitant les contacts avec l’environnement extérieur. Les plus répandus utilisent des pompes dites airless, comme système de sortie du produit ; cela permet de s’affranchir des contaminations extérieures en limitant les entrées d’air lors de l’utilisation du produit et garantis une formule stérile uniquement si les systèmes de remplissage à la fabrication ont été assemblés sous atmosphère stérile. Il existe également d’autres dispositifs de fermeture spécifique, notamment le D.E.F.I. (Device for Exclusive Formula Integrity), développé pour la marque

Avène® et breveté par le laboratoire Pierre Fabre21, d’une étanchéité totale (avec absence de volume mort) empêchant les entrées d’air dans le contenant.

En conclusion, le respect des bonnes pratiques de fabrication (BPF) et l’utilisation d’un emballage approprié en combinaison avec le contrôle de facteurs cruciaux pour la croissance des micro-organismes, peuvent considérablement réduire la quantité de conservateurs traditionnels (chimiques) ou dans d’autres cas les remplacer. L’association de toutes ces méthodes selon le principe de la « hurdle technologie » semble représenter une solution attrayante pour les industriels [71], [80]. Mais certains inconvénients demeurent : soit des points de vue financier et de transposition à une échelle industrielle ; soit en imposant des contraintes de formulation limitant les bénéfices sensoriels du produit (car bien évidemment tous les produits ne sont pas adaptés à tous les systèmes de stérilisation). Une meilleure compréhension des interactions entre la structure des émulsions et les micro-organismes, offrirait alors plus de liberté dans le développement des formules micro-biostatiques.