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1.2 Les médias dans la société et dans l'univers des jeunes

1.2.3 Les médias et les théories du complot

Le premier site consacré à la rumeur est apparu aux USA en 1991(ftp://rtfm.mit.edu). En 1997, le nombre de sites de ce genre accroit considérablement, proposant généralement aux internautes les rubriques suivantes : Avis de recherche - Boycott – Chaîne – Désinformation – Humour – Information - Légende urbaine - Mise en garde – Pétition – Rumeur – Solidarité – Témoignage – Virus. Hoaxbuster fut le premier site francophone anti-rumeur, dont les visites

131 OCTOBRE, Sylvie. Deux pouces et des neurones. Les cultures juvéniles de l'ère médiatique à l'ère numérique. Ministère de la Culture et de la Communication, 2014.

132 CLEMI. Les jeunes et les médias 2015. CLEMI [en ligne]. s.d. [Consulté le 27 octobre 2016]. Disponible à l’adresse suivante : https://www.clemi.fr/fr/ressources/nos-ressources-pedagogiques/ressources-pedagogiques/les- jeunes-et-les-medias-2015.html

133 AILLERIE, Karine. Pratiques informationnelles informelles des adolescents (14 - 18 ans) sur le Web. Sciences de

l’information et de la communication. Université Paris-Nord - Paris XIII, 2011[en ligne]. 20 décembre 2011. [Consulté le 26 octobre 2016]. Disponible à l’adresse suivante : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00653958/document

134 CARASCO, Aude. Comment rétablir la confiance dans les médias ? Op. Cit.

135 SUTTER, Eric. Pour une écologie de l'information. Documentaliste - Sciences de l'information, vol. 35, n°2, 1998, p. 83-86

mensuelles en 2000 avoisinaient les 200 000 visiteurs136. Un site qui est régulièrement cité comme

une source fiable d'information dans les grandes affaires de rumeur137, et cela par les médias sources

traditionnels tels que TF1 (journal de 20h), France5 (l'émission c'est dans l'air), LCP (Médiapol), etc138. Dans son article, Pascal Froissart, sociologue au CNRS, souligne que les sites consacrés à

démentir les rumeurs, excepté un site géré par la CIA, sont tous alimentés par des bénévoles. Il s'interroge donc sur le fait que médias et autorités renvoient les citoyens sur ces sites, qui n'ont pourtant pas été légitimés par les autorités publiques et qui manquent pour la plupart de moyens d'investigation. Pour reprendre l'exemple du site français de Hoaxbuster, son équipe est composée de trois personnes bénévoles : un diplômé d’anglais (CAPES ) et formateur au Centre national d’enseignement à distance (CNED ), un chef de projet Internet (vaguemestre) et un juriste. Dans son Manuel d'autodéfense intellectuelle, Sophie Mazet invite le lecteur à vérifier en cas de doute l'information sur des sites consacrés à la rumeur comme Conspiracywatch139. Soulignons tout de

même que Conspiracywatch est en fait un blog, qui se fait aussi appeler l'observatoire du conspirationnisme et des théories du complot, et qu'il ne réunit pas tous les critères de confiance enseignés aux élèves (pas de mentions légales, pas de possibilité de contacter l'auteur, peu d'information sur l'autorité de l'auteur). De plus, il est important de noter que les fonctions publiques de Rudy Reichstadt, chef de bureau des affaires financières à la Mairie de Paris, créateur de Conspiracywatch, peuvent décrédibiliser sa mission visant à démentir les théories du complot. En effet, l'une des caractéristiques des complotistes est de rejeter systématiquement tous les discours officiels, émanant des autorités ou des médias traditionnels d'information, comme le rappelle le site Wikipédia dans sa définition de théorie du complot : « Les explications officielles ou scientifiques établies par les pouvoirs publics et relayées par les grands médias d'information seront structurellement discréditées. 140 ».

Ce qui explique sans doute l'échec des médias traditionnels d'information qui se sont lancés dans la lutte contre les théories du complot : le site Washington Post a mis fin à sa rubrique consacrée aux théories du complot, le magazine Skeptical Inquirer a reconnu son échec début 2015, et les journalistes du magazine Sciences et Vie reconnaissent aussi se décourager peu à peu141. A

cette explication, nous pourrions ajouter le constat de Pascal Froissart dans une interview accordée à Europe 1, qui explique que le fait de parler des théories du complot dans les médias traditionnels augmentent la popularité de ces théories, et des sites qui en parlent142. De plus, dans un article

136 FROISSART, Pascal. La « rumeur sur Internet ». Petite histoire des sites de référence. 2003. HAL [en ligne]. 21 juin 2004. [Consulté le 18 octobre 2016]Disponible sur : https://halshs.archives-ouvertes.fr/sic_00001008/document 137 Ibid

138 BROSSARD, Guillaume. Ils en parlent. Hoaxbuster[en ligne]. Octobre 2016. [Consulté le 27 octobre 2016]. Disponible à l’adresse suivante : http://www.hoaxbuster.com/ils-en-parlent

139 MAZET, Sophie. Manuel d'autodéfense intellectuelle. Op. Cit. p. 86

140 WIKIPEDIA. Théorie du complot. Wikipédia [en ligne]. 13 octobre 2016.[Consulté le 15 octobre 2016]. Disponible à l’adresse suivante : https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_du_complot

141 SCIENCES ET VIE. Vous avez dit complot ?, nos cerveaux programmés pour y croire. Sciences et vie, n°1187, août 2016.

publié sur le site Acrimed, l'observatoire des médias, Henri Maler, professeur en sciences politiques et Patrick Champagne, sociologue, dénoncent le fait que la critique « des théories du complot » qui s'opère dans les médias traditionnels, utilise à peu près les mêmes procédés que ceux qu'elle dénonce. Ils se réfèrent tout particulièrement à l'interview de Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la question. Dans cette interview, Pierre-André Taguieff renomme les conspirationnistes, les « dubitationnistes » et explique que « à force de critiques, on détruit le réel. »143. Le spécialiste va encore plus loin en confondant les conspirationnistes et les

journalistes d'investigation qui s'intéressent aux zones d'ombres : « Ce sont des gens qui s’intéressent aux zones d’ombre, souterrain, crypte, caveau, nuit, tout cela c’est le complot. »144.

Même le sociologue Pierre Bourdieu est étiqueté « complotiste », ce que dénoncent les auteurs. Plus loin dans l'article, Patrick Champagne et Henri Maler ajoutent que certains médias traditionnels encouragent les croyances en des théories du complot, et cela de part leurs publications ou leurs émissions sur, par exemple, les « Francs-maçons », les « dessous de », etc145. Michel Wievorka

souligne que les médias (traditionnels) accordent parfois trop d'importance aux théories du complot, un emballement médiatique146qui peut effectivement promouvoir plutôt que discréditer ce genre de

théories.

Ces publications ou émissions ne doivent pas être nommées pour seul responsable, les séries aussi telles que la célèbre série Xfiles ont eu tendance à développer chez les téléspectateurs le goût pour le complot147. Les théories ont aussi envahi la culture populaire par le biais de la littérature

comme par exemple avec le livre Da Vinci Code, vendu à 86 millions d'exemplaires, adapté ensuite au cinéma. Une histoire qui entretient l'imaginaire des sociétés secrètes. Autre exemple, le film JFK d'Olivier Stone, sur l'assasinat de Kennedy, a lui aussi marqué les esprits148.

Que ce soit par rapport à cette invasion dans la culture populaire ou sur Internet, l'historien et éditeur Pierre Nora reste confiant pour l'avenir. Selon le fondateur de la revue « Le Débat », l'emprise sur le public des théories du complot véhiculées par Internet devrait progressivement diminuer : « Les gens liront ces thèses et s'en ficheront pas mal. »149. Mais en attendant le doute vis-

à-vis de l'information véhiculée sur le web reste inévitable et « c'est bien au final, la question de l'évaluation de l'information qui se pose 150» souligne le chercheur en sciences de l'information et de

T u b e[en ligne]. 8 février 2016. [Consulté le 27 octobre 2016]. Disponible à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=UAS-_UmAbK0

143 MALER, Henri et Patrick CHAMPAGNE. « La théorie du complot » en version France Culture (par P.- A.Taguieff, savant). Op. Cit.

144 Ibid.

145 MALER, Henri et Patrick CHAMPAGNE. « La théorie du complot » en version France Culture (par P.- A.Taguieff, savant). Op. Cit.

146 WIEVIORKA, Michel. Face à la « postvérité » et au « complotisme ». Op. Cit. 147 MAZET, Sophie. Manuel d'autodéfense intellectuelle. Op. Cit.

148 NOUYRIGAT, Vincent.Vous avez dit complot ?, nos cerveaux programmés pour y croire. Op. Cit. 149 MORIN, Edgar, Pierre NORA et etc. Des intellectuels jugent les médias. Op. Cit.

150 LE DEUFF, Olivier. De la méfiance à la défiance : analyse informationnelle du mythe du complot. R3I. revue

internationale en intelligence informationnelle, 2008, p. 1-11 [en ligne]. 29 janvier 2015 [Consulté le 30 décembre

la communication, Olivier Le Deuff. L'Education nationale s'est donc fixée cette lourde mission de donner aux jeunes les clefs pour faire face à ces théories, une mission à laquelle peut répondre l'enseignement de l'information-documentation, par exemple, comme le propose Brigitte Juanals en dispensant aux élèves trois niveaux de compétences de la culture de l'information : un premier niveau consacré à la maîtrise de l'accès à l'information, un second à la culture de l'accès à l'information et un troisième niveau portant sur la culture de l'information151.

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