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Une loi récupérée au service de la lutte contre l’impunité des EMNS

La réactivation de l’ATCA a principalement contribué à un développement exponentiel du contentieux impliquant les entreprises puisque ces dernières années les victimes des violations des droits humains ont multiplié les recours pour faire reconnaître la responsabilité civile des EMNs devant les juges américains.

À cet égard, plusieurs victimes ont réussi à avoir accès à la justice américaine pour intenter des recours contre des EMNs, à l’orée des années 1990. Les recours impliquaient aussi bien des entreprises actives dans le secteur minier257, agroalimentaire258, pétrolier259, pharmaceutique260, ou les entreprises actives dans le champ de la communication261. Compte tenu du volume important du contentieux impliquant les entreprises, il nous est impossible d’aborder chacune des affaires ayant été intentées sur la base de l’ATCA. Nous limiterons par conséquent nos propos aux références les plus proches de notre objet d’étude, en mettant un relief particulier sur les affaires touchant au droit du travail. Néanmoins, la jurisprudence relative à la question étant en pleine mouvance, il est également possible de mentionner de façon incidente des affaires touchant des enjeux plus vastes dans la protection des droits humains.

L’une des premières affaires intentées262 en vertu de l’ATCA à l’encontre d’une EMN et qui a connu un écho majeur impliquait l’entreprise UNOCAL, qui était accusée d’avoir commis des violations graves des droits humains en Birmanie dans le cadre du projet de

257 Sarei v. Rio Tinto, PLC, 671 F.3d 736 (9th Cir. 2011), The Presbyterian Church of Sudan v. Talisman,

582 F.3d 244, 258–59 (2d Cir.2009).

258 Sinaltrainal v Coca-Cola 578 F 3d 1252, 1263 (11th Cir 2009).

259 Aguinda v. Texaco, Inc. (Aguinda III), 303 F.3d 470, 480 (2d Cir. 2002), Bowoto v. Chevron Corp., 621

F.3d (9th Cir. 2010), Doe v. Exxon Mobil Corp., 654 F.3d 11 (D.C. Cir. 2011).

260 Abdullahi v. Pfizer, Inc., 562 F.3d 163 (2d Cir. 2009).

261 Wang Xiaoning v. Yahoo !, Inc., No. C07-02151 (N.D. Cal. Nov. 13, 2007).

262 La première affaire Aguinda v. Texaco dans laquelle des citoyens équatoriens et péruviens ont déposé une

plainte collective sur le fondement de l’ATCA contre la compagnie pétrolière Texaco, mettant en cause sa responsabilité pour les dommages à l'environnement lors de ses activités pétrolières dans la région intentée en 1994 sera largement abordée dans le chapitre suivant, No 93 Civ. 7527 (VLB), U.S. District LEXIS 4718 (S.D.N.Y. Apr. 11, 1994), adh. by, 850 F. Supp. 282 (S.D.N.Y 1994), dis.by, 945 F. Supp. 625 (S.D.N.Y. 1996), 303 F. 3d 470 (2d Cir. 2002).

61 construction d’un gazoduc. En l’espèce, le recours fut intenté le 3 octobre 1996 devant le tribunal fédéral de première instance de Californie par les victimes qui alléguaient que l’entreprise s’était rendue complice de la junte birmane qui aurait eu recours au travail forcé et la torture lors de la construction du gazoduc. Jusqu’alors il était juridiquement complexe pour les victimes d’intenter des actions contre les entreprises, qui semblaient être à l’abri de toute poursuite judiciaire aussi bien au niveau international, qu’au niveau interne. Après la décision des juges de première instance accueillant favorablement les arguments d’Unocal plaidant pour un non-lieu au regard de la faiblesse des preuves, les juges de la cour d'appel du neuvième circuit de Californie ont pris une position avant-gardiste en 2002 en affirmant que la responsabilité civile d’UNOCAL pouvait être engagée devant les juridictions fédérales américaines pour s’être rendue complice avec la junte birmane en recourant au travail forcé qui constituait une forme moderne d’esclavage263. Cette décision a eu des échos retentissants, et bien que le contentieux entre Unocal et les victimes se soit finalement clos par voie transactionnelle264, le raisonnement suivi par les juges d’appel concernant la possibilité de condamner l’EMN a contribué à créer un engouement majeur pour l’ATCA chez les activistes militant pour la protection des droits des victimes contre les EMNs.

Au fil des années suivant cette décision, l’ATCA a contribué à des avancées majeures dans le contentieux impliquant les EMNs en permettant l’accès des victimes étrangères au for américain pour y porter des causes variées. Dans cette lancée, des affaires touchant le contentieux des biens et avoirs des victimes de l’Holocauste265, l’apartheid266, ou le travail forcé durant la Deuxième Guerre mondiale267 ont pu être portées devant les tribunaux

263 Voir Doe v. Unocal, 27 F Supp 2d 1174 (CD Cal 1998) et Doe I v. Unocal Corp, 395 F.3d 945 (9th Cir.

2002).

264 Un accord a été trouvé en 2005 entre Unocal et les représentants des victimes. Les termes du règlement

n'ont pas été officiellement dévoilés, toutefois il a été mentionné qu’une somme de 30 millions de dollars U.S. aurait été versée pour la compensation des victimes, en plus de contribuer à la création d'un fonds destiné à améliorer les conditions de vie sur le plan de la santé et de l'éducation des populations birmanes installées autour du gazoduc, voir O. DE SCHUTTER, préc., note 232, p. 64.

265 Friedman v. Union Bank of Switzerland, n° 96-5161, Eastern District of New York, Complaint, 21

octobre 1996 ; Weisshaus v. Union Bank of Switzerland n° 96-4849, Eastern District of New York, Amended Complaint, 24 janvier 1997.

266 S. African Apartheid, 617 F. Supp. 2d 228, 254 (S.D.N.Y. 2009), Khulumani v Barclay National Bank,

504 F 3d 254 (2nd Cir, 2007).

267 Iwanowa v. Ford Motor Co., 67 F. Supp.2d 424, 445 (D.N.J. 1999), In re World War II Era Japanese

62 américains. Bien plus, l’ATCA a dans une certaine mesure contribué au débat sur des questions qui ont eu un grand impact sur les pratiques globales en matière de travail268. Dans ce sens, plusieurs entreprises ont été amenées à améliorer les normes qu’elles appliquaient en matière de travail afin d’éviter le battage médiatique et la mauvaise publicité découlant de la judiciarisation des affaires dans lesquelles elles étaient impliquées.

L’élargissement du champ de compétence des affaires et la possibilité pour le juge d’exercer sa compétence dans des affaires impliquant des victimes étrangères contre les EMNs exerçant à l’étranger positionne l’ATCA comme une loi de compétence universelle à géométrie variable et à portée limitée.

2. L’ATCA comme idéal inachevé d’un modèle de compétence civile universelle