2.1. Généralités sur les maladies auto-‐immunes
2.1.1. Mécanismes aboutissant à la rupture de tolérance au soi
25 2. Maladies auto-‐immunes
Après avoir exposé brièvement les mécanismes physiopathologiques à l’origine des maladies auto-‐immunes, certaines d’entre elles seront abordées, en distinguant notamment les formes spécifiques d’organes et les formes systémiques. Deux d’entre elles seront décrites sur le plan de la physiopathologie, de la clinique et de la thérapeutique car elles sont l’objet du travail portant sur l’implication des cellules NK.
2.1. Généralités sur les maladies auto-‐immunes
Les maladies auto-‐immunes sont le résultat d’une rupture de tolérance au soi.
2.1.1. Mécanismes aboutissant à la rupture de tolérance au soi
La fonction du système immunitaire est de distinguer le soi du non soi. Pour être en mesure de défendre un organisme contre 1012 antigènes potentiels, le système immunitaire développe un répertoire immunitaire au moins partiellement dirigé contre des antigènes du soi. Si physiologiquement des réactions auto-‐immunes ont lieu régulièrement dans un organisme (comme en témoignent l’existence de lymphocytes T ou B auto-‐réactifs et d’auto-‐anticorps naturels [92]), celles-‐ci n’aboutissent que très rarement à des situations pathologiques, c’est à dire à des lésions tissulaires. En effet, pour engendrer une réponse immunitaire capable de discriminer le soi du non-‐soi, il est nécessaire de franchir toutes les étapes immunologiques nécessaires (reconnaissance, présentation, co-‐stimulation, activation et prolifération etc…). A chacune de ces étapes des contrôles sont mis en place (mécanismes de tolérance au soi) [93]. Il faut donc au moins qu’un de ces mécanismes soit défaillant, inhibé ou activé, pour qu’une réaction auto-‐immune se développe et engendre des lésions au point qu’on parle de « rupture de tolérance ». Ces défauts sont multiples : ils peuvent être génétiques [94] ou acquis. On distingue classiquement les mécanismes dits de tolérance centrale et de tolérance périphérique [95].
2.1.1.1. Les mécanismes de tolérance centrale
Ils concernent l’immunité adaptative : lors de leur maturation, les lymphocytes T et B auto-‐réactifs sont normalement éliminés dans le thymus et la moëlle osseuse, respectivement. S’il existe des anomalies de sélection positive ou négative de ces cellules, des clones lymphocytaires auto-‐réactifs spécifiques du soi émergeront [95].
Un tel mécanisme est en cause par exemple au cours du syndrome APECED (Auto-‐immune Polyendocrinopathy-‐Candidiasis-‐Ectodermal Dystrophy) : il s’agit d’un déficit immunitaire associé à des manifestations auto-‐immunes multiples. La cause de ce syndrome est génétique, en rapport avec une mutation du gène AIRE (Auto-‐Immune REgulator) [96] dont le rôle est de faire s’exprimer dans le thymus des molécules du soi, et d’orchestrer ainsi la sélection négative des clones T auto-‐réactifs [97]. On peut noter que ces mécanismes ne sont pas ceux qui priment dans les différentes maladies auto-‐immunes qui sont le sujet de ce travail.
De même, lors de leur maturation dans la moëlle osseuse, les lymphocytes B réarrangent leurs chaines lourdes et légères, sous l’influence des protéines RAG (Recombination Activating Gene), pour aboutir en situation physiologique à un vaste répertoire B primaire [98]. Au fur et à mesure que ces derniers ont lieu, la fonctionnalité et l’auto-‐réactivité du BCR (B cell receptor) sont testés : si le BCR est auto-‐réactif, plusieurs mécanismes de tolérance centrale peuvent être mis en place : les lymphocytes pro-‐B et pré-‐B peuvent subir une apoptose (délétion clonale), migrer tout de même en périphérie mais être anergiques ou ignorants ou encore subir un blocage de maturation. Dans ce dernier cas, l’expression des protéines RAG est alors maintenue et permet de nouveaux réarrangements de chaines légères (voire même lourdes), selon un processus appelé « correction du récepteur » ou « receptor editing », qui ont lieu jusqu’à ce que le BCR ne soit plus auto-‐réactif. La maturation du lymphocyte pré-‐B et son passage en périphérie redevient alors possible [98]. Des anomalies de ce mécanisme ont été mises en cause au cours de certaines maladies auto-‐immunes, comme le Lupus Systémique [98].
2.1.1.2. Mécanismes de tolérance périphérique
Ces mécanismes sont nombreux et ont lieu dans les organes lymphoïdes secondaires, les organes initiateurs ou cibles des maladies auto-‐immunes ou dans le sang périphérique. Parmi les défaillances de ces mécanismes qui engendrent de l’auto-‐
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27 immunité, certaines affectent l’immunité adaptative humorale (lymphocytes B) [99]. On décrit ainsi :
i) Des anomalies de correction du BCR (« receptor revision ») qui affectent les lymphocytes B matures auto-‐réactifs ayant rencontré un antigène et ayant donc procédé en périphérie à des réarangements secondaires [100].
ii) Des perturbations du réseau idiotypique avec dérégulation du contrôle des effets des auto-‐anticorps, comme survenant au cours des anémies hémolytiques auto-‐immunes [97] ou au cours du Lupus Systémique.
iii) Des mimétismes moléculaires peuvent exister entre une protéine constitutive d’une bactérie par exemple (Campylobacter jejunii) et une protéine du soi. Cela se rencontre au cours du Syndrome de Guillain-‐Barré (polyradiculonévrite aiguë auto-‐immune) : les anticorps reconnaissant la bactérie vont aussi avoir des propriétés auto-‐immunes en ayant également pour cible des gangliosides (anticorps anti-‐gangliosides) [101].
iv) Un défaut d’apoptose d’un clone lymphocytaire B qui devient majoritaire et peut être auto-‐réactif et entraîner des cytopénies auto-‐immunes, comme c’est possible au cours des leucémies lymphoïdes chroniques [102].
v) Une modulation de l’affinité entre le récepteur au fragment Fc des
immunoglobulines (dont il existe plusieurs sous-‐types) et son ligand modifie
l’activation de certaines cellules immunitaires et favorise secondairement des réactions auto-‐immunes [103], comme cela a été suggéré au cours du Lupus Systémique.
D’autres anomalies dans les mécanismes de tolérance affectent l’immunité
adaptative cellulaire (lymphocytes T) [93]:
i) Outre l’ignorance, l’anergie ou la délétion périphérique de clones T auto-‐ réactifs [104], un des mécanismes de tolérance principal est l’inhibition de la réponse immunitaire par les lymphocytes T régulateurs (CD4+CD25+FoxP3+). Un déficit de ces cellules peut engendrer de l’auto-‐immunité : ceci a été montré au cours du syndrome IPEX (Immune dysfunction Polyendocrinopathy Enteropathy X-‐linked syndrome), une maladie génétique portant sur le gène FoxP3 qui aboutit à un déficit immunitaire et au développement de manifestations auto-‐immunes [105]. De même, au cours de maladies auto-‐
immunes comme le Lupus Systémique, on a pu montrer qu’il existait un déficit acquis et relatif de cette population lymphocytaire T régulatrice [106].
ii) Un déficit génétique des voies d’apoptose FAS/FAS-‐ligand entraîne des anomalies de l’homéostasie des lymphocytes T avec lymphoprolifération : c’est le cas de l’ALPS (Auto-‐immune LymphoProliferative Syndrome), au cours duquel des manifestations auto-‐immunes peuvent survenir, notamment des cytopénies auto-‐ immunes [107,108]. D’autres lymphoproliférations T indolentes peuvent également s’associer à des manifestations auto-‐immunes, comme le Syndrome de Felty (Polyarthrite Rhumatoïde associée à des cytopénies auto-‐immunes) [109]. iii) La polarisation des lymphocytes T naïfs (TH0) est un événement
immunologique important qui peut également favoriser la rupture de tolérance au soi. En effet, selon la nature des différents signaux reçus lors de la présentation antigénique, un lymphocyte T pourra s’orienter vers une différentiation TH17 [110,111], qui favorise via l’IL17 la survenue de diverses maladies auto-‐immunes comme la polyarthrite rhumatoïde, la sclérodermie systémique ou le Lupus Systémique [112]. Plus généralement, une présentation antigénique très efficace [104], favorisée par différents haplotypes ou polymorphismes des molécules du CMH-‐I, favorise par exemple la réaction inflammatoire et l’auto-‐immunité.
L’immunité innée (cellules phagocytaires et présentatrices d’antigènes ou molécules solubles telles que le complément) intervient également dans les mécanismes de tolérance au soi. En effet, les capacités à répondre en première ligne à des « signaux de danger » émanant du soi ou d’agents extérieurs par le système immunitaire inné sont des éléments qui peuvent influer sur la survenue de manifestations auto-‐immunes. Ainsi, l’activation et l’augmentation du nombre des cellules dendritiques semblent jouer un rôle dans la genèse du Lupus Systémique [104].
Le rôle des cellules NK dans la rupture de tolérance a été beaucoup moins exploré. Pourtant ces cellules sont fortement impliquées dans la reconnaissance du soi (« missing self recognition »). Dès lors, des mécanismes de dérégulation concernant par exemple des déséquilibres entre les KIR inhibiteurs et les activateurs seraient susceptibles de favoriser la survenue de maladies auto-‐immunes : cela n’a pour l’instant surtout été documenté qu’au cours de pathologies inflammatoires [113,114].
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