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La question de l’origine des rayons cosmiques n’a toujours pas trouvé de ré- ponse définitive aujourd’hui. Parmi les différents sites et mécanismes d’accélération étudiés, les chocs de supernova sont reconnus depuis plusieurs dizaines d’années comme les principaux candidats. Cette hypothèse a en effet répondu à de nom- breuses contraintes observationnelles, mais des difficultés persistent. D’autres scé- narios ont connu récemment un regain d’intérêt.Maurin et al.(2016) ont ainsi étudié l’efficacité des vents stellaires d’étoiles jeunes pour accélérer les RCs. La comparai- son de leur modèle avec huit amas d’étoiles observés par Fermi-LAT indique que moins de 10% de la luminosité des vents est transférée aux RCs. Des scénarios d’ac- célération alternatifs impliquent notamment des jets relativistes dans les centres de galaxie ou des superbulles. Je discute de cette dernière possibilité dans le Chapitre 4.

Accélération dans les chocs de supernova

Baade et Zwicky(1934) suggérèrent que les explosions de supernova pourraient fournir assez d’énergie pour accélérer les RCs. Leur fréquence est d’environ 3 par siècle dans notre Galaxie et l’énergie cinétique libérée est typiquement de 1051ergs par explosion. Une efficacité de transfert d’énergie aux RCs de 10% suffirait pour expliquer la population de RCs mesurée dans la Galaxie. Une première version du mécanisme responsable de l’accélération des RCs fut proposée parFermi(1949). Elle est appelée depuis accélération de Fermi d’ordre 2. Une version plus efficace et plus en accord avec les observations fut développée à la fin des années 70 (Krymskii, 1977;Blandford et Ostriker,1978;Bell,1978), appelée depuis accélération de Fermi d’ordre 1.

Les deux processus sont basés sur la diffusion des RCs sur des turbulences ma- gnétiques, avec un gain d’énergie pour la particule si la turbulence vient au-devant d’elle et une perte d’énergie si la particule rattrape la turbulence. Dans la version ini- tiale proposée par Fermi avec des nuages magnétiques, le bilan des transferts d’éner- gie sur tout l’espace autour du nuage fournit un gain net en énergie∆E/E ∝(v/c)2 pour une vitesse v du nuage et une vitesse c du RC. Le cadre d’un choc se révèle

fondamentalement différent car, dans le référentiel du choc, la particule verra tou- jours le fluide en amont ou en aval s’approcher d’elle, quelle que soit sa direction. Le gain d’énergie est alors du premier ordre en∆E/E ∝ Vc/c où Vc est la vitesse du choc. La dépendance linéaire ou quadratique en V/c explique les dénominations d’accélération d’ordre 1 ou 2 pour les deux processus.

Un des aspects les plus intéressants de l’accélération par diffusion dans un choc est la prédiction d’un spectre des particules accélérées en loi de puissance, indépen- damment du spectre d’injection, du détail des processus d’interaction, de la géomé- trie du choc, ou de l’état du plasma ambiant. Le spectre est uniquement déterminé par le facteur de compression du choc, r = u1/u2. u1et u2 sont ici les vitesses dans le référentiel du choc des fluides en amont et en aval, respectivement. L’indice spec- tral de la fonction de distribution dans l’espace des quantités de mouvement des particules accélérées est donné par

αp = 3r

r−1. (3.1)

Avec les conditions de saut d’un choc purement hydrodynamique, il est possible d’exprimer le facteur de compression comme

r= (γ+1)M

2 s

(γ−1)M2s+2, (3.2)

où Ms = u1/cs1 est le nombre de Mach du choc, dépendant de la vitesse du son dans le milieu en amont cs1 et γ est l’indice adiabatique du gaz. Pour des chocs forts, Ms 1, le facteur r tend vers 4 et le spectre adopte la dépendance universelle

f ∝ p−4, ou E−2à des énergies relativistes (en utilisant E−αedE =4π p2p−αpdp). De plus, si les restes de supernova sont les sources principales des RCs Galac- tiques, les particules doivent pouvoir y être accélérées jusqu’au genou, autour de 3×1015eV. L’énergie maximale des particules dépend de l’évolution temporelle du choc, ainsi que des pertes que vont subir les RCs. Les pertes concernent principa- lement les leptons, par émission de rayonnement synchrotron. L’énergie maximale des noyaux dépendra seulement du rapport entre le temps caractéristique d’accélé- ration (qui décroît avec l’intensité du champ magnétique en amont et Vc2) et l’âge du reste de supernova. Le choc doit en effet être assez ancien pour que les RCs aient eu le temps d’y être accélérés. L’efficacité d’accélération décroît avec l’âge. Elle est maximale pendant la première phase d’expansion libre, d’une durée de quelques siècles, puis décroît durant la phase de Sedov-Taylor (débutant lorsque la masse de gaz interstellaire choquée atteint celle des éjectas initiaux). Dans le cadre de l’accé- lération de Fermi 1 classique, l’énergie maximum des noyaux limitée par l’âge du choc vaut Emax = Z τˆage 0 r−1 2r ZeB1Vc(t) 2dt, (3.3)

avec B1 l’intensité du champ magnétique en amont du choc. L’énergie maximale n’excède pas 104−5 GeV pour des paramètres typiques d’évolution de reste de su- pernova. Cette énergie est un à deux ordres de grandeur en dessous du genou. Mais avant d’abandonner les supernovae comme accélérateurs à cause de ces lacunes, il convient d’aborder les récents développements de cette théorie.

44 Chapitre 3. Généralités sur les rayons cosmiques

Accélération non linéaire

Il a été rapporté très tôt que les particules accélérées doivent avoir un rôle dy- namique dans le processus du choc lui-même (Axford et al., 1977). On peut citer parmi les différents effets de rétroaction non linéaires la modification du choc par la pression des RCs et une compressibilité accrue du gaz à cause de la présence des particules relativistes (d’indice adiabatique γ = 4/3,Berezhko et Ellison,1999). Le courant de fuite de RCs en dehors du reste de supernova provoque également le développement d’instabilités de Bell menant à une amplification du champ magné- tique en amont du choc (Bell,2004).

La pression des RCs diffusant en amont du choc ralentit le gaz interstellaire avant qu’il n’atteigne le choc. Le profil de vitesse du plasma près du choc est donc modifié, avec un premier sous-choc de rapport r = 2−3 et un second saut de vitesse de rapport r = 3−4. Le rapport total, proche de 8-10, est nettement supérieur à la valeur r = 4 sans rétroaction. Les RCs seront accélérés dans le sous-choc à basse énergie et diffuseront de part et d’autre du choc total à haute énergie, conduisant à une distribution f(p)d’indice se durcissant (r croissant) à plus haute énergie, comme montré sur la figure3.2.

FIGURE3.2 – Fonction de distribution des protons, simulée par Monte Carlo avec un mo- dèle non linéaire d’accélération dans un choc superdiffusif (Bykov et al.,2017). Les spectres des particules en aval (DS) et des particules s’échappant en amont (Qesc) sont montrés. Les

courbes noires sont pour le cas de superdiffusion, celles de couleur pour la diffusion nor- male. L’insert est un zoom sur les spectres de fuite.

Ces mêmes particules se propageant en amont du choc vont également amplifier des turbulences magnétiques jusqu’à des intensités pouvant être bien plus grandes

que le champ moyen ambiant. Cette amplification est possible pour des chocs pa- rallèles ou perpendiculaires (Matthews et al.,2017). De telles intensités permettent d’accélérer efficacement les RCs à haute énergie, mais la simulation de la figure3.2 montre que les énergies maximales atteignent tout juste 1015eV. Une tension subsiste avec les observations des télescopes au TeV qui révèlent des spectres γ plus mous dans les restes de supernova et qui ne dépassent pas quelques dizaines de TeV. Des observations récentes du reste de supernova de Tycho par VERITAS et Fermi (Ar- chambault et al.,2017) suggèrent que le spectre de protons pourrait s’arrêter bien avant les énergies du PeV. Il subsiste de plus une grande ambiguïté sur l’origine des rayons γ et la proportion due aux noyaux cosmiques et à l’émission Compton inverse des électrons.

Les observations de restes de supernova

On peut noter deux canaux d’observation principaux pour étudier le lien entre les restes de supernova et les RCs : l’émission synchrotron des électrons cosmiques dans le champ magnétique du reste et l’émission de rayons γ provenant de l’inter- action des noyaux accélérés avec le gaz du reste et du milieu interstellaire en amont du choc.

Les supernovae sont des sources classiques pour l’astronomie γ aux énergies du GeV et du TeV. Bien que la présence de populations de particules non ther- miques apparaisse évidente, les preuves d’accélération de noyaux restent plus rares à cause de la dégénérescence entre les émissions d’origine leptonique par Compton inverse, et celles d’origine hadronique par interaction avec le gaz. Un exemple ty- pique est celui du reste de supernova RX J1713.7-3946 dont l’émission γ peut être expliquée par un scénario leptonique (Finke et Dermer,2012) ou hadronique (Gabici et Aharonian,2014). Cependant, différentes observations récentes de supernovae in- teragissant avec des nuages moléculaires proches présentent pour la première fois les preuves d’une accélération de protons dans leurs chocs.Ackermann et al.(2013) ont observé avec Fermi-LAT une signature de désintégration de pions π0 dans les restes de supernova W44 et IC443.

Une émission synchrotron en rayons X a été trouvée dans plusieurs restes de su- pernova, telles que SN 1006 (Koyama et al.,1995), RX J1713.7-3946 (Koyama et al., 1997) ou Cas A (Allen et al.,1997). Ces observations signent la présence d’électrons d’environ 100 TeV récemment accélérés par l’onde de choc. Les émissions synchro- tron détectées en radio/X pour des électrons cosmiques âgés/jeunes sont des outils importants pour compléter les observations dans le domaine γ pour lever la dégé- nérescence sur l’origine hadronique ou leptonique des photons γ. L’émission syn- chrotron en X et en radio permet notamment de contraindre l’intensité du champ magnétique et la contribution du Compton inverse à l’émission totale de photons γ. Des champs magnétiques intenses (∼100 µG) ont été découverts dans des fila- ments d’intensité synchrotron X rapidement variable dans la source J1713.7-3946 (Uchiyama et al.,2007). Les observations en rayons X d’un précurseur en amont du choc dans SN 1006 sont cohérentes avec les prédictions de la théorie non linéaire, in- diquant une amplification du champ magnétique d’un facteur∼10 au choc (Morlino et al.,2010). Des facteurs de compression forts ont ainsi pu être estimés, par exemple dans les objets SN 1006 (Cassam-Chenaï et al.,2008) ou Tycho (Warren et al.,2005). La revue parVink(2012) donne plus de détails sur l’importance de ces observations mais aussi sur les difficultés qui les accompagnent.

La Figure3.3montre deux exemples d’observations : RX J1713.7-3946 et Tycho. Le premier est un reste de supernova à effondrement de cœur. Ses émissions de

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FIGURE 3.3 – Gauche : Émission γ à haute énergie de RX J1713.7-3946 détectée par HESS (Aharonian et al.,2007). Les contours correspondent à l’émission X entre 1 et 3 keV mesurée

par le Advanced Satellite for Cosmology and Astrophysics (ASCA, Uchiyama et al.,2002a).

Droite : Observation en rayons X du reste de supernova Tycho par Chandra (Warren et al.,

2005). Les trois couleurs correspondent aux bandes en énergie 0.95-1.26 keV (rouge), 1.63-

2.26 kev (vert) et 4.1-6.1 keV (bleu).

rayons γ (couleurs) et X (contours) sont très bien corrélées spatialement, ce qui peut s’expliquer si les électrons vus en synchrotron en X diffusent le rayonnement cos- mologique en rayons γ (peut-être). Le reste de supernova de Tycho provient de l’ex- plosion d’une supernova de type Ia qui a eu lieu en 1572 à 3 kpc du système solaire. L’image montre l’émission thermique du gaz en rayons X, venant principalement des éjectas de l’explosion, ainsi que l’émission synchrotron des électrons accélérés près de l’onde de choc (en bleu sur l’image).

Fuite des rayons cosmiques du choc

Les RCs de haute énergie ayant le plus grand rayon de giration se découplent les premiers de la structure magnétique aux alentours du choc et s’évadent ainsi les premiers du reste de supernova. Le spectre de particules qui s’échappent du choc est donc très différent de celui des particules accélérées (voir Figure3.2).

Dans leur analyse de 2013,Malkov et al. considèrent que le transport des RCs aux alentours d’une source est ensuite régulé par leur diffusion sur des ondes d’Alf- vén qu’ils génèrent eux-mêmes car leur pression diminue avec la distance à la source (voir la section3.4). En s’éloignant, leur confinement par les turbulences se fait de moins en moins efficace et leur permet de s’échapper de plus en plus vite. Cette fuite se fait de façon anisotrope le long des lignes de champ et une interaction avec un nuage proche, visible par les rayons γ, nécessite une connexion entre la source et le nuage cible via un tube magnétique. L’interprétation des données γ aux alentours des restes de supernova dépend donc de façon critique de notre compréhension du spectre de particules émergeant des sources, du mode de transport près des sources et de la configuration 3D du gaz et du champ magnétique moyen autour de la source. Ces trois aspects restent très difficiles à étudier, tant sur le plan théorique qu’obser- vationnel, et l’accélération des RCs est généralement traitée de façon séparée de leur propagation loin des sources.

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