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5. Discussion

5.2. Peu de pratiques conformes aux recommandations

5.3.2. Une méconnaissance des protocoles relatifs à la prescription des TAO

L’instruction de la DGS du 17 novembre 2010 relative à l’organisation de la prise en charge des addictions en détention indique : « Un protocole organisationnel local est

élaboré sous la responsabilité de la personne désignée et présenté dans le comité de coordination de l’établissement. Ce protocole fera l’objet d’une validation de la part du Directeur général de l’Agence régionale de Santé 24. » En janvier 2020, l’ARS Hauts-de- France dispose de tous ces protocoles. Une partie du protocole fait référence à « la

prescription et le suivi des traitements de substitution et le relais à la sortie ». Moins de la

moitié des médecins ont connaissance des protocoles relatifs aux TAO dans leur établissement. Dans l’étude Addiction et milieu carcéral, les répondant.e.s étaient

présence du personnel UCSA [unité de consultation et de soins ambulatoires, ex- USMP](14), 42 % répondaient qu’il n’existait pas.

5.3.3. Des pratiques de prescription des TAO hétérogènes

Pour rappel, quatre situations cliniques portent sur le renouvellement d’un traitement suivi en ville et interrompu quelques jours avant la visite, l’instauration de traitement et la conduite à tenir devant un mésusage. Ils ont été imaginés en s’appuyant sur les situations prévues par le Guide des TSO en milieu carcéral 11.

La première situation clinique porte sur le renouvellement de la buprénorphine haut dosage. Le Guide des TSO en milieu carcéral, publié en 2011, précise que « le principe de

continuité implique que la posologie prescrite à l’extérieur soit reconduite en milieu carcéral surtout si le patient est stabilisé dans le respect de l’AMM (maximum de 16 mg/j en une prise pour la buprénorphine haut dosage) ». Tous les répondant.e.s disent renouveler le

traitement, mais avec une variabilité importante dans la posologie à laquelle est repris le traitement. Les recommandations européennes relatives à la prescription des TAO 27 citent une étude selon laquelle des doses supérieures à 16 mg/jour sont associées à une réduction plus importante de la consommation de drogues illicites que des doses inférieures à 16 mg/j 28. L’AMM de la buprénorphine haut dosage est passée d’une posologie maximale de 16 mg/j à 24 mg/j en octobre 2018 29. Pourtant, seuls 13 % des répondant.e.s indiquent pouvoir renouveler la posologie jusqu’à 24 mg/j. 13 % indiquent renouveler sans dépasser 10 mg/j et 13 % indiquent diminuer la posologie.

La deuxième situation clinique porte sur un renouvellement de méthadone avec une interruption plus longue du traitement (3 à 5 jours). Cette situation est fréquente à l’arrivée en milieu carcéral, c’est le cas des patients qui n’ont pas reçu leur traitement pendant la garde à vue. Le Guide des TSO en milieu carcéral 11 recommande de :

« réduire la posologie initiale (afin d’éviter un surdosage) avant d’atteindre à nouveau

la posologie habituelle du patient, selon les indications suivantes : – pour les patients recevant une dose supérieure à 40 mg/j : - délai entre 3 et 5 jours : réduire la dose de moitié ».

45 % des répondant.e.s indiquent reprendre le traitement à une posologie comprise entre 60 et 90 mg/j.

Une méta-analyse parue dans le British Medical Journal en 2017 portait sur le risque de mortalité pendant et après traitement de substitution 30. La phase d’induction du traitement par méthadone est l'une des plus à risque (11,3 décès toutes causes confondues pour 1 000 patients-années contre 6 pour 1 000 environ pendant le traitement). Les explications proposées sont l’accumulation de méthadone qui pourrait dépasser le niveau de tolérance aux opioïdes, des facteurs psychologiques et la consommation concomitante d’autres dépresseurs respiratoires, tels que médicaments ou cocaïne. Pourtant, 18 % des répondant.e.s indiquent reprendre le traitement à 120 mg/j.

Une revue systématique de la littérature Cochrane de 2003 31 portant sur différents dosages de méthadone en population générale retrouvait 11 essais contrôlés randomisés et 10 études prospectives pour un nombre de sujets total de 2 279 et 3 715 respectivement. Ces études mettaient en évidence une efficacité supérieure des hautes doses (supérieures à 60 mg/j) par rapport aux faibles doses en matière de poursuite du traitement (RR 1,62 à long terme), de diminution de l'usage rapporté d'opiacés, d'abstinence aux opiacés à 3-4 semaines (RR 1,59), d’abstinence à la cocaïne à 3-4 semaines (RR 1,81), de diminution de risque d’overdose à 6 ans (RR 0,29). Une étude de 2013 portant sur un petit effectif (n=72) de personnes sortant de prison comparait des posologies de méthadone inférieures à 80 mg/j contre des posologies supérieures à 80 mg/j 32. Les posologies plus importantes étaient associées avec une meilleure poursuite du traitement à 12 mois, 73,1 % contre 29,0 %. Dans l’étude rapportée ici, 13 % des répondant.e.s déclarent reprendre la méthadone à 40 mg/j. Ces réponses posent la question du sous-dosage responsable de signes de manque à court terme et de moins bons résultats à long terme. Trouver la posologie optimale pour chaque patient repose sur une réévaluation régulière. Seuls 37 % des répondant.e.s disent réévaluer les patient.e.s à distance. Ce résultat pourrait être expliqué par le peu de temps médical disponible. La réévaluation est indispensable pour atteindre une posologie efficace, facteur déterminant pour le pronostic du patient.

Une troisième situation clinique pose la question de l’instauration d’un TAO dans le cadre d’une consommation d’opiacée non substituée avant l’incarcération. La mortalité des patients sous TAO est à moins d’un tiers de la mortalité attendue en l’absence de TAO selon la méta-analyse déjà citée 30. Un essai contrôlé randomisé portant sur 211 sujets retrouvait que l’instauration d’un traitement par buprénorphine haut dosage en détention était associée à une durée moyenne de suivi plus longue que lorsque le traitement est initié après la sortie,

TAO avant l’entrée 34. L’instauration en détention était donc plus la norme que le renouvellement. Le projet européen My First 48h Out identifie le fait que la personne doive “prouver” qu’elle a besoin du traitement comme une barrière à la continuité des soins dans les prisons en France 16. 21 % des répondant.e.s indiquent ne jamais initier de TAO dans cette situation. Ce résultat pose, avec les deux précédents, la question de la perte de chance pour un.e patient.e qui pourrait bénéficier ou pas d’une substitution selon le médecin et le service qui le.la prendra en charge.

Selon le recueil standardisé d’informations sur l’activité de divers services financés en missions d’intérêt général PIRAMIG 2017, repris par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) 10, 42,1 % des personnes détenues sous TSO en France reçoivent de la buprénorphine haut dosage, 15 % de la buprénorphine haut dosage naloxone (Suboxone ®) et 42,8 % de la méthadone. Une revue systématique de littérature Cochrane de 2014 35 comparant buprénorphine haut dosage et méthadone ne retrouvait pas de différence en matière d’efficacité (poursuite du traitement et arrêt de consommation d'opiacés) lorsque des doses moyennes à élevées étaient utilisées (supérieures à 6 mg/j pour la buprénorphine haut dosage et supérieures à 40 mg/j pour la méthadone). Lorsque des doses faibles étaient utilisées (moins de 6 mg/j pour la buprénorphine haut dosage et moins de 40 mg/j pour la méthadone), la méthadone avait de meilleurs résultats en matière de poursuite du traitement. Les recommandations du National Institute for Health and Care

Excellence 36, revues en 2019, indiquent, dans leur chapitre spécifique au milieu carcéral, que méthadone et buprénorphine haut dosage devraient être proposées et que le choix du traitement dépend des antécédents de traitement du patient et de ses préférences. Les recommandations de l’American Society of Addiction Medicine 23 indiquent également dans leur partie relative à la prison qu’il n’y a pas suffisamment de preuves pour recommander un traitement comme supérieur à un autre pour les personnes incarcérées. Parmi les personnes qui disaient pouvoir initier un TAO dans cette situation, 36 % proposaient la méthadone et 18 % la buprénorphine haut dosage lyophilisat (Orobupré ®), 13 % la buprénorphine haut dosage. Les recommandations de la Canadian Medical Association 37 mentionnent la buprénorphine haut dosage naloxone comme la première ligne de traitement dans la prise en charge de la dépendance aux opiacés, avant la méthadone. Elle est à privilégier en raison notamment du risque moindre d’overdose. Les recommandations européennes 27 indiquent que la la méthadone avec prise supervisée ou la buprénorphine haut dosage naloxone doivent être privilégiées en détention. Certains répondant.e.s ont indiqué pouvoir initier un TAO sans préciser de spécialité. La buprénorphine haut dosage

naloxone (Suboxone ®) est citée par 8 % des répondant.e.s. On retiendra que l’instauration d’un traitement de substitution à l'arrivée en détention est associée à une diminution des consommations et de la mortalité.

La quatrième situation clinique pose la question de la conduite à tenir devant un mésusage de buprénorphine haut dosage. Le Guide des TSO en milieu carcéral 11 indique que le mésusage est souvent le signe d’un traitement insuffisamment dosé ou non adapté. 47 % des répondant.e.s proposaient une augmentation et/ou un relais vers un autre traitement. Parmi eux, 36 % mentionnent uniquement le changement de traitement. Seuls 11 % mentionnent à la fois l’augmentation et le relais comme des stratégies possibles. L'arrêt du traitement est une autre période à risque de décès mise en évidence par la méta- analyse de 2017 précédemment citée 30. Le risque de décès toutes causes confondues est de 36,1 pour 1 000 patients-années à l'arrêt de la méthadone (contre 6 pour 1 000 environ pendant le traitement et 13,5 pour 1 000 à distance de l'arrêt). Le risque de décès par overdose est évalué à 12,7 pour 1 000 patients-années à l'arrêt de la méthadone. Cette mortalité accrue pourrait s’expliquer par la perte de tolérance aux opiacés mais également par des facteurs en lien avec la santé mentale tels que le suicide ou les accidents. Un essai contrôlé randomisé 38 a comparé la poursuite et l'arrêt progressif de la méthadone à l'arrivée en détention chez 179 personnes. Un an après la sortie, le groupe avec arrêt de la méthadone présentait plus de consommations d'héroïne (OR 2,02), plus d’injections (OR 2,95), plus d’overdoses non fatales (OR 2,83) et moins de suivi méthadone (OR 0,83). 13 % des répondant.e.s préconisent un arrêt sans relais de traitement, 18 % une diminution. L'arrêt du traitement est donc une décision qui expose le patient à un risque accru de décès et à un moins bon pronostic en matière de prise en charge de son addiction et de ses conséquences.

Ces quatre situations cliniques mettent en évidence une hétérogénéité des pratiques des prescripteurs, qui pose la question de l’égalité d’accès aux soins des patients en détention.

5.3.4. Des programmes insuffisants en matière de réduction des risques et des

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